Pour préserver la forêt, stop aux likes de chimpanzés

Pour préserver la forêt, stop aux likes de chimpanzés

Tous les animaux trop choupis sur les réseaux sociaux ne sont pas bons à liker. Anaïs Thérond nous raconte comment ne pas alimenter le trafic d’animaux sauvages, chimpanzés en tête, avec des pouces levés.
25 September 2024
par Hélène Binet
5 minutes de lecture

C’est le genre de contenus Instagram ou TikTok qui font des ravages : un bébé chimpanzé tout habillé en train de boire une canette de Coca, avec des rondelles de concombre sur les yeux ou dans un bain moussant. Derrière ces vidéos soit-disant trop mignonnes, un véritable trafic de faune sauvage pas du tout cute. Anaïs Thérond, entrepreneuse engagée et conférencière, en charge du développement européen d’Akatia est partie vivre plusieurs mois en forêt pour protéger des chimpanzés en Côte d’Ivoire. Elle nous raconte comment un like n’est pas toujours une preuve d’amour.

En janvier 2024, tu as rejoint l’association Akatia pour réapprendre la vie sauvage aux primates issus du trafic et du braconnage. C’est quoi le problème concrètement avec ces animaux qu’on retrouve notamment sur les réseaux sociaux ?

Ce n’est pas un sujet dont on parle souvent mais le commerce illégal de plantes et d’animaux terrestres et marins est particulièrement juteux et préjudiciable pour la biodiversité. Selon la revue Conservation nature, “chaque année, ce sont environ 600 millions de requins et poissons tropicaux, 56 millions d'animaux à fourrure, 6 millions d'oiseaux, 2 millions de reptiles et 30 000 primates qui sont exposés au braconnage et tués pour leurs écailles, leurs ailerons, leur fourrure, leur ivoire ou leurs cornes.” Pour le WWF,  “le commerce illégal de plantes et d'animaux terrestres et marins rapporterait plusieurs milliards d'euros par an aux réseaux qui l'orchestrent.” Les chimpanzés font les frais de ce trafic, on les chasse, on les braconne en masse pour les vendre à des zoos privés, des labos de recherche, des particuliers en quête d’animaux de compagnie, des amateurs de viande de brousse ou des influenceurs. Résultat, en 50 ans 70% des grands singes ont disparu. À cette allure, il n'y en aura plus dans 15 ans. Les chimpanzés sont les jardiniers de la forêt. Avec leurs excréments, ils régénèrent tout cet écosystème. S’ils venaient à disparaître, la forêt en prendrait encore un sacré coup.

Comment s’organise ce trafic de chimpanzés ?

Le trafic de chimpanzés est incroyablement bien organisé, c’est un trafic mondial, corrompu comme celui de la drogue et des armes. Rappelons à ce titre que le trafic des espèces sauvages est au 4e rang des activités criminelles transnationales les plus lucratives, après le trafic de drogues, de contrefaçons et d'êtres humains. Il représente 190 milliards de dollars par an.

Pour acheter un chimpanzé, les réseaux de distribution sont là encore les mêmes que ceux de la drogue. La vente se fait par messenger, snapchat, sur les réseaux sociaux. Un bébé chimpanzé peut être vendu 100 000 euros, un bébé gorille 500 000.

Au bout de la chaîne, il y a les braconniers. Comment font-ils pour prélever des singes dans la nature ?

Pour les braconniers, l'exercice est relativement facile. Pour attraper un bébé chimpanzé, il faut tuer la mère et récupérer le petit sur son corps. En effet, une mère chimpanzé allaite son bébé, parfois pendant plus de 5 ans, et ne le quitte jamais. Il s’agit ensuite d’exterminer les 10 adultes qui essaient de protéger le petit qui une fois dans les mains des braconniers a 1 chance sur 10 de survivre aux conditions de transports. Bref, c’est un vrai carnage.

Un des “usages” de ces chimpanzés volés à la nature est de les mettre en scène dans des vidéos sur les réseaux sociaux. Ça paie bien un reel avec un primate dedans ?

Pour rentabiliser leurs achats, les zoos privés proposent au public des photos avec des primates pour 500 euros. Très populaires, certains comptes Instagram proposent même des créneaux pour venir jouer avec.

Photo screen du site https://www.docantlespreservationstation.com

De leur côté les influenceurs monétisent leurs vidéos. Certains peuvent gagner entre 500 et 2000 dollars pour une heure de live. Ils se prennent en vidéo avec des animaux sur eux, ils les câlinent, les mettent sous la douche, ils leur donnent plein de trucs à boire et à manger, parfois les font fumer. Ils inventent souvent des histoires de faux sauvetage ou se présentent comme des héros de la conservation.

Dans les vidéos, on voit souvent les chimpanzés en train de sourire, ce n’est pas parce qu’ils sont heureux, cela signifie au contraire qu’ils sont en situation de peur ou d’agressivité. 

Ces types de contenus paraissent adorables, mais leurs impacts sont aussi graves qu’invisibles aux yeux des internautes. 

L’association Akatia récupère ces singes braconnés ou détenus comme animaux de compagnie et les réacclimate à la vie sauvage, est-ce facile de revenir à la forêt quand il en a été extrait ?

Dans l’association on vit au plus près des conditions naturelles des animaux pour leur apprendre à revivre dans ce milieu. Dans notre camp, il n’y a pas d'électricité, pas d’eau potable, ni de réseau, c'est très sommaire. Nous sommes en pleine forêt ivoirienne ! Il y a des bébés chimpanzés qui viennent d’arriver et d’autres qui ont une trentaine d’années. Le rôle de l’association est de leur offrir un environnement sécurisé où ils peuvent se rétablir de la violence qu’ils ont endurée, se reconstruire, se réhabiliter, et éventuellement retourner à la vie sauvage si leur condition le permet. 

Lorsqu’ils arrivent au sein des sanctuaires Akatia, les animaux sont bien abîmés. En plus du traumatisme psychologique de la séparation violente avec leur famille, beaucoup présentent des blessures physiques telles que des plaies causées par des plombs de fusil ou des machettes. Certains ont été transportés et enfermés, plusieurs jours, dans des sacs plastiques, des cages en bois, des sacs à dos, sans nourriture ni lumière du jour. Globalement, il faut des dizaines  d’années de réhabilitation, avant que de pouvoir possiblement les relâcher. Mais ça ne marche pas à tous les coups ! Et encore faut- il que les forêts soient assez protégées et grandes pour cela. Or, aujourd’hui, les forêts sont menacées par la déforestation, le braconnage, et l’expansion de l’urbanisation. 

Le plus efficace est donc de ne pas encourager ce braconnage et c’est là que nous, êtres trop sociaux, avons un rôle à jouer. Globalement, on fait quoi sur nos écrans ?

  • La première chose à faire est de ne pas liker ce type de contenus, de ne pas les partager, de ne pas faire de mêmes.


  • Il faut aussi signaler ces vidéos (pour maltraitance animale ou vente de produits illicites). 

Pour cela deux méthodes :

  1. aller sur la publication > signaler > vente ou promotion d’articles restreints > animaux > envoyer. 
  2. aller sur la publication > signaler > violence, haine ou exploitation >maltraitance animale > envoyer 


  • C’est bien également d’aller sur les live TikTok pour dézinguer les influenceurs en commentaires en pointant tout ce trafic et cette maltraitance et alerter les personnes qui regardent ce genre de vidéos.


  • Vous pouvez aussi soutenir les structures qui s’occupent de ces animaux comme Akatia, Chimpanzee conservation center, Jack Primate sanctuary, IFAW… 


  • N’hésitez pas à interpeller les plateformes sur leurs responsabilités en tagguant en masse @instagram sous certains contenus problématiques 


  • Utilisez les #primatesarenotpets #OfflineAndInTheWild qui permettent de dénoncer ces vidéos 


  • Aussi apprenez à reconnaître les contenus qui ne devraient plus circuler, ce sont ceux où les bébés animaux sont sans leurs mères, où ils sont des interactions humaines, où ils sont mis en scène dans un environnement qui n’est pas naturel, où il y a d’autres animaux sur la vidéo qui n’ont rien à voir comme des félins par exemple. Enfin, les selfies de chimpanzés sont forcément suspects.

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