L’écologie populaire c’est comme les bals, c’est un concept qui est accessible à tous et toutes et qui prend en compte les besoins et aspirations de chacun. Tout le monde doit pouvoir entrer dans la ronde. Et ça a commencé quand cette histoire ? On vous raconte en 5 dates.
Avant de commencer à remonter le temps, sans doute devrions-nous rappeler ce qu’est l’écologie populaire même si comme ça on imagine bien ce que ça pourrait recouper. L’écologie populaire donc, est un concept qui vise à rendre les questions environnementales accessibles et pertinentes pour toutes les couches de la société, en particulier pour les populations marginalisées ou défavorisées. C’est un peu l’inverse d’une approche élitiste ou technocratique de l'écologie, qui peut parfois se concentrer sur des enjeux globaux ou abstraits. Ce qu’on aime bien dans l'écologie populaire c’est qu’elle n’est pas bêcheuse, elle se préoccupe des impacts directs et quotidiens de l'environnement sur la vie des gens ordinaires. L’écologie populaire c’est un peu pour toi, pour moi et tous ceux qui sont seuls.
On pourrait d’ailleurs parler “d’écologies populaires”au pluriel tant elle peut prendre des formes différentes, de l’éco-geste individuel aux marches du climat, en passant par les innombrables projets locaux, portés par des quartiers, des collectifs… Et c’est là la grande richesse de cette écologie ancrée dans la réalité des “gens” qui la portent. Si certaines pratiques aujourd’hui revendiquées comme militantes, politiques, “engagées” existent depuis la nuit des temps, il est intéressant de creuser des moments clés où l’écologie s’est popularisée, où la pensée écologique s’est diffusée, où les pratiques, modes de vie se sont consciemment transformées pour devenir écolo-compatibles.
Mai 1968, quand l’écologie rencontre la justice sociale
“Ne prenez plus l’ascenseur, prenez le pouvoir”, “Enragez-vous”, “Prenons nos désirs pour des réalités”... En 1968, l’écologie n’est pas encore sur les pancartes mais les critiques de la société de consommation, du capitalisme, de la façon dont la société exploite la nature sont bien là. Avec elles, les premières réflexions entre environnement et justice sociale émergent. Est-ce là le début de l’écologie populaire ? Peut-être…
"On ne retrouve pas l'écologie stricto sensu dans les slogans de Mai 68, observe l'historien Alexis Vrignon, spécialiste de l’histoire des luttes pour l’environnement. Par contre, on retrouve la mise en cause de la société de consommation, de l'aliénation et des autorités d'une manière générale. Ce sont des caractéristiques qu'on retrouve par la suite dans les combats écologistes. Quand on conteste les centrales nucléaires, on s'oppose aussi à un État qui prétend imposer des décisions qu'on refuse."
Sur le pavé, on prend également conscience des inégalités sociales et des luttes pour les droits des travailleurs, des étudiants, et des minorités. On commence à comprendre que les questions écologiques et sociales sont liées, que les populations les plus vulnérables sont souvent les plus touchées par les problèmes environnementaux. Et puis le mouvement 68 permet à tout le monde de s’exprimer et popularise l'idée de la participation directe des citoyens dans les luttes sociales.
Pas étonnant que 3 ans plus tard, la longue lutte pour défendre le plateau du Larzac contre les projets d'extension du camp militaire reprennent ces fondamentaux. Brice Lalonde, ex-ministre de l’Environnement, explique : “On a voulu élargir la notion du bien-être. Il n'était plus simplement question de l'argent et du salaire, mais aussi du cadre de vie, du temps dont on dispose, des moyens que l'on peut avoir pour faire les choses par soi-même, etc. C'était déjà une contre-proposition générale sur l'organisation de la société”. Ainsi déjà en 1971, certains mouvements créaient des ponts entre la fin du monde et la fin du mois, entre la défense de la terre et la défense des emplois, etc.
1990, les syndicats américains s’en mêlent
De l’autre côté de l’Atlantique, les années 90 voient se développer l’environnemental justice. Le constat ? Les populations les plus pauvres sont systématiquement plus exposées aux risques environnementaux, comme les sites toxiques, les pollutions industrielles, et le manque d'accès aux ressources naturelles. La réponse ? Elles ne doivent ni faire les frais de la pollution environnementale ni de la transition écologique.
Parmi les premières actions pour remettre un peu de justice dans ce bas monde, au début des années 1990, le gouvernement fédéral américain crée un fonds pour la dépollution environnementale des sites industriels. En gros, il alloue des millions de dollars pour que les pratiques industrielles respectent à la fois les droits des travailleurs et les exigences environnementales. L’idée pour les ouvriers est de ne plus avoir à choisir entre avoir un emploi ou évoluer dans un environnement sain.
Quelques années plus tard, la même réflexion est menée et transposée au domaine du travail par deux syndicalistes américains, Les Leopold et Brian Kohler. Eux aussi pointent les dangers environnementaux auxquels les travailleurs sont exposés dans le cadre de leur emploi, comme l'exposition à des substances toxiques mais font aussi état des emplois perdus, du devenir de ceux et celles qui, pour des raisons écologiques, voient leur secteur professionnel démantelé et donc leur vie basculer. Visionnaires, n’est-il pas ?
Pour que la transition vers une économie plus verte ne reproduise pas les inégalités sociales, mais, au contraire, contribue à les réduire, Les et Brian demandent la constitution d’un fonds économique spécifique. « Nous proposons qu’un fonds spécial soit établi ; un fonds spécial pour la transition juste que nous avons appelé dans le passé un SuperFund pour les travailleurs. Pour l’essentiel, ce fonds fournira les prestations suivantes : un salaire complet et des avantages sociaux jusqu’à ce que le travailleur prenne sa retraite ou qu’il trouve un emploi comparable ; deuxièmement, des allocations pour frais de scolarité pendant quatre ans au maximum pour fréquenter des écoles professionnelles ou des établissements d’enseignement supérieur, ainsi qu’un revenu complet pendant les études ; troisièmement, des allocations ou des subventions post-éducation si aucun emploi à un salaire comparable n’est disponible après l’obtention du diplôme ; et quatrièmement, une aide à la réinstallation ». Transitionner d’accord mais sans laisser personne sur le carreau.
2010, et la lumière sur la transition juste fut
Si l'expression "transition juste" était déjà utilisée par les syndicats nord-américains dans les années 1990 pour décrire ce système proposé par Les Leopold et Brian Kohlerun pour soutenir ceux et celles contraints au chômage par des politiques de protection de l'environnement, ce n’est que récemment que l’expression « transition juste » fait son apparition dans les éléments de langage de toutes les grandes organisations internationales comme l’ONU, la Commission européenne… L’Organisation internationale du Travail (OIT) définit la transition juste en ces termes : “rendre l’économie plus verte d’une manière qui soit aussi équitable et inclusive que possible pour toutes les personnes concernées, en créant des opportunités de travail décent et en ne laissant personne de côté”. Joli programme !
2018, des paroles aux actes ?
En dehors de ce travail institutionnel crucial, les mouvements sur le terrain continuent. Comment ne pas mentionner sur cette ligne chronologique de l’écologie populaire le cas des Gilets jaunes. Si vous n’étiez pas encore né – bravo de nous lire à un si jeune âge – ou que vous ne vous rappelez plus ce qu’est le Mouvement des Gilets Jaunes, sachez qu’au départ c’est l’histoire d’une colère : des gens qui bloquent les ronds-points contre l'augmentation du prix des carburants automobiles due à la hausse d’une taxe (la TICPE de son petit nom). Au moment de l’émergence du mouvement, beaucoup de militants écolos s’insurgent contre ces “ inconscients”.
Et pourtant. D’une part les Gilets jaunes n’étaient pas moins écolos que le reste de la population, c’est en tout cas ce qu’atteste une enquête réalisée sur la région d’Occitanie intitulée L’Écologie depuis les ronds-points : 75 % des Gilets jaunes considéraient que le changement climatique était principalement dû aux activités humaines et que la lutte contre le dérèglement du climat devrait être une priorité politique (contre 73 % dans l’échantillon global). Ils ont exprimé une frustration face à des politiques environnementales qui semblaient ignorer les réalités économiques des classes populaires. En effet, l'augmentation de la taxe sur le carburant, bien que justifiée par le gouvernement comme une mesure pour réduire les émissions de CO2, a été perçue par beaucoup comme une charge disproportionnée sur ceux qui n'ont pas les moyens de changer de mode de transport ou de logement.
D’autre part, les blocages ont rapidement mis en lumière des enjeux démocratiques et déclenché des dispositifs inédits comme le « Grand Débat » ou, dans un deuxième temps, la Convention Citoyenne pour le Climat.
L’enseignement de cet épisode est clair : l’écologie ne peut être hors sol et ne pas prendre en compte les besoins et les capacités des personnes les plus vulnérables. Son application est aussi une question politique cruciale. Quelle méthodologie ? Quel processus de décision ? On pourrait presque émettre l’hypothèse que la forme est, ici, plus importante que le fond.
2024, sommes-nous (enfin) entrés dans le vif du sujet ?
Et aujourd’hui elle en est où l’écologie populaire ? Alors oui, le climat a été le grand absent des dernières joyeusetés électorales. Alors oui, il semble que les préoccupations des Françaises et Français aient évolué en quelques années. Et pourtant, à chaque événement d’actualité l’évidence revient. Pas de justice sans écologie. Pas d’écologie sans justice. Fin du monde, fin du mois, même combat !
En mai et juin 2023, Fatima Ouassak, membre du Front de Mères et cofondatrice de la Maison de l’écologie populaire Verdragon à Bagnolet, en France, organise une tournée de conférences sur ce sujet. Dans le même temps, Féris Barkat fondateur de Banlieues climat s’invite à l’Élysée et dans tous les médias pour faire entendre la voix des quartiers populaires. “La question climatique est un outil pour remettre en cause les injustices dans les quartiers qu’on a normalisées : le fait qu’on ait moins d’espaces verts, des logements mal isolés, etc. Il faut renverser tout ça sinon c’est ici qu’on subira les conséquences plus qu’ailleurs.”
Quelques mois plus tard, partout en Europe et chez nous en France, la crise agricole posait une question claire : va-t-on continuer de soutenir des modèles qui opposent environnement et justice sociale ? Nos élus auront-ils le courage de mener une réflexion de fond sur tout cela un jour ? Le chemin de l’écologie populaire est encore long.
Sources :