“L’écriture, c’est le cœur qui éclate en silence”. Les mots sont de Christian Bobin. Il faudrait presque laisser une grande page blanche avant de commencer cet article pour honorer ce vide silencieux et prendre conscience de la puissance que quelques mots accolés les uns aux autres peuvent revêtir. Plus le bruit du monde nous assaille, plus la poésie et le bouclier de ses mots s’imposent comme une évidence, une stratégie de survie et de vie. Retour sur 13 poètesses et poètes qui peignent du bout de leur plume la beauté, la rage et l’amour.
Leïla Slimani, la fin des petites cases
Vite, vite, Leïla, raconte-moi comment tu vois le monde, raconte-moi ton histoire et éteins le feu qui menace d’enflammer mon esprits ces jours-ci. Quelle douceur, mais quelle intransigeance dans sa voix. Non, il n’y a pas toujours à choisir, non il n’y a pas “de fatalité à l’opposition entre les blocs”. Lisez-la et vous verrez qu’en quelques minutes vous aurez envie, à votre tour, de dégainer la plume. Parce que l’acte d’écrire, c’est “penser contre moi-même, accepter la part de l’autre en moi-même”. La poésie contemple la réalité, l’autre, l’interroge. Et donc aide à l’accueillir.
Jean-Pierre Siméon, révéler la vie, en vrai
Attention, bombe poétique droit devant. Si vous ne connaissez pas Jean-Pierre, si vous n’avez pas lu son “Petit éloge de la poésie” alors réjouissez-vous, vous allez vous régaler, même vous les jeunots ! La force de ce bonhomme aux yeux rieurs, c’est de parler de poésie sans jamais en parler, c’est de montrer que la poésie est tout sauf quelque chose de vaporeux mais bien une habitude de vie, un chemin politique même, qu’il est urgent d’emprunter ! “Oui, la poésie c'est la vie même, la vie en intensité, ramenée à son rythme essentiel, celui du souffle et de la scansion du sang, cela seul qui justifie qu'on inventât le vers”
Fernando Pessoa, quand le vide vous remplit
Pépite, encore. Fernando Pessoa était un écrivain, critique, polémiste et poète portugais trilingue. Il est notamment l’auteur du “Livre de l’intranquillité”, un bijou publié après sa mort. Ce journal de bord est autant la chronique des journées d'un homme lambda mais aussi la description de ses questionnements spirituels, de ses tiraillements. “La solitude me désespère, la compagnie des autres me pèse”. L’intranquillité qu’il disait Fernando, le vertige du vide que nous côtoyons en nous et autour de nous. Et c’est dans cette description du néant de la vie quotidienne que se trouve le génie de cet auteur et que nous sommes rejoints.
Ann Scott, ça suffit de ne pas être insolente
Elle insiste, elle va continuer à exister. Et par son écriture, elle nous invite à faire la même chose, malgré nos turbulences intérieures, malgré nos tentatives de les maquiller. “À force, on finit par se construire une façade pour retenir ce qui s'effrite en dedans”.
Ann Scott, c’est le genre de vie dont les courbes multiples passionnent : avant de commencer à écrire, elle est mannequin et même batteuse dans un groupe punk ! Cette année, elle a écrit “Les Insolents” qui a remporté le prix Renaudot. Cette histoire raconte l’arrivée dans un trou paumé d’Alex, parisienne et compositrice de musique. Et on vous dira pas la suite, et puis quoi encore.
Fatou Diomé, le verbe libre ou le silence
Elle est ce genre d’être qui doit avoir des tripes en forme de liberté. Fatou Diomé écrit la nuit “face à elle-même”. Aimer et écrire semble presque synonyme dans sa bouche : “L'amour est une œuvre d'art, comme toute œuvre d'art, il demande à l'esprit des moments de disponibilités propices à la conception d'une harmonie”. Ses écrits ont bâti sa renommée internationale, et abordent des enjeux brûlants comme celui de l'immigration en France, de la montée des populismes. Ce qu’on aime chez elle, c’est qu’en permanence la politique et le cœur se mêlent. Allez, aimons et faisons la révolution.
Andrée Chedid, la poésie comme levier de liberté
Encore une femme hautement libre. La poésie existe pour dégommer les barrières dans lesquelles nous sommes enfermés. C’est comme ça - en joliment dit hein - qu’elle nous parle des mots, Andrée. La poésie libère, renforce les affaiblis. Elle est tout sauf vue de l’esprit : “la poésie n’est pas coupée de la vie. Elle est la pleine existence”. La voix de cette femme a notamment inspiré son petit fils, M, et de nombreux textes de ses chansons. Sacrée Andrée. Sacrée famille.
Arthur Teboul, des vers plein la moustache
Oui, on sait Feu! Chatterton vous connaissez… Mais saviez-vous que le chanteur du groupe, Arthur Teboul, est venu à la musique par la littérature ? Un monde parfait selon Teboul, c’est un monde où la poésie serait la seule loi à suivre, en gros. Et l’écouter en parler est un délice. Mieux encore : entre ses albums, le petit moustachu prend l’habitude de composer des “poèmes minute”. De là vient un recueil, “Le Déversoir”. Et l’écrit est suivi de l’ouverture d’un “cabinet de poèmes minute” à Paris, où Arthur propose des consultations poétiques à la demande. Vous venez, il vous écrit quelques vers. Instant unique, instant de vie.
Marielle Macé, respirer une nouvelle ère
Dans son dernier livre, elle nous parle d’une évidence oubliée. Respirer. Respirer l’air comme le font des milliards de petits êtres humains juste ici et tout là-bas. Un même air, véritable mer commune avec tout ce qu’elle porte dans ses vagues : la beauté de la vie, la transparence mais aussi la pollution, les peurs, les tensions.
Lisette Lombé, le slam qui tranche
“Autrice et artiste pluridisciplinaire belgo-congolaise née en 1978” lit-on quelque part sur internet. Le slam est pour elle un coup de foudre. Cette forme d’art est pour elle le moyen d'incarner et de partager la parole politique et poétique qui bouillonne en elle. Lisette Lombé, c’est le croisement de mondes. Associatifs, éducatifs, poétiques, politiques, sportifs même. Écoutez-la déclamer quelques mots, écoutez-la crier contre le racisme, et vous aurez envie de faire quelque chose, de vous engager. Le verbe qui se fait chair.
Laurent Gaudé, apostropher le monde et ses folies
Sa voix est tellement réchauffante, ses lignes tellement glaçantes parfois. “Nous regardons le monde sans plus chercher à le comprendre”. À quoi sert un écrivain quand le monde devient fou ? La question n’est pas évidente, sa réponse, si : ralentir. Dans ces temps où les débats sur la question de l’immigration creusent un fossé absurde entre les idées et l’humain, il faudrait faire lire à l’ensemble de nos élus, à nous tous, “Eldorado” : “Je me suis trompé. Aucune frontière n'est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi. Nous avons cru pouvoir passer sans sentir la moindre difficulté, mais il faut s'arracher la peau pour quitter son pays.”
Gaël Faye, une grande âme de 1,93m
Écrire, danser, chanter, Gaël Faye sait à peu près tout faire. Et s’engager, aussi. “L’écriture apporte la complexité qui nous manque”. Entendre Gaël parler du monde, de son histoire, de la violence qui a bouleversé sa vie, projette immédiatement dans un bain d’humilité et d’air frais. Regardez-le sur scène, chalouper avec les mots et sourire jusqu’à inonder la foule devant lui : “l’optimisme est une résistance !”. Allons-y gaiement, dans ce cas.
François Cheng, la beauté
Le vieux sage. Le grand-père qu’on voudrait écouter raconter le monde au rythme des crépitements du feu. Écrivain et poète français d’origine chinoise, membre de l'Académie française, François Cheng c’est un parcours de vie autant poétique que spirituel. Quand il se met à écrire, quelque chose se passe, “le passe”, quelque chose qui lui vient de très loin : “C’est à l’âge de 15 ans que le chant s’est éveillé en moi, écrit-il. Je m’ouvrais à la poésie et entrais, comme par effraction, dans la voie de la création.”
Sophie Nauleau, faire de la poésie une insurrection
Deux citations plutôt que de tenter de décrire Sophie Nauleau avec quelques mots imparfaits : "La force de la poésie n’est pas d'être dans l'actualité, mais d’offrir un contrechamp". Et puis, la directrice du Printemps des poètes ajoute : “Le désir nous mène au-delà de nous-mêmes”. Bonne réflexion à tous et toutes. Et bonne continuation dans vos désirs.
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