L’immortalité sur une planète à l’agonie : le rêve cauchemardesque

L’immortalité sur une planète à l’agonie : le rêve cauchemardesque

L’immortalité fascine, mais à quel prix ? Entre promesses technologiques et planète à bout de souffle, la quête d’éternité révèle surtout notre incapacité à accepter la finitude. Pas vrai Michel ?
05 November 2025
par Marie Hazan
5 minutes de lecture

Michel Drucker semble en conserver secrètement la recette, pendant que des milliers de personnes en cherchent la clé : l’immortalité. Elle fascine depuis toujours, mais cette vie éternelle, est-ce une utopie ou une réalité ? Un rêve ou un cauchemar ? On se pose ensemble les bonnes questions pour la comprendre, et l’appréhender dans notre futur.

L’immortelle quête de l’immortalité

S’il y en a bien une qui n’est jamais morte, c’est la quête de l’immortalité. Depuis des millénaires, l’humanité rêve de vaincre la mort. Même le plus vieux récit du monde repose sur cette quête : l’Épopée de Gilgamesh est celle d’un roi obsédé par l’idée de vivre éternellement. 

Si de Gilgamesh à Qin Shi Huang en passant par les alchimistes du Moyen Âge, on remet cette immortalité à la nature, aux élixirs et à la pierre philosophale, aujourd’hui, on est entré dans une nouvelle dimension : la quête de l’immortalité, par algorithmes. La vie éternelle – ou du moins, la vie qui s’éternise un peu plus – est devenue un secteur économique à part entière : on parle de la “longevity tech”. 

Selon Polytechnique Insights, des centaines de laboratoires investissent des milliards de dollars chaque année dans la recherche de la longévité. Les Alchimistes contemporains cherchent à retarder le vieillissement et à réparer les corps comme on répare une machine. Ces Gilgatech des temps modernes, ce sont Elon Musk, Peter Thiel ou encore Bryan Jonhson, derrière des laboratoires comme Google Calico ou Altos Labs. 

Des « techno-optimistes » qui veulent utiliser la science pour repousser les limites du corps, sans prendre en considération celles de la planète.

Alors, qu’en dit la science ? 

La science fixe des limites : allonger la durée de vie, c’est possible. La rendre infinie, non. En 2021, le statisticien Anthony Davison affirmait que l’espérance maximale de la vie humaine ne pourrait pas dépasser les 130 ans - ce qui commence à faire beaucoup de bougies -. 

Bien qu’avec les progrès médicaux, le nombre de centenaires explose, les chances d’aller jusqu’à ces 130 ans restent quasi nulles. À ce jour, personne n’a d’ailleurs détrôné le record d’âge atteint par Jeanne Calment, qui s’est éteinte en 1997 dans la fleur de sa vieillesse : 122 ans. 

En parallèle, les recherches se multiplient : à l’université de Brown, des scientifiques sont parvenus à prolonger la durée de vie de souris de 25% en bloquant un gène du vieillissement ; une technologie de “ciseaux moléculaires” permet de modifier l’ADN pour intégrer des séquences d’espèces à longue longévité.Dans tous les cas, le résultat est le même : mourir plus vieux semble possible, mais ne pas mourir du tout reste utopique.

De l’autre côté du prisme, d’autres croient en une vision presque mystique des technologies. Ray Kurzweil, père spirituel des courants transhumanistes, prévoit un point de bascule en 2045. Selon lui, l’intelligence artificielle sera capable de stopper le vieillissement. Il décrit un futur dans lequel des nanorobots dopés à l’IA répareraient en continu nos organes, et éradiqueraient les maladies avant même qu’elles n’apparaissent. Il prévoit également de voir nos cerveaux couplés à des clouds. Flippant. 

Rêve à poursuivre ou cauchemar à fuir ? 

Même si l’utopie devenait un jour réalité, pourrait-on réellement être heureux de ne jamais mourir ? Dans la littérature, plusieurs auteurs se sont posés la question, et ont placé leurs personnages dans cette vie sans fin. Le moins que l’on puisse dire : c’est que ça me fait pas tant rêver, l’immortalité. 

Dans son roman “Le Grand Secret”, René Barjavel dresse les traits d’une humanité qui ne s’éteint pas… Et qui se retrouve ainsi confrontée à la surpopulation et à l’ennui éternel.

“L’immortalité engendre la paresse, parce qu’un immortel remet toujours à demain ce qu’un mortel aurait fait le jour même.”

Georges Wolinski

Vivre sans fin, c’est aussi risquer la pétrification sociale. S’il n’y a plus de mort, il n’y a plus de relief. Les dirigeants deviennent indétrônables, les fractures sociales se cristallisent, la société ne se renouvelle pas, les mentalités ne changent plus. S’il n’y a plus de morts naturelles, alors il n’y a plus que des morts violentes. Georges Wolinski disait de l’immortalité “elle engendre la paresse, parce qu’un immortel remet toujours à demain ce qu’un mortel aurait fait le jour même.”

Veut-on vraiment vivre pour toujours sur une planète qui meurt ? 

Et voilà : nous avons atteint l’apogée du paradoxe. Pendant que les milliardaires dépensent des fortunes dans des technologies énergivores et polluantes pour espérer vivre plus longtemps, la planète meurt. Nous voulons survivre dans un monde invivable. Et pire encore : pour survivre dans ce monde invivable, nous le rendons encore plus invivable. À ce point-là, ce n'est pas le serpent qui se mord la queue, c’est le serpent qui s’auto-mange en espérant ne jamais être mangé. 

Prolonger la vie humaine demande toujours plus de ressources, d’énergies et de matériaux, autrement dit : d'augmenter l’utilisation de tout ce qui détruit la planète. 

La quête de l’immortalité est aussi celle qui participe à l’accélération de la mise à mort du monde : un paradoxe vertigineux, ne se concentrant que sur l’Homme et son nombril. Pour espérer vivre éternellement, ne devrait-on pas commencer par faire en sorte que la première des immortalités soit adressée à notre Terre ? 

Aujourd’hui, nous sommes 8 milliards sur Terre, et nous sommes déjà face à des réalités environnementales terrifiantes. Rappelons-nous que la croissance démographique est un multiplicateur des problématiques environnementales. Dans un monde où les naissances se succèdent, mais dans lequel on ne meurt plus, on court vers une urbanisation de toute la nature, un manque de ressources accélérées, et une vie entière d’agonie. Waw, le rêve. 

Finalement, ne vaut-il mieux pas reposer en paix, que rester debout au milieu du chaos ? 

Face à ces millénaires de quête, et à la projection de ce que la vie pourrait être une fois le but atteint, ne serait-ce pas plus intéressant de nous contenter d’essayer d’accepter la mort ? 

La mort n’est pas une fin ou un échec : c’est le moteur même de l’évolution, du changement et du progrès. Passer une vie à profiter de la vie, plutôt qu’à chercher comment ne pas mourir, c’est peut-être la meilleure des solutions. Parce qu’à force de vouloir vivre toujours, on oublie juste de vivre, tout en tuant le vivant.

Sources : 

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