En vers (de terre) et contre tous

En vers (de terre) et contre tous

C’est pas compliqué si les vers de terre n’étaient pas là, on n’aurait rien à bouffer. Ça valait bien un article pour vous les présenter.
21 October 2024
par Louise Pierga
4 minutes de lecture

Ils sont petits, gluants, ils rampent et parfois ils grouillent. Il n’en fallait pas plus pour reléguer les vers de terre à la catégorie des indésirables. Pourtant ils sont absolument indispensables à la régénération des sols et mériteraient qu’on les considère davantage comme de fidèles collaborateurs que comme des créatures mollement dégoûtantes.

Histoire de vous convaincre en vous listant par le menu les nombreux pouvoirs des lombriciens, je me suis armée du savoir d’un spécialiste : Marcel Bouché, géodrilologue qui ressemble vachement à Harvey Keitel. Auteur d’un ouvrage de référence Des vers de terre et des hommes dont la majorité des informations ici sont issues. Bien que son vrai nom n’y soit pas utilisé, on retrouve cet étonnant Marcel dans le roman de Gaspard Koenig Humus, fiction drôlatique et enrichissante sur l’amitié terrible de deux étudiants à AgroParisTech qui s’emparent chacun de la cause des vers de terre à leur façon. Voilà vous savez le comment du pourquoi qui a mené à m’engouffrer dans un ouvrage scientifique sur l’utilité de ces petites bêtes.

À bas la confusion

Commençons par régler quelques malentendus. Le lombric est une espèce de lombricien et n’est en aucun cas un synonyme du ver de terre, disons qu’un lombric est un ver de terre mais un ver de terre n’est pas forcément un lombric. Quant à “Lombriciens”, c’est le nom scientifique donné aux vers de terre pour les distinguer de tous les autres animaux vermiformes qu’on nomme également “vers”. Oui je sais c’est confusant mais ça permet de faire la distinction entre les lombriciens et la vermine, les ténias et autres formes d’insectes parasites qui pourrissent leur réputation. On distingue trois familles de lombriciens :

  • Les épigés : ils vivent à la surface du sol et participent à la décomposition des déchets organiques type feuilles mortes, bouses de vaches et autres joyeusetés. Ils sont de la couleur de leur environnement pour ne pas se faire repérer par des volatiles gourmands.
  • Les endogés : ils ne sortent pas du sol (c’est pour ça qu’ils sont dépigmentés, ils s’en balek des prédateurs, Bruno Retailleau kesstuvafaire en faitch ?) et se baladent au niveau des racines, ils ingèrent tout ce que les épigés leur balancent comme déjections.
  • Les anéciques : c’est un peu les premiers de la classe. Ils sont grands parfois un mètre (WHAAAT mais on est dans Dune ou quoi ???) et ont la particularité de creuser des galeries verticales. Ils sont aveugles et pourtant ils tiennent compte de la durée du jour. Bref, ils se la pètent grave.

Et enfin finissons-en avec cette croyance selon laquelle un ver de terre coupé en deux égale deux vers de terre. Certes ils sont doués de paradiapause ce qui leur permet de régénérer un membre amputé et c’est déjà bien pratique mais n’allez pas les couper en mille morceaux dans l’espoir de créer une tribu.

Ver l’infini et l’au-delà

À en croire notre géodrilologue favori Marcel Bouché, les vers de terre sont nos meilleurs alliés et fournissent un travail phénoménal pour nous rendre la vie plus douce. Notons déjà que leur biomasse terrestre est 20 fois supérieure à celle des humains donc si les vers de terre ont un jour envie de se rebeller contre nous, je préfère pas être dans le périmètre…

Les lombriciens ont la particularité d’utiliser la terre comme gîte, mais aussi comme repas. En ingérant la terre et en la déféquant sous forme de turricules - ces petits zigouigouis terreux qu’on trouve à la surface sur sol, puis en la réingérant (vous avez quoi contre la coprophagie ?), ils effectuent un labourage naturel. On estime qu’un kilo de lombriciens laboure 270 kilos de terre chaque année. Pour cela, ils creusent des galeries à différents niveaux du sol, c’est d’ailleurs une des forces de ces petits bestiaux : leur interdépendance dans l’écosystème puisque chaque espèce de vers de terre va se répartir des strates du sol et les différentes tâches de fertilisation. C’est grâce à tout ce travail collaboratif que les vers de terre rendent la terre riche et fertile. En creusant des galeries, ils favorisent l’évacuation de l’eau par percolation, le sol étant “aéré”, il est en meilleure capacité d’absorption et bye bye les inondations.

Il va sans dire qu’on ne les aide pas beaucoup les petits lombriciens avec nos machines agricoles qui foutent en l’air leur habitat et l’artificialisation des sols qui anéantissent leur existence, c’est sûr que le béton ça se digère moins bien. Toutefois, ils ne manquent pas d’inventivité pour lutter notamment contre la sécheresse, certaines espèces s’urinent ainsi dessus pour éviter de finir en poudre. 

Pour survivre en milieu terrestre, ils sont également devenus hermaphrodites afin de faciliter leur reproduction. Mais leur grand pouvoir c’est surtout le système hydropneumatique annélidien : leur corps est constitué d’une suite de sphincters et une pression à un endroit sera transmise à un autre. Imaginez que je me fasse écraser la jambe gauche par un bus, eh bien ça me fera tout juste gonfler le bras droit. Et n’oublions pas que les vers de terre n’ont pas de dents (heureusement sinon, v’là le malaise) ce qui ne les empêche pas d’avaler n’importe quoi au fil de leur déplacement péristaltique. 

Ils disposent donc d’un gésier comme les oiseaux et peuvent ingérer et broyer les aliments sans se soucier de ce qui passe dans leur jabot. Il existe quelques rares endogés carnivores dénués de gésiers puisque a priori l’ingestion de ses congénères lombriciens ne nécessite pas de broyage. En revanche, ils sentent très fort une odeur camphrée pour éviter de se faire becter par leurs semblables, c’est bien pensé.

Vous savez ce qu’il vous reste à faire, ne les regardez plus de travers (de terre), Aristote ne se trompait pas en les nommant il y a 2500 ans les “intestins de la terre”.