Le biomimétisme pour les grands débutants

Le biomimétisme pour les grands débutants

C’est quoi le biomimétisme ? Se transformer en crapaud pour voir le monde en citrouille ? Euh, pas tout à fait. On vous explique.
22 February 2024
par Vianney Louvet
6 minutes de lecture

Le mot au mieux intimide, au pire fait très peur. Mais le biomimétisme, c’est tout sauf un truc sérieux et repoussoir. C’est la fascination pour la vie et ce qu’elle crée de plus surprenant, ingénieux, imprévu. Si vous avez loupé tout ça, on ne vous en veut pas, et surtout on vous explique tout !


Une vie inspirée de la nature


Commençons par l’histoire de Laurent Bretignac, un Monsieur bof, moyen dans à peu près tous les domaines de sa vie. Sans même s’en apercevoir, ce monsieur ordinaire se frotte à l’extraordinaire biomimétisme, et ce quotidiennement. 

Ce matin, Laurent se lève et s’en va sans enthousiasme pour faire un tour à vélo. Il scratche ses sacoches de couleur kaki en utilisant la bien pratique invention du velcro. Contraction des mots velours et crochet, le velcro c’est ce système d'attache pensé par l'ingénieur suisse Georges de Mestral en 1948 après avoir étudié l'adhérence des fleurs de la bardane sur les poils de son chien et ses vêtements à lui. Et le tissu de ces fameuses sacoches, bien que kaki est très solide et date de 20 ans, Laurent n’était même pas majeur. Merci aux modèles des soies d’araignées ultra-résistantes. 

En levant les yeux au ciel, le cœur tièdement écologiste de Laurent balance. Toutes ces traces de kérosène dans les airs, c'est un peu terrifiant et un peu poétique. “Quand je pense que ces machines s’inspirent de ceux qu’elles tuent à petit feu” pense Laurent en tentant de raviver son âme de poète-militant. Et il a raison Laulau, les avions et leur forme sont inspirés des oiseaux. La conception des ailes est inspirée des ailes des piafs pour réduire les frottements, améliorer la pénétration dans l’air et stabiliser la trajectoire de la machine. Et tout cela ne date pas d’hier, dès 1903, les frères Wright fabriquent le premier engin lourd volant en s’inspirant du vol du… pigeon ! 

Après 1 heure de trajet compliqué, Laurent arrive essoufflé et rougeaud face à “un paysage plus que correct” dit-il souvent pour donner envie à ses amis de le rejoindre sur la côte normande. Sans grand succès jusqu’alors. La Manche et son ressac discret. Les falaises. Les moutons. Laurent enfile sa combinaison de natation, un peu petite pour lui mais très performante sous l’eau, performance décuplée suite à l’étude de la peau du requin. Et puis chaude aussi. Ce que l’on met sur nous en hiver est souvent une pâle imitation de peaux d’animaux thermorégulatrices. 

Notre bon vieux Laurent finit sa matinée en buvant un café à peine chaud à la terrasse d’un restaurant aux murs blancs, fraîchement lavés par la pluie de la nuit dernière. “On a presque l’impression que ce blanc est autonettoyant” pense Laurent dans son cerveau presque génial. Et son intuition est juste. De nombreuses peintures sont conçues pour imiter les propriétés autonettoyantes des feuilles de lotus ! Naturellement la terre, poussière, l’eau et la saleté sont repoussées. 

Si Laurent choisit toujours cet endroit, c’est qu’il admire, légèrement, son patron Albert. Un vieux fou contemplatif qui adore étudier le monde et ses merveilles. Son restau, il l’a construit avec ses 3 fils selon un modèle d’architecture bio-inspirée. La structure et l’agencement des pièces imitent la régulation thermique des termites, moment les propriétés réfléchissantes de certaines feuilles et copient joliment les motifs géométriques des coquillages qu’Albert s’amuse à ramasser avant sa journée de travail.

À côté de Laurent, un enfant s’amuse avec un jouet franchement étrange et se déplaçant en imitant la locomotion des serpents. Tout est plutôt calme, luxe et volupté d’inspiration biologique. Laurent est à peu près heureux. 


Copier-coller le vivant ?


Que dire à Laurent ? Que sa vie, que nos vies débordent de biomimétisme. Bio-mimétisme ou “imitation du vivant”,  a pour la première fois été utilisé par un certain Otto Schmitt, universitaire américain qui parla de « biomimetics ». Des années plus tard, de l’eau a coulé sous les ponts et la discipline s’est démocratisée. Le biomimétisme, c’est s’inspirer de la géniale et mystérieuse évolution du vivant (3,8 milliards d’années d’expérience sur son CV, excusez du peu) pour en retirer des idées et nous aider, nous, pauvres humains, à améliorer nos vies. Même si le “améliorer nos vies” peut forcément prendre, selon les idéologies et les sensibilités, des formes différentes…


Les grandes questions biomimétiques


Et oui. Dès qu’on observe le vivant, il fascine et son détournement au service de notre civilisation thermo-industrielle boulimique de ressources est facile. Les mouvements autour du biomimétisme posent des questions philosophiques passionnantes mais complexes. Le fait de prendre le vivant et ses systèmes biologiques comme source d’inspiration assure-t-il que la nouvelle “idée” rimera avec préservation de l’environnement, des ressources et de la biodiversité ? De même, en farfouillant chez les “geeks du biomimétisme”, vous verrez que certains fans assurent que le biomimétisme est l’outil qui permettra la prochaine révolution industrielle… Cela a un certain sens en effet quand on réalise que la nature fonctionne toujours sur un principe d’économie et d’efficacité optimale, et surtout qu’elle ne génère aucun déchet… Mais une révolution industrielle durable, c’est possible, vraiment ? Et souhaitable ? Rien n’est moins sûr.


Biomimétisme, bio-inspiration, bionique…


Pourquoi tout le monde parle de biomimétisme aujourd’hui ? D’une part parce qu’on a beau la saccager tous les jours : la nature et le vivant restent sources d’émerveillement. Et les ingénieurs les plus brillants de la Silicon Valley ne pondront jamais un smartphone atteignant la cheville de l’organisme d’un ver de terre ou d’un grand chêne. Le verre à moitié plein c’est ce vivant varié, qui optimise son utilisation d'énergie, évolue en fonction de son environnement, recycle ses « déchets » et le verre à moitié vide, c’est nous qui jettons à tour de bras, dégommons la biodiversité, et poursuivons notre folle expansion sans réfléchir. 

D’autre part, où que vous viviez, le biomimétisme a sa place et sa pertinence. On l’a vu dans la vie de Laurent, on aurait pu continuer l’histoire très longtemps en passant par tous les secteurs possibles : médecine, recherche, industrie, économie, matériaux, architecture, énergie, chimie verte, urbanisme, agriculture, gestion et aménagement d’écosystèmes. 

Le biomimétisme est quasi synonyme du mot bioinspiration que vous croiserez peut-être. En revanche, il ne faut pas le confondre avec la biomimétique (qui est plutôt l’idée d’une coopération entre la biologie et de la technologie pour résoudre tel problème) ou la bionique (une discipline technique qui cherche à remplacer des fonctions biologiques par leurs équivalents électroniques, tu vois ça dans tous les films américains boursouflés de bras robotisés et d’yeux verts pétants). 

Bonus génial : la paléo-bioinspiration. Cette fois-ci, ce sont les espèces éteintes qui mènent la danse et donnent des idées. Chaque question est une pépite de créativité. Comment les os et les articulations de tel dinosaure supportaient de tels poids sans rompre ? Comment les ailes de libellules géantes ou encore des anciens lézards planeurs permettaient un envol 0% kérosène ? 


La partie moins drôle


Preuve que le biomimétisme est désormais plus qu’une lubie de quelques scientifiques fous : la discipline a fait l’objet d’un travail de normalisation. C’est le big boss des normes, l’Organisation internationale de normalisation (ISO) et l’Association française de normalisation (AFNOR), qui ont pondu quelques normes (ISO 18458, 18459 et la norme XP X42-502 si tu veux vraiment tout savoir) qui en gros “valident” officiellement les approches biomimétiques dans certains secteurs. Exemple, je te mets cette norme et cela valide que ton approche créative est bien basée sur l’observation des systèmes biologiques, etc. 


Gare aux (faux) espoirs


Pour certains donc, le biomimétisme est LA solution pour lutter contre les crises en cours et à venir. Et c’est vrai que les découvertes sont parfois excitantes : des adhésifs écolos issus de l'observation des geckos en position verticale, des systèmes de détection de polluants basés sur des molécules fluorescentes, des méthodes de production de verre sobre en énergie, inspirée des microalgues. Mais gare au greenwashing ou à la récupération de ceux et celles qui voient le monde avec des gros dollars partout. Exemple tout simple : la séquestration du dioxyde de carbone atmosphérique s’inspire des mécanismes du vivant et permet à certaines entreprises pétrolières de justifier le prolongement de leur exploitation intensive d’hydrocarbures en parallèle. 

Le biomimétisme s’inspire du vivant pour le respecter et le protéger, en premier lieu. Si non, peut-on continuer de parler de bio-quelque chose ? L’aventure ne fait que commencer. 

Sources