Melissa-Asli Petit, docteure en sociologie sur le vieillissement, dirigeante de Mixing Générations, s’intéresse au temps qui passe, aux rides que l’on nous empresse de combler, au regard que porte la société sur ses aîné.es.
Réflexions et confidences sur le vieillissement qui se conjugue plus difficilement au féminin.
Vous vous êtes intéressée au vieillissement en pleine jeunesse, qu’est-ce qui vous a conduit sur ce chemin ?
Lorsque j’ai choisi d’étudier la sociologie du vieillissement, j’avais 24 ans. Au début, je trouvais que les plus âgé.es étaient stigmatisé.es et que la société ne valorisait pas assez leurs compétences. Mais mon histoire personnelle y est sans doute pour beaucoup dans ce choix d’orientation. Je suis née et j’ai grandi parmi des femmes, dont deux étaient âgées. Ma grand-mère, Gabrielle, a toujours vécu avec nous, tantôt dans la même rue, parfois à la maison. Sa sœur aînée, Tante Aline, était aussi présente. Lorsque je suis née, mémé avait 64 ans et ma grande tante 74 ans, ça m’a forcément marquée.
Qu’est-ce que ces femmes vous ont appris ?
Ma grand-mère, née en 1920, a divorcé lorsque ma mère avait 10 ans, notamment parce qu’elle était battue. En 1954 ce n’était pas courant de prendre une telle décision. Elle a dû refaire sa vie dans une chambre de bonne sans confort au 6e étage avec maman. Avec le recul, ma tante était un personnage assez folklorique et plein d’amour. Quant à ma mère, elle a été une mère célibataire dans les années 1980. Elle s’est séparée très rapidement de mon père, kurde de Turquie, qui est reparti vivre dans son pays natal. Il y avait chez ces trois femmes une énergie folle, elles se sont érigées seules, n’ont jamais rien lâché et ont surmonté les épreuves les unes après les autres. Ce sont des femmes libres, indépendantes, elles m’ont transmis cette force. Mémé m’a par exemple transmis sa gaieté, sa détermination, mais aussi son choix de ne pas se teindre les cheveux. Aujourd’hui, je regarde mes cheveux blancs comme une fierté.
Vous dites que vous avez choisi la sociologie pour comprendre le monde, qu’est-ce qui vous interroge aujourd’hui ?
La société a du mal à porter un regard objectif sur le vieillissement et particulièrement sur celui des femmes dont la principale injonction est qu’elles restent jeunes. Pendant ce temps-là, on ne se demande pas pourquoi les femmes de plus de 85 ans à petite retraite sont les plus isolées ? On ne cherche pas à comprendre les mécanismes qui se sont joués ? Comment prévenir l’isolement bien avant 85 ans ? J’ai 35 ans et je ne supporte plus de voir des femmes botoxées. Arrêtons de vendre de l’anti-âge, créons des produits qui sont faits non pas pour combler les rides mais pour les sublimer, qui révèlent nos propres vérités. Adaptons discours et propositions à la réalité.
Rendons belles nos mères et nos grands-mères pour que l’on soit fières de vieillir et que l’on ait envie de leur ressembler.
Vous venez de monter le Lab Project Re-Belles pour re-définir l’expérience du vieillissement et imaginer une société où chacun.e a sa place, c’est-à-dire ?
Avec cette initiative, co-fondée avec Mathilde Bourmaud, il s’agit avant tout d’apporter des connaissances sur les femmes, dont les femmes de plus de 50 ans, d’accompagner les entreprises dans la réalisation d’études, de diffusion de contenus, de création de supports de communication, de développement de solutions adaptées… Aujourd’hui, les marques mettent souvent tous les seniors dans le même paquet, quelle que soit leur vie passée ou leur niveau d’indépendance, cela crée de l’invisibilité. On considère uniformément les femmes d’un certain âge comme des personnes fragiles, on nie leur existence et leurs personnalités. Avec le projet Re-Belles, on souhaite réinterroger la question de l’âge et de l’expérience du vieillissement, par exemple nos rapports à nos premiers signes de l’âge. On pense vraiment que grâce à un regard plus juste et fier, que les plus jeunes porteront sur nos ainées, on acceptera un peu plus qui nous sommes dès maintenant. Re-Belles, c’est aussi faire évoluer les perceptions des représentations sur les âges, signaler ce qui n’est plus acceptable, exercer des micro-résistances du quotidien afin d’en finir avec les exigences qui pèsent sur chacun.e d’entre nous.
Dans une société idéale, comment doit-on, selon vous, considérer la vieillesse au féminin ?
Je souhaiterais que l’on aille vers plus d’inclusion, que l’on invite chacun.e à développer des liens avec des personnes d’âges différents. J’adorerais aussi que l’on crée des dynamiques transversales en faisant se rencontrer par exemple écologie et liens entre les générations. L’accélérateur d’innovation sociale de la Croix Rouge soutient les rencontres au Pot’agés qui créé du lien social grâce à des activités de jardinage multigénérationnelles, c’est ça l’avenir. Aussi, j’aimerais qu’au cinéma les femmes de plus de 50 ans ne soient pas toujours des grands-mères. En Angleterre Jane Fonda et Judi Dench font la couverture de Vogue. Je rêve de la même chose ici. Enfin, j’estime qu’on aura fait un vrai bond dans la considération des femmes âgées lorsque l’on arrêtera de dire ma petite dame. À 95 ans, on est toujours une femme dans toute sa beauté et sa complexité !