Quand écologistes et agriculteurs s’associent, ça gagne

Quand écologistes et agriculteurs s’associent, ça gagne

C’est un pari gagné à tous les coups. Quand les écolos et les paysans se rassemblent, les détracteurs du vivant tremblent. La preuve en trois actes.
22 February 2024
par Vianney Louvet
8 minutes de lecture

C’est trop évident pour ne pas marcher. À travers 3 exemples de luttes emblématiques, on vous raconte ces moments de notre histoire récente où agriculture, écologie et plus encore ont fait front pour gagner une bataille. De quoi nous inspirer et nous questionner aujourd’hui ? Dans quels lieux ai-je l’occasion de construire des ponts plus que des murs comme dirait l’autre ? 


Vraiment tous au Larzac


L’extension d’un camp militaire aux dépens de terres agricoles. Voilà le point de départ, en 1971, d’une des luttes les plus médiatisées et symboliques du dernier siècle. 

Petit retour en arrière. Le Larzac, c’est un plateau karstique du Massif Central, éloigné du bruit du monde et de ses grands magasins. Et cela n’empêche pas que l’agriculture dans le Larzac, c’est une affaire qui roule. À partir du Moyen Âge puis dans les siècles qui ont suivi, la région du Larzac bâtit en effet un système socioéconomique original et robuste : l’agropastoralisme. À l’inverse de la dynamique globale qui tend à tout miser sur des surfaces céréalières grandissantes, les agriculteurs font le pari gagnant du fromage de brebis, et plus particulièrement, de son formidable roquefort…

Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes et puis l’Etat français finit par repérer ce coin : c’est grand, c’est calme, parfait pour recadrer ceux qui dérapent. C’est ainsi qu’au début du XXe siècle, une série de camps disciplinaires est établie : de la colonie agricole pénitentiaire à destination des jeunes rebelles aux anciens officiers nazis en passant par les combattants du Front de libération nationale (FLN) pendant la guerre d’Algérie, la population locale voit tout passer au fil des décennies. Et là déjà, ces décisions rencontrent une certaine résistance, on voit d’un mauvais œil ces espaces militaires fleurir discrètement…

Fleurir jusqu’à la fameuse année 1971 durant laquelle le ministère de la Défense envisage d’étendre le camp de La Cavalerie, sans consulter personne bien-sûr, et a fortiori de grignoter un peu plus les terres agricoles alentour. Étincelle. Une révolte unique en son genre commence. Pourquoi unique ? Parce que menée non seulement par le monde paysan mais aussi par tous les amoureux de ces terres et notamment les militants écologistes. 

Dès les premiers mois de la lutte, ces deux mondes se mélangent pour vivre une sorte de formation accélérée qui fait passer les habitants du plateau dans une autre dimension. On n’est plus “écolos”, “agriculteurs” ou “artisans”, on devient un sujet politique à part entière et on jette à la poubelle l’image de la gentille population moyenâgeuse, notamment alimentée par les déclarations de Michel Debré alors ministre de la Défense sous Pompidou. 


Gardarem lo Larzac


C’est donc en faisant front et en s’unissant sous une même bannière qu’écolos et paysans créent un réseau de résistance très performant, vitalisé par les tracts, les réunions régulières, les journaux  (comme le devenu célèbre Gardarem lo Larzac en 1975). Ensemble, ils réussissent l’exploit - le mot est pesé - de ne pas être récupérés politiquement et surtout de ne pas être étiquetés comme appartenant à tel ou tel monde, telle ou telle idéologie ou classe sociale. C’est peut-être aussi l’alliance des regards qui permet la naissance de coups de communication géniaux comme ces moutons venus brouter au pied de la Tour Eiffel en 1972, les grands rassemblements de 1973 et 1974 pour galvaniser les troupes et la construction participative de la bergerie de la Blaquière avec des centaines de volontaires du monde entier.

La Bergerie de la Blaquière est devenue un symbole. Des centaines de personnes ont aidé à sa construction. Ses pierres sont chargées de messages dans toutes les langues. “C’est notre cathédrale”, expliquent les militants de l’époque.

Et tout est presque bien qui finit presque bien. Après une décennie de lutte passionnée, c’est en 1981 que François Mitterrand annonce l’abandon du projet d’extension du camp militaire. Et le plus beau, c’est que la lutte ne va pas s’arrêter pour autant. Le Larzac reste une terre de vigilance permanente, de festival des luttes et ses “bébés” sont partout, notamment Notre-Dame-des-Landes qui s’inspira largement de cette lutte pour mener la sienne. Régulièrement paysans et écolos s’allient pour défendre leurs racines, leurs productions locales comme en 1999 où un restaurant McDonald’s est démonté à Millau, opération très largement médiatisée. 

Aujourd’hui, le combat continue sous une autre forme : refuser la transformation du Larzac en “zone d’occupation touristique” comme la nomment certains. Refuser de figer ce mouvement local permanent, ADN même de la région, en une carte d’identité agropastoraliste-médiévale risquant d’effacer la mémoire encore vive de la lutte.


Notre-Dame des Landes, un scénario hollywoodien 


C’est en 1974 que la ZAD s’est créée. Mais pas la ZAD à laquelle vous pensez, la ZAD comme Zone d’Aménagement Différé, c’est-à-dire quelque 1 225 hectares que le Conseil Général de Loire-Atlantique se voit acquérir progressivement. Quelques années plus tôt, en 1965, le préfet de Loire-Atlantique recherchait un site sympa pour construire un nouvel aéroport dans le Grand Ouest, notamment pour accueillir le Concorde, super avion de ligne supersonique et ravissement pour la pollution sonore. 17 zones étaient proposées et c’est finalement celle de Notre-Dame-des-Landes qui fut retenue, chanceuse qu’elle est. Dès la naissance de cette ZAD l’opposition du monde paysan s’est organisée avec la création de l’ADECA, une association de défense des exploitants concernés par l’aéroport. La stratégie des agriculteurs : continuer à installer des agriculteurs pour ne pas abandonner les terres à la friche. 

À Notre-Dame-des-Landes, l’étincelle du combat est donc bel est bien agricole. Le mouvement écologiste s’est allié au monde paysan dans un deuxième temps. En effet, dès les premiers contours du projet, la menace concerne l’emploi agricole. Dans le scénario de l’aéroport, pas moins de 15 exploitations sur les 47 impactées ne seraient plus viables et disparaîtraient. Près de 200 emplois directs et indirects du monde agricole seraient détruits. 

C’est alors que la résistance s’organise. Et comme au Larzac, elle est multi-acteurs : 

  • Il y a les propriétaires des terres directement touchés par le projet.
  • Les agriculteurs exploitants locomotives de la mobilisation : on dénombre 11 exploitations qui n’ont pas accepté d’accord amiable et ont été expropriées.
  • Les « zadistes », bien-sûr, ces nouveaux habitants de la zone arrivés après un camp climat organisé après que l’aéroport est “jugé d’utilité publique” par décret (le 10 février 2008). Ce camp organisé par l’ACIPA (Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernée) permet aux différentes familles d’acteurs de se rencontrer et d’organiser la lutte plus concrètement. Sur le terrain, résister est synonyme de “demeurer”. En squattant des maisons, en érigeant des cabanes, en cultivant les terres, la créativité est la sève de leur lutte. 
  • Et enfin “Le COPAIN 44” est un collectif des organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d’aéroport. Il voit le jour en 2011 en soutien aux agriculteurs « irréductibles ». C’est notamment grâce à ce collectif et à la quarantaine de tracteurs mobilisés que les cabanes de « La Châtaigne » ont été protégées des assauts des forces de l’ordre. L’agriculture n’est plus juste vivrière, elle est une arme. Autre exemple, lorsqu’un agriculteur quitte sa ferme de Bellevue, “Le Copain 44” y a installé des bêtes et a permis ainsi à un groupe de jeunes de vivre, produire et transformer. Résister c’est donc aussi préparer l’avenir en montrant qu’un autre projet de développement est possible.


Des liens se tissent entre les agriculteurs locaux, les militants écologistes, les riverains en colère et ces « nouveaux » habitants que sont les zadistes. Sous le slogan « Sème ta ZAD », plusieurs opérations sont menées de concert : construction de serres, ensemencement de terrains pourtant déjà sous la propriété du Conseil Général, expérimentations agricoles. 

Cette lutte conjointe va durer, voyant défiler le retour du “dialogue” proposé par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et sa “commission du dialogue”,  puis la reprise des travaux des expulsions des irréductibles sous Valls, et puis en fait non avec le gouvernement de Bernard Cazeneuve qui renonce lui aussi à l’évacuation de la ZAD.


Happy end


La délivrance arrive finalement le 17 janvier 2018 quand Édouard Philippe et son ministre Nicolas Hulot annoncent l’abandon du projet. 

La locomotive du monde paysan n’aura cessé d’avancer, s’appuyant sur un maillage territorial et associatif précieux et sur un mouvement écologiste d’ampleur nationale. Aujourd’hui, et comme dans le Larzac, la région reste largement dédiée à la lutte et la dynamique territoriale permet une véritable solidarité inter-acteurs, malgré des marques encore vives dans les esprits et les corps. Les défenseurs des terres accueillent régulièrement des centaines de personnes pour des journées de débats et de festivités. L’occasion pour des militants de luttes locales partout en France de se rencontrer, d’échanger et de penser des stratégies communes, au-delà des étiquettes.



EuropaCity, la démesure d’une époque


Dernier exemple dont le gigantisme donne le vertige. Et peut-être qu’ici le pire appelle le meilleur à se réveiller avec force. 

La plaine de France, zone allant de Saint-Denis jusqu’au département de l’Oise, est la “porte d’entrée” de Paris pour les millions de visiteurs qui empruntent chaque année l’autoroute arrivant du nord ou de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Au cœur de ce territoire périurbain se trouve le fameux Triangle de Gonesse, 700 hectares de terres agricoles, encore vierges de toute construction parce que paradoxalement très exposées au bruit et un paysage urbain peu exotique. Et pourtant ces terres, ces champs sont d’une qualité agronomique exceptionnelle, de ces terres limoneuses précieuses qui peuvent stocker de grosses quantités d’eau. 

Et pourtant c’est sur ce lieu que le groupe Auchan prévoyait, avec le soutien de l’État, de construire un immense complexe commercial et de loisirs baptisé EuropaCity. En son antre : 500 boutiques, 2 700 chambres d’hôtel, des salles de spectacle, un parc aquatique climatisé et une piste de ski artificielle. 31 millions de visiteurs.

La formule magique du Larzac transpartisane a - là encore - superbement fonctionné. À Gonesse ce sont les écologistes en figure de proue mais aussi les commerçants et les agriculteurs opposés à la perte de ces terres précieuses qui ont mené la lutte. Nouveauté intéressante : l’imminence des travaux a poussé la lutte à se réinventer. Pour résister et résister plus fort aux côtés des agriculteurs très isolés face à la puissance d’Auchan, plusieurs collectifs “spécialisés” en désobéissance civile, tels que Extinction Rebellion, Youth For Climate ou encore RadiAction, ont joint leurs forces à la bataille et “formé” les locaux aux méthodes d’action directe. Tous les dimanches, des dizaines d’activistes se rassemblaient en bordure des champs. 


Alternatives paysannes


Comme le Larzac, comme Notre Dame des Landes, la lutte EuropaCity a dépassé l’objet de lutte initiale pour devenir un symbole de combat face à l’ancien monde. Et ce qui est intéressant dans ce cas précis, c’est qu’écolos et paysans n’ont pas juste lutté contre, mais aussi POUR. Face au projet de bétonisation des terres du triangle de Gonesse, “les plus fertiles d'Île-de-France", selon le président du Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG), Bernard Loup, le collectif proposait un projet alternatif, Carma, pour faire de ces terres agricoles un réservoir alimentaire du Grand Paris avec tout ce en quoi on croit : du circuit court, des cultures bio, du maraîchage, etc. 

Le jeudi 7 novembre 2019, le projet EuropaCity a été abandonné. La prise de parole du gouvernement est digne d’un bon vieux René Dumont : ce projet est selon lui fondé sur "une consommation de masse d'objets et de loisirs", ce modèle est celui "d'une autre époque". C’est ce qui est ressorti des discussions avant le troisième Conseil de défense écologique. 

Après la disparition de cinq millions d'hectares de terres agricoles en 40 ans, ce type de décision va dans le sens d’un pays protégeant son foncier rural pour se nourrir et lutter contre le réchauffement climatique. Mais là encore, la lutte continue… Emmanuel Macron a demandé à un certain Francis Rol-Tanguy, ancien directeur de l'Atelier parisien d'urbanisme, de réfléchir à un nouveau projet, en lien avec les élus locaux... "L'idée n'est plus un centre commercial et de loisirs mais un morceau de ville, qui donne envie". Mais leur envie sera-t-elle partagée par les habitants, le monde paysan, les écolos… et les futures générations ?