Moins de 6 Français sur 10 pensent que la terre se réchauffe et que ce phénomène est dû à l’être humain. Alors qu’on voyait l’urgence d’agir et de nous remettre en cause gagner du terrain à la fin de la dernière décennie, il semble que les dernières années et le contexte actuel entraînent une marche-arrière catastrophique des consciences. Mais de quoi parle-t-on exactement quand on dit “climatosceptique” ?Enter some text...
Sceptiques, vraiment ?
Climatosceptique. Vous obtiendrez cette noble appellation si vous faites partie de ceux et celles qui “mettent en doute les théories les plus répandues concernant le réchauffement climatique”, d’après le Petit Robert. Sur le papier, ces personnes ne nient donc pas la réalité du réchauffement climatique, c’est plutôt la part de responsabilité humaine dans le changement climatique qu’elles contestent. Et encore, la palette climatosceptique est très large et peut, selon les discours et les personnes, prendre des formes bien différentes.
Ces derniers temps, le thème du climatoscepticisme est un atout de taille pour faire parler de soi et “créer le buzz”. Vous avez sûrement entendu parler de Naomi Seibt, cette Youtubeuse d’à peine 20 ans, physiquement proche de Greta Thunberg, philosophiquement beaucoup moins. En effet, cette allemande considère que le changement climatique est surestimé, qu’il ne faut surtout pas paniquer et c’est ce message qui a fait d’elle un croustillant objet médiatique, un symbole anti-Greta Thunberg. C’est d’ailleur le Heartland Institute, un think tank conservateur, qui avait eu l’idée de se choisir une égérie ressemblant à son adversaire suédoise pour porter un discours ouvertement climatosceptique. Bon.
Mais avant de se pencher plus en détails sur ces personnes dites climatosceptiques, revenons d’abord sur le terme en lui-même. Climato-sceptique. Le sceptique, en philosophie, c’est celui ou celle qui doute d’abord, pour comprendre ensuite. C’est le fameux doute méthodique de Descartes que vous aviez peut-être découvert au lycée. Sa règle à lui était au départ toujours la même : “révoquer en doute tout ce qui n’est que vraisemblable.”. Depuis l’Antiquité, on sait qu’un esprit en forme, c’est un esprit qui questionne, qui creuse. C’était le cas de grands penseurs comme Pyrrhon (IIIe siècle av. J.-C.) ou Sextus Empiricus (IIe siècle après J.-C.).
Mais alors, est-ce avec cette même rigueur intellectuelle que Donald Trump affirme “il fait froid et il neige à New York. Nous avons besoin du réchauffement climatique” ? A priori…non. Quand le milliardaire américain et tant d’autres s’activent pour introduire le doute dans la pensée, pour nier l’existence de la vérité, ce n’est pas la même chose qu’un chercheur qui, par prudence et humilité, suspend son jugement faute de conclusion claire sur un sujet encore en cours de réflexion. L’un recouvre le réel d’un brouillard et fait naître le trouble, le soupçon, l’autre tente de repérer une éclaircie pérenne au milieu du brouillard.
Il y a donc, comme souvent, une première bataille qui est celle des mots. Notez bien : si la suite de cet article continuera d’utiliser le terme “climatosceptiques”, c’est bien de “climatodénialistes” ou de “climatonégationnistes” dont on devrait parler.
Que disent les climatosceptiques ?
L’argument phare de ces personnes c’est de dire qu’il n’y a à ce jour aucun consensus réel de la part des scientifiques pour affirmer que l'être humain est responsable du bazar climatique en cours.
Pourtant des chiffres, relativement solides, il y en a. Sur le site des Nations-Unies par exemple, on apprend qu’une étude de 2021 a révélé “un consensus de plus de 99 % sur l’origine anthropique des changements climatiques dans la littérature scientifique évaluée par les pairs”. En gros 99% d’articles examinés par des experts du même domaine avant publication affirment que l’humain fait bel et bien partie de l’équation. À titre de comparaison, on est aujourd’hui autant sûr du rôle de l’humain dans le réchauffement climatique qu’on est sûr de la théorie de l’évolution…
Oui, mais. Tant qu’il y a des exceptions, on s’y accroche. Et des scientifiques, reconnus, qui questionnent l’immense majorité de leurs collègues, on en trouve. Ils sont largement cités sur les plateaux télés et les réseaux sociaux comme garants héroïques de la Vraie Vérité. Parmi eux, il y a des Prix Nobel, Ivar Giaever et Kary Mullis mais vous avez peut-être aussi entendu parler de Richard Lindzen ou Claude Allègre et Jean-Claude Pont en France. Il y a même des scientifiques du GIEC, comme Richard Courtney, relecteur expert du GIEC, qui affirme qu'il n'existe aucune preuve convaincante d'un réchauffement climatique causé par l'homme. Nous voilà bien.
À partir de ces quelques figures, un discours émerge donc dans la population. S’il n’est pas uniforme et que chacun le fait un peu à sa sauce, on retrouve certains arguments un peu partout, notamment :
- Le CO2 n’a pas une grande influence sur la température du globe,
- La planète se réchauffe ou se refroidit naturellement, on n’y peut rien,
- Ce sont les fluctuations de l'activité solaire qui réduiraient l'ionisation de l'atmosphère ou entraîneraient des bouleversements de température.
- Le climat est un outil qu’utilisent les élites pour conserver le pouvoir ou version Trump, “le concept de réchauffement climatique a été créé par et pour les Chinois pour rendre l’industrie américaine non compétitive”.
De plus en plus nombreux climatosceptiques ?
C’est tentant quand on y pense. Comment ne pas tenter par tous les moyens de lire le réel différemment aujourd’hui ? Comment accepter les scénarios apocalyptiques que décrivent les chercheurs ?
Daniel Boy, directeur de recherches à Sciences Po et co-directeur d'une enquête d’opinion publique internationale, “L’Obs’COP” nous explique que “l’ampleur de la catastrophe est [aujourd’hui] telle que beaucoup de gens sont en état de sidération. Ce qui vient alors à l’esprit, c’est de se dire que la nature est devenue folle”. Une sorte de courroux des dieux du ciel qui pourrait expliquer la tendance actuelle climatosceptique.
Dans cette même étude, un paradoxe survient. Sur l’année 2022 le sentiment d’être témoin du changement climatique, notamment en France, augmente fortement. Jusque-là, c’est cohérent vus les épisodes extrêmes de l’année en question (feux de forêt, fortes sécheresses, épisodes caniculaires…). Et puis Daniel continue : “Quand on a vu ce qui s’est passé pendant l’été 2022, […] on s’est dit qu’il allait y avoir une montée incroyable de l’inquiétude des gens, et un renforcement du sentiment que les activités humaines ont induit un certain nombre de dégâts”... Et en fait, non.
2022 ou pas, épisodes extrêmes ou pas, le climatoscepticisme dans les têtes humaines semble suivre une courbe croissante. D’après cette étude, la vague aurait progressé de 8 points en France. Sur les trente pays sondés, la France est le sixième pays dans lequel le doute sur l’origine humaine du changement climatique a le plus augmenté. Un nombre grandissant de personnes “considèrent que ce phénomène résulte d’un processus naturel, qu’il est inévitable et finira par se réguler” explique l’autre co-directeur de l’étude, Didier Witkowski,
La dernière édition de la vaste enquête «Fractures françaises» reprise par Vert Le Média, donnait le même son de cloche en 2023 :
Mais alors pourquoi le climatoscepticisme augmente ?
La question est cruciale, les réponses multiples.
Au premier plan, on a envie de mentionner la bataille culturelle et le rôle immense que jouent les médias sur toutes ces questions. Alors oui il y a du bon, comme la formation au climat des 1 240 journalistes du groupe France TV, comme le JT Météo Climat, etc. Pour Laurent Cordonier à Reporterre, la profession commence également à se réguler, notamment à travers la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique.
Mais de l’autre côté, la brise négationniste est en train de devenir bourrasque. Et il n’y a pas que Pascal Praud et Hanouna qui s’amusent de ces questions avec leurs chroniqueurs. Le Figaro a par exemple récemment publié plusieurs articles qui remettent en cause l’analyse du Giec.
L’autre élément majeur pourrait bien-sûr résider dans les urgences ajoutées aux urgences. Les conflits ukrainien, israelo-palestinien, les retombées de la crise sanitaire, la fracture sociale apparue très nettement lors de nos dernières élections en France et en Europe, tout cela renforce l’inquiétude et ne laisse souvent d’autre choix que de se concentrer sur le quotidien, la fin du mois. On a moins de temps, moins de capacité à ajouter du stress au stress et le discours qui relativise une catastrophe parfois moins palpable est tentant. Dans l’enquête, l’inflation trône aujourd’hui en première position des préoccupations dans l’ensemble des pays sondés. “Les difficultés économiques freinent le virage environnemental”, nous dit l’étude. En 2019, au sortir des gilets jaunes, de marches pour le climat massives, 53 % de sondés jugeait l’environnement comme enjeu majeur à régler, contre 34 % pour la croissance. 3 ans plus tard en 2022, ce chiffre passe à 48 % contre 38 %.
Et les réseaux sociaux là-dedans ? Pas sûr qu’ils arrangent la situation. Les algorithmes ramollissent notre cerveau, de moins en moins habitué à être contredit et questionné. Les bulles dans lesquelles nous sommes enfermés nous exposent aux mêmes contenus, moins sourcés, moins divers. Il y a “statistiquement plus de risques d’être exposés à un contenu climatosceptique si vous vous informez principalement sur les réseaux sociaux” souligne Didier Witkowski.
Quel impact sur la génération qui arrive ? Comment ré-entrainer notre cerveau à penser, à critiquer, à chercher ? Le chantier est immense.
Sources :