Paris en compagnie, ce sont des milliers de bénévoles qui accompagnent les aînés dans leurs déplacements du quotidien. Une école de lenteur, d’écoute et d’humanité, qui redessine la ville et le vivre-ensemble.
Retour vers votre futur, voyage dans le temps
Vous avez subitement pris 40 années de vie. Vous voilà octogénaire. Dans votre petit appartement. Il a beau être un peu bruyant et pas bien grand : vous aimez ce lieu. C’est lui qui berce vos vieilles années. Qui accueille les venues à l’improviste que vous aimez tant. Oui, la vie y est douce.
Seulement ce matin, rien n’est doux. Il y a un truc qui cloche chez vous. Vous l’avez senti dès le réveil. Un fond de gorge douloureux. Des picotements inhabituels un peu partout… Pas de quoi vous alarmer, il vous faut simplement voir un médecin. Simplement. Simplement ?
Il y a encore quelques jours, “aller chez le docteur” était l’un de vos pires ennemis. Et pas le seul. Aller à la mairie, aller faire les courses, aller chez votre petite fille, aller à la boulangerie et même aller faire quelques pas dehors pour une innocente petite promenade, tous ces potentiels déplacements représentaient une montagne infranchissable, énigme sans solution, vos mouvements en autonomie étant devenus impossibles.
Mais ça c’était avant.
Car, oui, entre-temps vous avez découvert “Paris en Compagnie”. Ce n’est ni le titre d’un vieux film qui fit le bonheur de vos grands-parents, ni le nom d’un magazine vendu par un chauffeur de petit train à Montmartre, non, “Paris en Compagnie”, c’est un groupe de gens jeunes qui aident d’autres gens, moins jeunes. Dit plus joliment, c’est une communauté de citoyens et citoyennes qui s'engagent, en fonction de leurs disponibilités, à aider la mobilité des nos aînées et aînés et qui favorisent ainsi les liens intergénérationnels.
Puisqu’on est jeune (et pas con)
Pour vous aider à aller jusqu’à la blouse blanche du médecin, “Paris en compagnie” vous met donc en lien avec une ou un jeune bénévole. Cette personne est formée et s’est montrée désireuse de donner un peu de son temps pour vous aider à sortir, à faire un tour, le tout, et c’est votre partie préférée, en papotant joyeusement de tout et de rien. Et parfois de rien et de tout, aussi.
Par cette présence, l’isolement ou la peur de sortir en solo s’évanouissent. Et votre lien à l’extérieur est nourri par autre chose que les voix d’animateurs radio ou visage de votre émission préférée.
Depuis que “Paris en Compagnie” a fait son irruption dans votre quotidien, vous avez retrouvé de l’énergie. Et vous ne comprenez plus pourquoi on parle de “vie active” uniquement avant la retraite. La vie active, vous, vous l’avez retrouvée. La chaleur humaine, pour vous, c’est bien plus qu’un podcast du Monde.fr. L’autonomie, désormais, rime avec “Paris en compagnie”.
Donnant-Donnant. Il est temps de vous en dire plus.
Aujourd'hui, “Paris en Compagnie” est donc un service solidaire et gratuit, soutenu par la Ville de Paris et la Conférence des financeurs, fondé en 2019 par Les Petits Frères des Pauvres, Autonomie Paris Saint‑Jacques et Lulu dans ma rue. Vous l’avez donc compris, cette association permet à nos aînés parisiens et parisiennes (plus de 65 ans) d’être accompagnés dans leurs déplacements de proximité, allant du rendez-vous administratif à la simple balade-plaisir. Le mouvement se fera à pied ou en transport en commun et ce grâce à la solidarité de citoyens et citoyennes engagées. Pour simplifier les choses, 4 types de sorties sont proposées : loisirs, médicales, administratives et appels de convivialité.
Et tout ceci est savamment orchestré : les bénévoles de “Paris en Compagnie”, une fois formés, choisissent les missions en fonction de leur planning via une application mobile intuitive. Ce projet a eu la bonne idée de les “récompenser” autant que les bénéficiaires : en effet “Paris en Compagnie” propose aussi des formations gratuites pour les bénévoles (comprendre le vieillissement, apprendre à manipuler un fauteuil roulant, savoir écouter, reconnaître des troubles cognitifs...) et des moments collectifs conviviaux (goûters chaleureux, balades en groupe, fêtes intergénérationnelles, marche-course solidaire), tout ceci contribuant à fédérer personnes bénévoles et aînées dans un échange plus riche et durable. Car quand on aime, on ne compte plus les heures.
Mais on compte quand même un peu : depuis 6 ans, le service solidaire compte plus de 6 000 bénévoles (34 ans moyenne d'âge, 70% de femmes, tous majeurs, 30% habitent hors de Paris) et plus de 27 000 accompagnements réalisés. De même, près de 2 500 aîné.es sont accompagné.es (83 ans moyenne d'âge) - et cela dans tous les arrondissements de Paris.
C’est beaucoup. Et ce n’est que le début. Parce que oui, on vous voit venir ! C’est super mais si on n’habite pas la capitale ? N’ayez crainte ! Début 2025, un plan d'essaimage a été validé, à savoir l’ouverture de services similaires à Paris dans deux autres territoires, via Make.Org Foundation et avec le soutien de la Fondation Autonomia. Vous en rêvez, ils vont le faire : créer un réseau national d’accompagnement intergénérationnel, adapté aux réalités locales et un peu partout. Un projet simple comme dire bonjour mais puissant dans ses effets sur la vie des gens.
Des chiffres et de l’être
Des statistiques, passons aux histoires. Parce qu’il n’y a rien de mieux pour goûter à cet élan qui anime l’association depuis ses débuts.
Elle s’appelle Jelly. Cette aînée accompagnée depuis maintenant 5 ans est devenue malvoyante avec l’âge. Chaque sortie est devenue une épreuve, ceci explique cela. Grâce à l’accompagnement offert par Paris en Compagnie, Jelly a rencontré Mariana, une bénévole arrivée récemment en France. Dès leur première balade, Mariana décrivait avec soin chaque élément du quartier, aidant Jelly à s’orienter et à se sentir en sécurité. De l'autre côté, Mariana découvrait Paris en écoutant les histoires de Jelly, en se plongeant dans ses souvenirs, en empruntant ses yeux fringants pour imaginer les évolutions du quartier au fil du temps.
Au fil des balades, le lien s’est transformé en amitié. Jelly confie : "c’est très important pour moi de pouvoir être accompagnée… ça me rassure beaucoup car les bénévoles sont bien formés. Ça permet d'échanger et ça donne une autre saveur au temps - on a plus d'énergie !". De son côté, Mariana n’est pas en reste : "Après chaque accompagnement, je rentre chez moi heureuse, tout simplement ! J'apprends beaucoup au contact de Jelly et ça me permet d'avoir un lien avec une aînée car ma mamie est loin."
Alors on aime
La recette est ainsi gagnante à trois niveaux :
- Pour les aîné.es, tout ceci est, vous l’aurez compris, une manière particulièrement douce de continuer à sortir, rencontrer du peuple, participer à la vie du quartier et ce sans dépendre systématiquement de la famille ou d’un soin formel.
- Pour les bénévoles, c’est un engagement souple, enrichissant humainement, qui s’adapte à la vie personnelle et/ou professionnelle.
- Et pour la société, c’est un moyen concret de réduire l’isolement, favoriser l’autonomie et renforcer le vivre-ensemble intergénérationnel - c'est aussi un soutien pour les aidant.es.
Arrêtons-nous un instant sur ce niveau collectif. Derrière ce qu’impulse “Paris en Compagnie”, il y a un choix politique fort. Nous avons tous et toutes une responsabilité mutuelle dans la manière dont notre société vieillit. En cela, Paris en Compagnie est aussi un acte de reconnaissance : reconnaître l'autre comme encore digne de lien, de promenade, de parole, c’est affirmer qu’aucune vie n’est "trop vieille" pour être importante. Plus largement : nous avons tous et toutes une responsabilité face à l’isolement ou la fragilisation de l’autre.
Ce service solidaire est directement lié à notre propre avenir. Nous serons toutes et tous un jour fragiles, en perte d’autonomie. Le regard que l’on porte sur les aîné.es aujourd’hui, c’est celui que l’on portera sur nous-mêmes demain. L’acceptation de cette question, c’est aussi affronter sans la nier la fragilité en général. Et notre société aujourd’hui, à commencer par nos élus et élues, ne supporte pas la vulnérabilité, le doute, le questionnement. Les certitudes et la toute-puissance, l’efficacité, la vitesse, la jeunesse et l’indépendance sont les seules vitrines de notre modèle de société, et ce n’est pourtant pas là que se trouve la vie, la vraie. Les personnes âgées et d’autres deviennent petit à petit invisibles. Perçues comme "hors du jeu", elles sont, en réalité, des gardiennes de mémoire, de liens, d’histoires, d’humanité. Ce projet vient contester, avec douceur mais détermination, cette mise à l’écart silencieuse.
Ca commence par nous
Paris en Compagnie incarne donc une politique du quotidien : l'association redonne du pouvoir à chacun et chacune de réparer le tissu social par des gestes simples. Il ne s’agit pas de "gérer la solitude des vieux" comme un problème technique, mais bien de réinventer la manière dont nous vivons ensemble.
Il y a aussi une vraie éclaircie pour notre modèle démocratique en crise : Paris en Compagnie apporte une réponse profondément citoyenne à un enjeu démocratique et démographique : comment fait-on société dans une ville dense, rapide, parfois indifférente ? Comment trouver une solution éthique au vieillissement de la population ? Et rapidement on imagine ce mécanisme citoyen comme modèle, comme illustration de ce qui pourrait être construit dans d’autres domaines : éducation, culture, etc.
Quand on interroge les membres de l’association, on peut entendre que ce qu’ils et elles apprécient le plus, c’est de participer à cette “école de lenteur, d’écoute, d’humanité toute simple.” Et d’ajouter ensuite : “Quand la création de ces rencontres intergénérationnelles devient plus que ce que le cadre prévoit...comme lorsqu'un accompagnement devient un échange ou une balade devient un souvenir commun. Quand on réalise que l’on fait du bien en se faisant du bien.”
En réfléchissant bien, nous sommes face à … des révolutionnaires tranquilles. S’ils et elles se lançaient pour 2027, leur slogan pourrait être “La force douce” ou “La solidarité incarnée”... on vous laisse choisir. Ces gens ébranlent nos vieux modèles avec deux paroles :
- Face à la course, le temps lent, face aux écrans et à l’anonymat, la présence, face au trop-plein, l’écoute.
- Face à la frénésie du progrès, l’avènement sans complexe d’un autre progrès : celui-là n’est pas technologique ou économique, quoique, mais avant tout humain et relationnel. Un jour, l’individualisme moderne sera passé de mode. Et ce jour-là, le pari de la compagnie aura gagné.
Vivons vieux, vivons heureux
Et si les relations intergénérationnelles étaient les meilleurs remèdes anti-âge ? Le programme Vivons Vieux Vivons Heureux, proposé par makesense avec le soutien fondateur de Notre Temps, AG2R La Mondiale et Fonds de dotation Bayard - Agir pour une société du lien en est un bel exemple. Lors de journées conviviales, jeunes et seniors se retrouvent dans leur ville pour réaliser ensemble des missions de bénévolat et tisser des liens durables. En 2025, le programme a conquis 4 villes, plus de 200 participants de tous les âges et plus de 20 associations bénéficiaires. Au total, plus d’une centaine d’actions de bénévolat ont été initiées et surtout, des ponts durables ont été construits entre les générations.