Dans nos cuisines, c’est la routine : au moment de débarrasser, on trie nos déchets. Mais sur un chantier ? Le réflexe est encore trop souvent : direction la déchet’ ! Conséquence, en France, 70 % des déchets produits proviennent du secteur de la construction. Ouvertes aux particuliers et aux pros, des matériauthèques naissent un peu partout en France. Ces lieux expérimentaux ont des modes de fonctionnement différents, mais une mission commune : éviter le gâchis quand on bâtit. On a poussé la porte d’Enfin ! Réemploi, pionnière de cette nouvelle économie circulaire ouverte en 2022. Sésame, ouvre-toi !
1/ Mode d’emploi - Suivez l’éco-guide
À la lisière du centre-ville de Chambéry, quand on pousse la porte du grand hangar, la première impression est familière : on se croirait partis pour une virée dans une grande enseigne de bricolage. Dans l’ancienne plateforme logistique du torréfacteur Folliet (le voisin), sont soigneusement classés par rayons boiseries, métaux, visserie, carrelage, sols souples, peinture… À la différence près que dans cette caverne d’Ali-Baba, tout a été sauvé de la benne pour être réutilisé. Avec leurs belles patines, leur état neuf ou leur look vintage, cette variété impressionnante de matériaux proposée à la vente peut donner corps à tout type de projet.
Cerise sur l’établi, les prix sont imbattables : « En plus de réduire les déchets du secteur, l’idée est de redonner du pouvoir d’achat et de la qualité à nos clients », souligne Astrid Magnin, coordinatrice filière réemploi Savoie, qui co-gère le lieu. « Notre objectif, c’est le flux. C’est pourquoi on vend les pièces 10 à 30 % maximum du prix du neuf. » Une aubaine pour les bricoleurs, les auto-constructeurs et les professionnels avertis qui viennent s’approvisionner ici. Les best sellers ? Parquet, lavabos, carrelage et les pierres naturelles comme ces ardoises qui finiront par exemple en joli paillage au jardin, une fois descendues des toits. Et pour éviter les déplacements (et le CO2) inutiles, un groupe WhatsApp a été créé pour organiser sa veille sur les perles recherchées.
2/ Assemblage - En mode collectif et social
L’idée de la création de cette matériauthèque chambérienne remonte à 2020. Elle est d’emblée soutenue par les collectivités locales et portée par un collectif composé d’acteurs variés, comme Les Chantiers Valoristes, Nantet Locabennes, Trialp, l’Ensam et Kayak architecture, engagés à différents niveaux dans l’économie régionale circulaire du BTP.
Enfin! Réemploi se distingue aussi par son engagement social. Sous le statut d’association de chantier d’insertion (ACI), le projet emploie en contrat d’insertion sept personnes éloignées de l’emploi. « Les salariés bénéficient d’un accompagnement personnalisé, développent des compétences en logistique, en gestion de stock, ou en vente, tout en participant à une initiative à impact positif, » reprend Astrid Magnin.
Cet écosystème vertueux repose sur de solides soutiens, des subventions publiques comme des mécènes privés, entreprises, banques… Après deux ans de gestation, l’ouverture au public a lieu en 2022. Depuis, doucement mais sûrement, de nouvelles habitudes sont prises. Un changement d’autant plus soutenu qu’avec la loi de 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi AGEC, les obligations légales favorisent toujours plus le réemploi pour les pros, sollicitant par exemple, la participation des entreprises à la gestion des déchets engendrés par leur activité. Les matériaux vendus sont ainsi apportés majoritairement par des maîtres d’ouvrage et des nouveaux acteurs comme la jeune entreprise Kloovis qui se charge de faire l’intermédiaire entre les promoteurs, les professionnels du bâtiment et la matériauthèque.
« On reçoit aussi des dons d’entreprises de déconstruction sélective, une nouvelle activité qui va être amenée à se développer et des surplus de production à l’état neuf ». Car toute matière neuve donnée à Enfin ! Réemploi permet désormais aux entreprises de bénéficier de crédits d’impôts.
3/ À l’usage - Efficacité et convivialité
Comme en friperie, l’impact de la matériauthèque savoyarde pourrait se compter au poids : 100 tonnes de PMCB (produits et matériaux de chantiers du bâtiment) ont été sauvés en 2023. 400 tonnes sont prévues pour 2024. Fin juin, la braderie a battu tous les records, avec 22 tonnes écoulées en 48h… Mais il serait réducteur de ne parler que data, car Enfin ! Réemploi n’est pas seulement un lieu où l’on achète des matériaux à petit prix. En proposant des ateliers de bricolage où chacun peut apprendre à gagner en autonomie, en hébergeant chaque semaine la permanence d’une association de prêt de matériel de bricolage entre particuliers, c’est un espace où repenser nos façons de consommer, de travailler, et de construire ensemble des home sweet home, mais aussi un avenir plus soutenable.