Se sentir bien chez soi pour être bien dans ce monde, voilà ce qui anime Assetou Coulibaly qui a créé l’association À chacun son cocon. Objectif ? Permettre aux habitants des quartiers prioritaires de devenir les architectes de leur logement… comme de leur vie. Reportage dans le 19e arrondissement parisien.
Lunettes de protection sur le nez, scie sauteuse dans une main, planche de bois brut dans une autre, Lisa demande à ce qu’on la prenne en photo. “Mon fils aime bien lorsque je fais des choses, je veux lui montrer que je suis capable de bricoler.” Le moment immortalisé, Lisa se remet au travail : réaliser une étagère de poche pour poser une plante, une théière, quelques livres. Cet après-midi de printemps, dans les locaux du Centre socioculturel Espace 19 à Paris, Lisa participe à un atelier organisé par l’association À chacun un cocon avec une dizaine d’autres femmes - pour la plupart déjà grands-mères - et un homme, Serge, la mascotte du groupe.
“Avec peu on peut faire de belles choses, vous pouvez devenir l’architecte de votre logement”, explique en introduction Assetou Coulibaly fondatrice de l’association qui organise non seulement des ateliers pour créer ses propres meubles, coudre, faire du neuf avec de l’ancien mais aussi intervient avec une équipe d’architectes et designers bénévoles directement dans les logements pour dispenser des conseils et astuces déco voire se lancer dans un réaménagement complet aux habitants des quartiers prioritaires.
C’est moi qui l’ai fait !
Cet après-midi, les mamies aspirantes bricoleuses ont trois missions : coudre un coussin, réaliser une étagère de A à Z et restaurer collectivement un meuble pour une famille. Au début c’est la foire d’empoigne, toutes veulent choisir le tissu de leur coussin et embrayer la pédale des machines à coudre. Assetou, avec humour, bienveillance et fermeté remet de l’ordre et répartit tout le monde dans les trois groupes. “On est dissipées nous les mamies”, convient l’une d’entre elles. “Je ponce donc j’essuie”, lance Serge toujours partant pour la gaudriole.
En quelques minutes, l’espace devient le théâtre sonore d’une ruche en activité créative. Les scies sautent, les ponceuses lissent, les machines à coudre piquettent. Pour beaucoup, c’est une première fois. “Le ponçage c’est pas facile, ça fait mal aux doigts surtout avec mon arthrose,” confie une locataire qui habite quelques étages plus haut. “Légèrement, pas trop vite, il faut suivre la ligne rose,” rappelle l’une des animatrices Marie-Camille qui aide Brigitte à manier la machine à coudre en mode conduite accompagnée.
Par-dessus le brouhaha des machines, celui des voix, des échanges entre les participantes. La séance de bricolage est l’occasion de partager un moment de vie, de créer du lien, de redonner le pouvoir aux femmes de prendre en main leur intérieur. “On devrait toutes nous apprendre à comment monter des étagères,” lance Khadidja qui dans la lancée prévient : “j’ai tellement de bazar dans mon appartement que j’aurais honte de vous faire venir.” Assetou saisit la remarque au bon : “au contraire, si on vient chez vous on pourra vous aider à faire du tri, ré-agencer autrement, à aménager l’espace pour que vous vous sentiez bien chez vous.”
Transformer son logement, changer sa vie
C’est d’ailleurs exactement pour ce genre de personnes qu’Assetou a quitté ses fonctions de RH et imaginé pendant le confinement À chacun son cocon qui pourrait d’ailleurs s’appeler À chacune son cocon. “80% des personnes qui ont bénéficié de nos services sont des femmes dont la plupart en famille monoparentale,” explique la fondatrice.
Si Assetou cherche toujours des moyens de financer son projet (l’atelier du jour l’était par AG2R), le plus souvent les bailleurs sociaux ou les villes sont les financeurs, les services sociaux les flécheurs de bénéficiaires (les foyers qui en ont le plus besoin), les architectes bénévoles les conseillers. “Je forme les équipes à l’intrusion bienveillante, explique Assetou qui, grâce aux 35 bénévoles a déjà accompagné une cinquantaine de familles et organisé 25 ateliers, la déco c’est de l’art thérapie. Un logement encombré est souvent lié à des histoires du passé. Les gens manquent souvent de courage, de temps, de confiance ou d'opportunités. Notre but c’est de les réveiller et de leur permettre de se valoriser à travers ce projet.”
Avant/après chez une bénéficiaire
Mieux chez soi, mieux en soi
Depuis 5 ans, l’équipe permet aux habitants d’Île-de-France et d’Occitanie de pimper leur sweet home et de se révéler dans le même temps. “Je me souviens de Christiane à Clichy, on a ré-aménagé son salon en une heure, ça lui a fait un bien fou. Avant, elle restait dans sa chambre, après elle a pu organiser des soirées pop corn avec ses filles. Quand elle m’a dit qu’elle avait fini par arrêter ses anti-dépresseurs, j’ai compris à quel point ce service avait du sens et permettait d’ouvrir les possibles”.
Pour Assetou c’est aussi gagnant-gagnant. Grâce à l'association elle reprend confiance en elle et réalise son rêve d’adolescente, celui d’être décoratrice d’intérieur. “Cette expérience m’apporte aussi beaucoup, je n’ai pas de diplômes en déco d’intérieur et j’avais au début le syndrome de l’imposteur. Mais à chaque fois que je quittais un appartement, je me disais que j’étais une décoratrice trop forte qui déchire. Je me suis autorisée à être la femme que je suis aujourd’hui.”
Dans l’atelier de l’Espace 19, la session touche à sa fin et les participants sont elles et eux aussi bien fiers de leurs créations. En deux heures, chacune et chacun a pu fabriquer un coussin, une étagère et contribuer à la restauration du meuble collectif. Avant de se quitter, il ne reste plus que le chapitre cadeaux-déco, un tirage au sort pour offrir des éléments de décoration intérieur et une intervention gratuite de l’équipe dans son appartement. Serge gagne les objets, Corinne l’accompagnement personnalisé avec une décoratrice. “Je suis trop contente, c’est THE cadeau,” confie-t-elle en sautillant. Lisa est heureuse aussi. Elle va offrir son coussin à sa fille le jour de la remise de son diplôme. Aucun doute qu’elle se prendra à nouveau en photo pour montrer à son fils qu’elle reprend sa déco et sa vie en main.