Et ta mer t’y penses, demandait il y a quelques années Greenpeace. À quelques jours de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan, un petit point marin s’impose pour savoir qui prend soin de notre mère mer ? Spoiler : c’est pas jojo.
Aujourd’hui, j’ai passé une journée agréable en respirant de l’oxygène, une activité qui me comble au quotidien, dans un climat printanier certes chaud mais encore habitable. Merci qui ? Merci l’océan, injustement oublié derrière les forêts - elles-mêmes peu respectées, il est pourtant le poumon de la planète et la condition principale de notre modeste existence terrestre. C’est sans doute là le problème. À force d’être terriens, on ne comprend rien à l’océan et on le malmène sans la moindre considération. Le 9 juin prochain aura lieu à Nice l’UNOC (Conférence des Nations Unies sur l’Océan). Un événement majeur pour l’avenir de nos mers. L’occasion ou jamais de faire un petit bilan (sélectif) des pires crasses qu’on leur fait.
Deep sea mining
Seum océanique 50/100 (parce qu’à ce jour on en est “que” à une phase de test et c’est déjà dramatique)
En anglais ça sonne bien, on dirait le prochain blockbuster de James Cameron. On parle pourtant de l’exploitation minière des fonds marins et ça n’a rien d’un film. Les profondeurs de l’océan n’ont pas de bol, elles regorgent de trésors : cobalt, lithium, nickel, cuivre et tout un tas de métaux rares qu’on retrouve dans des nodules polymétalliques. Des cailloux qui ont mis des millions d’années à se former et que cette industrie naissante envisage d’aller ratisser à l’aide de moissonneuses-batteuses géantes. En remuant ces sols à plusieurs milliers de mètres de profondeur, ces machines créeraient des nuages de sédiments radioactifs qui risquent bien de chambouler toute la chaîne alimentaire et de détruire quelques écosystèmes entiers au passage. Un tel projet mettrait à mal le précieux rôle de puits de carbone que joue l’océan et qui mérite de loin une Palme d’or.
Paradoxe désopilant : The Metals Company, l’entreprise canadienne à l’origine du projet (anciennement appelé Deepgreen, LOL x MDR) avance l’argument de la transition énergétique. En effet, tous ces petits métaux rares cachés dans les nodules polymétalliques servent à fabriquer des batteries de véhicules électriques. Un prétexte largement débunké par la communauté scientifique qui rappelle que ces matériaux sont de toute façon en quantité insuffisante pour répondre aux besoins et le rapport bénéfice/risque est nul. Comprenez : le jeu du chalut n’en vaut pas la chandelle du nodule.
C’est donc prouvé : tout le monde n’a qu’à y perdre. Alors pas de quoi en faire un fromage on en parle plus on oublie cette sombre idée, non ? Sauf que… Donald Trump a signé début mai 2025 un décret autorisant l'exploitation des fonds marins des États-unis, mais aussi des eaux internationales (qui ne dépendent en principe d’aucun état), faisant ainsi fi de l’AIFM (Autorité internationale des fonds marins, instance de l’ONU dont les États-unis ne sont mêmes pas membres) et des 40 pays s’opposant à cette exploitation. GÉNIAL SUPER TOP MERCI ON EST RAVI.
L’anguille sous roche des Aires Marines Protégées
Seum océanique : 80/100 (parce que si elles étaient respectées, ça serait vraiment utile)
Les AMP de leur p’tit nom, sont dédiées à la protection et la restauration des écosystèmes. Si l’on en respecte la définition stipulée par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature, ces zones excluent donc toute forme de menace y compris la pêche industrielle. Elles seraient très efficaces… si on en respectait les règles. Par exemple, seuls 0,1% des AMP de la Méditerranée sont réellement protégées en France.
En effet, les AMP ne peuvent pas faire de miracles si la pêche est autorisée à leurs frontières, rapport au fait que les poissons ne connaissent pas le concept (sont cons eux aussi à ne pas avoir de passeport). Ensuite, depuis 2022, les États signataires de la COP15 se sont engagés à protéger 30% de leur territoire maritime. Nous voilà donc partis pour instaurer des AMP à tout va, quand bien même elles n’ont d’AMP que le nom. Ces zones peu encadrées dans les faits continuent d’être ravagées par la pêche industrielle dans le plus grand des calmes (on en parle juste après). Enfin, les AMP n’échappent pas aux joies de l’administration française, joyau kafkaïen s’il en est. Étant donné qu’il existe 18 statuts de protection, à la fin on ne protège plus grand chose.
Lire aussi → Les aires marines protégées expliquées à ma fille
Surpêche et pêche interdite : on navigue en eaux troubles
Seum océanique : 100/100
Avec la pollution, le réchauffement climatique et l’acidification des océans, la surpêche constitue une des principales menaces de l’océan. Les méthodes les plus destructrices sont nombreuses et les limitations peu contraignantes. En cause bien évidemment la pêche industrielle et vous allez rire mais il n’en existe pas de définition officielle (vous rigolez bien pas vrai ?) : certaines qualifient les navires qui transforment leurs poissons pêchés à bord, d’autres le sont juste par rapport à la taille du bateau… C’est forcément plus difficile de lutter contre un mal qu’on ne sait pas exactement qualifier. On peut toutefois citer quelques techniques trop choupi propres à la pêche industrielle (plus ou moins synonyme de surpêche) :
- Le fileyeur : le navire dépose un filet dans les fonds marins ou à la dérive et vient le relever plus tard (une pratique qui buterait entre 5000 et 10 000 dauphins chaque année en France).
- Le chalut-bœuf : un chalut est traîné à deux bateaux. Plus grand, il a aussi le mauvais goût de ratisser tout sur son passage.
- La pêche électrique : interdite depuis 2021 (YAY), elle consistait à balancer des décharges dans le sédiment pour capturer la faune qui s’y enfouit. Une technique défendue car moins coûteuse en énergie, faut savoir ce qu’ils veulent les écolos en fait.
- Le high grading : cette technique (illégale) consiste à sélectionner les poissons les plus rentables et rejeter à la mer les autres pour faire de la place (blessés ou morts le plus souvent). Parfait pour maximiser les profits, c’est toutefois interdit parce que ça ne respecte pas les quotas (je vous explique dans 2 minutes de quoi il en retourne).
- La senne démersale : pratiquée par les chalutiers néérlandais, ces navires déploient une nasse sur plusieurs kilomètres qui emprisonne les poissons. Cette technique présentée comme vertueuse (les lobbyistes n’ont peur de rien), n’est évidemment pas sélective. Elle devait être interdite en France en 2022, mais le gouvernement s’est finalement aligné sur le Comité National des Pêches Maritimes (la FNSEA de la pêche, en gros) qui défend les industriels de la pêche néerlandaise… qui ont racheté toute la flotte française (je vous explique dans 4 minutes le problème avec ce beau pays).
Les Pays-Bas c’est quoi le problème ?
Quand on se plonge dans les problématiques de surpêche, on se confronte inéluctablement aux chalutiers néérlandais et laissez là tout imaginaire folklorique. En France on a un système de quotas : chaque bateau peut pêcher une certaine quantité de poissons. Manque de pot, les Pays-bas ont racheté plein de flottes françaises (idem pour la Grande Bretagne, l’Allemagne, l’Espagne…) et leur quotas qui vont avec. C’est ainsi que le pays a trusté la pêche industrielle en Europe ne laissant aucune place à la pêche artisanale. Sur certaines espèces, le pays possède 100% des quotas ! Les industriels hollandais se targuent ensuite de revendre ces poissons à faible prix en Afrique dans des régions qu’ils ont eux-mêmes pillées. Pire que tout, ce sujet est un véritable tabou. Un pêcheur qui lève le doigt contre cette injuste répartition risque de se voir supprimer ses propres quotas déjà faibles.
Le cas du thon en boîte
Seum océanique : 80/100
On reste dans le sujet de la pêche pourrie parce que dans le genre, la pêche thonière mérite une place sur le podium. Elle est issue principalement de l’océan indien et les pêcheurs industriels français et espagnols monopolisent la zone en pêchant à eux seuls 50% du stock de thon pendant que les pays côtiers n’ont droit à rien. Petite truculence en sus : cette situation est due aux APPD, les Accords de Partenariat dans le domaine de la Pêche Durable. Comme quoi, un joli nom peut cacher les pires injustices. Encore plus quand elles sont organisées par les lobbies de l’Union Européenne qui prouvent que le néocolonialisme se marie à merveille avec la destruction de la biodiversité… Malheureusement, ce n’est pas le seul problème du thon, poisson le plus consommé en France et en Europe.
Une enquête a révélé qu’il contenait deux fois plus de mercure que les limitations autorisées, soit 1 mg/kilo (certaines conserves de thon contiennent même du méthylmercure, une forme encore plus vénère). Or le mercure, on le rappelle, est toxique au même titre que l’arsenic. Sa présence dans l’eau est le résultat d’activités minières et le thon étant un superprédateur, il multiplie la dose en ingérant des proies elles-mêmes contaminées. C’est le phénomène de bioaccumulation.
Mais alors comment se fait-il que la vente du thon contaminé en boîte soit légale ? Allez donc remercier la commission européenne qui se repose sur un ouvrage de référence : le codex alimentarius. Cette bible de la bouffe (pas ultra fun à lire je vous préviens) livre absolument les normes de tout ce qui est de l’ordre du comestible. Le document est produit et mis à jour avec le concours de scientifiques, associations de consommateur mais aussi des représentants du secteur agroalimentaire. En ce qui concerne les normes de limitation du mercure, on a vite vu que ça allait foutre un bordel dans l’économie du thon, un groupe a donc été chargé d’en établir une norme spécifique (groupe comprenant des industriels hyper vertueux genre Unilever ou Coca-Cola). Voilà comment le thon a eu le privilège de passer entre les gouttes pour se retrouver dans nos assiettes afin d’ajouter une bonne dose de perturbateurs endocriniens à notre alimentation. P’tite cocasserie en sus : la législation est beaucoup plus stricte en ce qui concerne le thon destiné aux animaux domestiques dont la dose de mercure maximale autorisée est 3 fois moins élevée.
PS : déconnez pas et foncez voir cette enquête édifiante signée Bloom. Je vous parle sur le thon que je veux d’abord (désolée c’est l’intox au mercure qui me donne la maladie des jeux de mots nuls).
Et du coup, on fait quoi ?
Aussi désespérant que puisse paraître le paysage actuel des aires marines, il existe quelques leviers d’action. D’abord au niveau de la pêche. Didier Gascuel, professeur en écologie marine, prône l’idée d’une sous-exploitation de la pêche. Dans son ouvrage La pêchécologie – Manifeste pour une pêche vraiment durable, il défend une redistribution des quotas de pêche en fonction de leur utilité sociale (eh oui la petite pêche côtière crée bien plus d’emploi que la filiale industrielle) et la mise en pratique de techniques de pêche non néfastes (casier, plongée, filet avec des mailles plus larges).
Au niveau individuel, on peut aussi agir. Certes on peut consommer moins de poissons d’une part (sans les remplacer par de la viande pitié) et surtout privilégier des espèces moins exploitées. L’ONG Bloom conseille de laisser tomber le saumon, la crevette, le thon et le cabillaud mais recommande le merlu, la tacaud, le merlan bleu, les anchois et les sardines. Bref, dites adieu aux plateaux de sushis. Quant aux labels “pêche durable” ils sont à ce stade encore peu fiables.
Vous pouvez aussi vous en remettre à Poiscaille, une AMAP de la mer qui propose un système d’abonnement sans engagement avec un panier de produits issus de la pêche artisanale. L’association Pleine mer milite également pour la pêche artisanale et livre une carte des points de vente de produits de la mer pêchés dans des conditions respectueuses.
À lire, à voir, à écouter :
- Le documentaire de Charles Villa (parfois ça sert d’avoir 800k d’abonnés) J'ai enquêté sur le scandale de la pêche industrielle
- Le manifeste de Didier Gascuel La pêchécologie – Manifeste pour une pêche vraiment durable (ed. Quae)
- La BD On a mangé la mer, de Maxime de Lisle (ed. Futuropolis)
- Cette série podcast de 8 épisodes “L’océan, notre sauveur”, De cause à effet (France Culture)
- Suivre et soutenir l’ONG Bloom qui fait énormément de pédagogie sur tous les enjeux maritimes et n’échappe pas aux intimidations pathétiques des lobbies comme le relatait ce récent évènement.