Exode urbain vers la cambrousse : un chemin écolo semé de grosses bûches

Exode urbain vers la cambrousse : un chemin écolo semé de grosses bûches

Louise a quitté Paris pour s’installer à la campagne parce que l’air est plus pur et l’herbe plus verte. Fausse bonne idée écologique ? Notre bêta testeuse fait le point.
19 November 2025
par Louise Pierga
6 minutes de lecture

Passer de Paris à un village de 4000 habitants, c’est comme passer d’un four à micro-ondes à un feu de bois : ça sent le naturel, mais ça prend une énergie folle. Entre la dépendance à la voiture, le chauffage XXL et les rêves de potager autosuffisant, la néo-ruralité est loin d’être aussi écolo qu’on l’imagine. Pourtant, elle ouvre une brèche, celle d’inventer d’autres manières de vivre, moins centrées sur les métropoles et plus ancrées dans le territoire.

Je vous avais déjà parlé de mes travaux de rénovation écolo (hésitez pas à me dire si je raconte un peu trop ma life afin que je ne prenne pas en compte cet avis). Pour poursuivre sur ma quête de néoruralité, on va se pencher globalement sur le concept de “vivre à la campagne”. D’abord ça veut dire quoi “la campagne” ? Construit sur le mot “champ” (d’où le nom de “campagnol” pour qualifier le rat des champs) le concept de campagne se définit surtout par opposition à la ville où, de fait, il n’y a pas de champs et encore moins de campagnol. Précisément, la ruralité se définit par le vide ou pour reprendre les termes de Alix Ricau “Historiquement, si on regarde les définitions de la ruralité dès le XVIIème, on la définit avant tout comme ce qui n’est pas la ville. C’est un espace sans, un espace qui est d’abord défini par la négative” (propos à retrouver dans le podcast LSD, La France rurale) En effet l’Insee définit désormais le “rural” par le niveau de densité d’une population. Donc la campagne en résumé, c’est là où y’a rien. Sympa, non ? Evidemment c’est loin de la réalité. Et la campagne telle que je l’entends dans cet article n’est pas représentative de toutes les campagnes.

Ce petit disclaimer étant dit, je précise qu’on parle ici de la transition grosse ville (Paris) > village (moins de 4000 habitants) et des changements qu’elle opère dans notre rapport à l’écologie. Comme toute personne de type trentenaire trop pauvre pour acheter à Paris mais suffisamment privilégiée pour investir dans une petite bicoque perdue-au-milieu-de-nulle-part-mais-si-possible-pas-trop-loin-de-la-capitale pour continuer à gagner du biff et payer les stères de bois qui nourrissent le poêle, j’ai acheté une maison de campagne et embrassé tous les clichés qui vont avec.

En s’éloignant des villes, on augmente paradoxalement ses émissions de carbone.

L’impossible divorce avec la voiture

Au départ le projet est limpide : sortir de la ville, se mettre au vert, retaper une maison pourrie avec des matériaux écolos, faire pousser des carottes dans mon jardin et voir mon chat galoper sur la musique de La petite maison dans la prairie. Non mais regardez-moi toute la verdure qui remplit ce beau paysage de vie, forcément ça veut dire que c’est écolo non ? BAH NON TRISTANE (mdr, néorurale mais humoriste avant tout). En s’éloignant des villes, on augmente paradoxalement ses émissions de carbone. D’abord en ce qui concerne les transports. Pas de bus ou de métro à l’horizon et si on fait bonne figure à vélo pour faire le trajets des courses au supermarché le plus proche, on a vite fait de céder aux sirènes du sans plomb 95 au bout de quelques mois. C’est pas pour rien que, sortis des villes, les trajets en voiture représentent 20% de l’empreinte carbone des Français. 


À ceci j’ajoute que la promotion “campagne” va généralement de pair avec un logement plus grand de type maison ; un logement moyen en ville avoisine les 30m2, sa superficie double en milieu rural. Or chauffer une maison toute seule c’est pas la même histoire qu’un appart pris en sandwich dans d’autres apparts. Quant à la boustifaille, si je voulais devenir autosuffisante alimentaire il faudrait que je cultive 200m2 de potager (pour avoir de quoi grailler toute seule). C’est pas avec ma botte de ciboulette et mes trois pieds de fraises que je vais adopter le survivalisme way of life. Soyons honnête jusque là, on est sur un zéro pointé en ce qui concerne mes ambitions écolo. Ma seule victoire c’est de coller à mon chat un collier à clochette pour éviter qu’il décime les populations d’oiseaux. Donnez-moi une médaille (ou une clochette, du coup).

Tout est une question de balance

Si je vis à la campagne il y a des postes d'émission incompressibles comme la voiture (ouiiiii on peut prendre une électrique, ouiiiiii on peut tout faire à vélo, mais soyons réalistes, on se contente surtout d’une vieille titine en espérant qu’elle tienne jusqu’au bout) et le chauffage (ouiiii on peut se contenter du chauffage électrique mais après un premier hiver et des factures à 500 balles par mois, on reprend vite goût à la bûche).

 En revanche, la nécessité de partir plus loin pour les vacances se fait moins ressentir. C’est d’ailleurs ce que démontre “l’effet barbecue”. Si les citadins ont beau avoir une empreinte carbone plus faible du fait de la mutualisation de leurs transports et du chauffage, ils auront des comportements plus énergivores notamment dans leur choix de vacances. Certes, c’est plus une tendance qu’une loi immuable, mais on peut s’en inspirer (limiter/arrêter la viande, oublier l’avion et regarder les spectacles de Swann Périssé en basse définition). Bref faut pas se limiter aux questions pratiques pour se projeter hors des villes.

La fin des villes 

Si cet exode rural n’est pas parfait du point de vue de l’empreinte carbone, il répond toutefois à une nécessité bien plus profonde. Quel avenir nous attend encore dans les grandes villes ? Surexposées aux canicules, dépendantes des arrivages alimentaires (Paris bloquée ne tiendrait que 5 jours sans approvisionnement avant qu’on envisage de rôtir nos chats). La ville au sens de métropole, symbole du capitalisme ravageur des derniers siècles à toutes les raisons de se nécroser. C’est pas moi qui le dis c’est Guillaume Faburel, un type qui s’y connait bien puisqu’il est géographe, prof à l’université et a écrit un paquet de livres aux titres éloquents : Métropoles barbares, Indécences Urbaines, Pour en finir avec les grandes villes… Pour lui, les grandes villes sont amenées à disparaître car leur poids environnemental est insoutenable. 

Oubliez nos considérations sur le chauffage et les transports. La bétonisation et la superficialisation des sols conséquentes à l’urbanisation des villes et de leurs périphéries sont dramatiques pour la biodiversité (d’où l’objectif de la loi Climat et résilience : zéro artificialisation nette d’ici 2050). Sur le plan sociologique aussi, la ville fragmente les classes, les places pour y vivre sont chères et le marché de l’emploi concentré dans les zones urbaines rend difficile notre éloignement... Pour Guillaume Faburel, les modes de vie métropolitains sont eux-mêmes un carnage : on consomme plus et le principe de mimétisme ostentatoire rend nos armoires remplies de choses inutiles. Sans compter que les grandes villes nous éloignent du politique ; on n’est plus au contact direct des dirigeants, on subit les choix, on est passifs. Je dis pas qu’à la campagne la démocratie est exemplaire mais les possibilités d’implication sont décuplées. Guillaume Faburel défend l’idée d’une désurbanisation de la terre, il faut démondialiser la ville et viser la “biorégion” : des villes de 30 000 habitants max (comme Cachan, Dreux ou Charenton-le-Pont) qui se construisent dans le respect de la nature et des saisons.

Sortir des villes ne devrait pas être considéré comme un fantasme bourgeois de retour à la terre mais être appréhendé comme une solution indispensable. Bien sûr, cet article ne cherche pas à convaincre les citadins pur jus. Ni à regarder la “jolie” campagne d’un air béat. Il est subjectif (JAVOU), teinté de mon expérience et de mon ressenti donc n’allez pas y déceler des consignes et toutes mes excuses s’il est empreint d’une naïveté post-citadine. Les “déceptions” d’ordre écologique de la néo-ruralité n’existeraient pas si l’exode urbain était massif et non limité à des résidences secondaires. C’est parce que la ruralité est moins dense qu’elle offre moins de services et attire moins de monde. Cercle vicieux contre lequel on peut lutter en y apportant ses projets, ses innovations, ses envies, son aide. Alors oui, pour tout ça, tant pis pour la bagnole.

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