L'été 2022, 60 000 hectares de forêt ont été réduits en cendre, dont la moitié dans les Landes, la plus grande forêt artificielle d'Europe. La faute au réchauffement climatique ? À des plantations de forêts trop uniformes ? Cette catastrophe nous pousse à remettre en question nos politiques forestières et à réfléchir à des modes de gestion plus durables et citoyens. On y va ?
L’arbre qui cache la forêt
Comme ça, ça ressemble à une bonne nouvelle. La forêt française "gagne du terrain" depuis la publication du "nouveau" code forestier de 1827 - qui lui a permis de passer de 6 millions à 17 millions d'hectares en l'espace de 200 ans. Cocorico ? Cocoricouac ?
Au-delà des chiffres, la réalité est (toujours) plus complexe. En effet, certains modes de gestion promeuvent une sylviculture productiviste, au détriment de la biodiversité et donc de la résilience de la forêt, qui devient plus sensible aux ravageurs, aux maladies, aux intempéries et au dérèglement climatique. La réalité, c'est que ce ne sont donc pas toujours des forêts qui gagnent du terrain en France, mais des champs d'arbres (2M d'Ha en 50 ans), soit des espaces dépourvus de la richesse qui caractérise les “vraies” forêts.
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Ce phénomène, c'est celui de la malforestation et il regroupe l'ensemble des pratiques (et de leurs résultats) jugées comme obsolètes par les experts forestiers les plus avertis en matière de dérèglement climatique : coupe rase, monoculture, boréalisation, pesticides...
Face à ces enjeux, nous sommes en droit de nous poser la question : est-ce que planter des arbres dans ces conditions sert vraiment les intérêts de la forêt française ? De plus en plus d’entreprises et de citoyens font le choix de planter des arbres pour compenser leurs émissions de CO2 - encourageant des pratiques sylvicoles basées sur du quantitatif (nombre d'arbres) plutôt que sur une dimension qualitative (sylviculture adoptée) essentielle à une entité qui se développe sur le temps d’une vie.
Vous savez ce que ça fait déjà 1 milliard, Larmina ?
En octobre 2022, alors que les incendies de la Forêts des Landes n’étaient pas encore tout à fait éteints, Emmanuel Macron s’engageait à planter un milliard d’arbres d’ici à 2032 pour sauver les forêts françaises. Les gestionnaires forestiers et les pépiniéristes n’ont pas réussi à retenir un sourire en coin : où est-ce qu’on va trouver tous ces plants ? La question est loin d’être vite répondue. Il faut 3 ans pour faire pousser un plant viable et avec les incertitudes climatiques, nos forestiers ont de plus en plus de mal à déterminer les essences à privilégier pour les années à venir.
“Planter des arbres, c’est toujours bien, mais la vraie question c’est qu’est-ce qu’on plante ? dans quelle configuration ? dans quel état ? vers quelle situation veut-on emmener les écosystèmes forestiers qui ont eux-mêmes une capacité de résilience qui leur est propre,” interroge Loïc Casset forestier depuis 15 ans et aujourd’hui délégué général de Sylv’acctes, un cabinet d’experts dédiés à promouvoir des modes de gestion ayant systématiquement un impact positif sur le climat, la biodiversité et sur les paysages de l’Hexagone.
Plutôt que planter des arbres, on pourrait laisser pousser ceux qui existent déjà. En effet, le narratif autour de la forêt qui a besoin de l’homme pour se développer dans de bonnes conditions est une idée dangereuse. Promouvoir la régénération naturelle en laissant la forêt s’adapter et se reconstituer est une posture bien plus rassurante. Et si on commençait par prendre soin de nos forêts existantes plutôt ?
Un air de déjà vu ?
Pour Bruno Doucet de l’association militante Canopée, il est important de garder un esprit critique face à ses annonces en grande pompe qui cachent une vérité toute autre. “En 2020, l’État a annoncé un plan de 200 millions d’euros pour soutenir la filière forêt en France et planter 50 millions d’arbre. Le problème, c’est que rien de tout ça n’est transparent. Alors on a creusé et on a découvert que 87% de ces financements ont servi à planter des monocultures dans des espaces jugés comme pauvres économiquement - mais pauvres en quoi ? - et donc à promouvoir des méthodes sylvicoles intégrant la coupe rase à 60 ans. Si on fait la même chose pour 1 milliard d’arbres, c’est effrayant !”. Quand on sait que la forêt française est déjà composée à 14% de plantations, on est en droit de se poser la question du bien-fondé d’une telle politique.
Dans notre imaginaire autour de la forêt, planter des arbres, c’est forcément bénéfique, mais il faut faire attention aux raccourcis. Plutôt que de penser en nombre d’arbres plantés, il vaudrait mieux se concentrer sur des hectares préservés. “Certaines grosses coopératives forestières ont tout intérêt à ce qu’on parle d’un maximum de plantations pour sauver les forêts, c’est pourquoi des lobbies se mobilisent pour démarcher le gouvernement afin qu’il dirige les subventions publiques vers de la plantation, poursuit Bruno Doucet. Dans le sud-ouest, ils en sont arrivés à raser des forêts naturelles ou semi-naturelles diversifiées des Landes pour mettre à la place des monocultures de pins maritimes. Résultat, ils plantent des arbres et ils récupèrent les subventions associées. Notre argent vient donc financer des activités qui n’ont rien de bénéfiques pour la forêt”.
Et la compensation carbone dans tout ça ?
Dans tous les dîners en ville, on répète la logique suivante : je prends l’avion, donc j’émets du CO2 et pour compenser, je vais planter un arbre qui, en grandissant, va capter la même quantité de carbone que j’ai émise.
Va de retro ! Cela ne fonctionne pas pour plusieurs raisons que vous pourrez sortir à la prochaine incartade. La première, c’est que le carbone que vous émettez en prenant l’avion vous l’émettez aujourd’hui alors que le carbone que l’arbre va peut-être capter s’il grandit correctement, ne sera effectif que dans plusieurs dizaines d’années. On crée donc une dette carbone entre le moment où on émet et le moment où on capte peut-être parce qu’en ce moment on a des taux records de mortalité sur les plantations.
Ensuite, il faut se pencher sur la qualité et la durabilité des plantations. En 2023, 38% des plantations ont été considérées comme des échecs. De plus, quand un arbre est planté, il n’est pas planté dans une vaste étendue vide où rien ne se passe. Il y a une grosse tension sur le foncier en France donc où est-ce qu’on va le planter cet arbre ? On vous le donne en mille, dans des zones qui sont déjà des zones forestières mais considérées comme “pauvres” économiquement.
La gestion durable des forêts, à la rescousse !
“Le phénomène de malforestation est donc bien réel, précise Loïc Casset, on a des forêts plus pauvres que ce qu’elles pourraient être étant donné les types de sols sur lesquelles elles s’installent. Ce terme prend d’ailleurs une nouvelle dimension : celui de poser un acte de gestion forestière qui va accentuer les effets du changement climatique sur un peuplement forestier ou va renforcer son exposition au risque du changement. On vient donc rajouter un stress d’origine anthropique aux forêts françaises”.
Mais si les pratiques de malforestation, encouragées par une vision purement capitaliste de la forêt, sont monnaie-courante, des initiatives plus vertueuses sont également en œuvre : on parle de gestion durable des forêts. La gestion durable de la forêt, c’est embrasser la multifonctionnalité de cette dernière pour produire du bois tout en préservant les autres services générés : refuge de biodiversité, filtration de l’eau, lutte contre l’érosion des sols, îlots de fraîcheur, accueil du public, cueillette de champignons, etc…
“Heureusement que le métier de forestier en France, ça n’est pas de planter des arbres mais de gérer des écosystèmes forestiers en bonne santé en général (…), il y a une vraie tradition, un savoir-faire centenaire qu’il convient de respecter. La gestion durable passe par la diversification des essences, le fait de maintenir un couvert forestier continu, promouvoir la stratification et favoriser la régénération naturelle. La replantation est un pari risqué, et surtout coûteux, alors qu’il suffirait de laisser le temps à nos forêts de s’adapter”.
D’abord, ne pas nuire
En 410 avant Jésus-Christ, Hippocrate écrivait dans son traité des Épidémies : Primum non nocere ou “D’abord ne pas nuire” (pour celles et ceux qui ont séché les cours de latin). Un adage dédié à la santé humaine mais qui résume également les enjeux de gestion forestière des prochaines années : produire du bois pour couvrir nos besoins (énergie, gros oeuvre et industrie) tout en préservant la biodiversité et l’ensemble des services écosystémiques que la forêt nous procure gracieusement depuis des millénaires. Le tout, dans un contexte de dérèglement climatique dont les arbres sont les premières victimes.
La forêt n’a pas besoin de nous, mais nous avons besoin d’elle, c’est pourquoi il faut trouver des modes de sylviculture qui réunissent l’efficacité dans la production du bois à la préservation de cette biodiversité si précieuse.
Pour aller + loin...
À regarder
- “Le temps de forêts” sur Tenk (documentaire)
- “Sauvons nos forêts“ sur arte.tv (série documentaire)
- ”La forêt en danger” de Partager c’est Sympa (vidéo Youtube)
À lire
- Dernier rapport de Canopée sur la monoculture financée par l’État
- La forêt FR pourrait bientôt émettre plus de CO2 qu’elle n’en absorbe (YouMatter)
- Qu’est-ce qui se cache derrière un projet de reforestation ? (All4Trees)
- Carbone et climat, facteur déterminant pour l’avenir de nos forêts (Carbone 4)
- Planter un milliard d’arbres, la fausse solution du gouvernement (Reporterre)
- Lorsque le dernier arbre de Michael Christie (roman)
Pour se former : MOOC AgroParisTech autour de la Gestion forestière
Personnes et réseaux à suivre
- Nicolas Luigi et Antoine Cadoret de Prosilva sur LinkedIn
- ANATEF : association nationale des techniciens et gestionnaires forestiers indépendants
- Réseau des Alternatives Forestières
- Prosilva : gestion durable des forêts
Actions à mener
- Investir dans des groupements forestiers citoyens et écologiques (GFCE)
- Avenir Forêt
- Groupement Forestier de Sauvegarde des Feuillus du Morvan
- Lu Picatau
- Le Chat Sauvage
- Découvrir l’ASPAS : association de protection des animaux sauvages
- Rejoindre Canopée en tant qu’adhérent et que bénévole
- Porter la voie de ces sujets au sein des organisations qui font de la compensation carbone via la plantation d’arbres