Dans leur nouvel ouvrage Basculons , des jeunes de la génération climat témoignent de leur bascule. Ils ont invité dans leurs pages les générations de militants et d’activistes d’avant. Hélène Binet, rédactrice en chef de ce média témoigne.
Ça me serre là, au fond du ventre. Devant une Greta droite dans ses nattes incriminant une assemblée d’au moins quatre fois son âge. À l’écoute d’un Clément Choisne décochant un magistral coup de pied dans la fourmilière centralienne à la remise de son diplôme. À la lecture de ce recueil de basculeurs et basculeuses, cette génération Climat qui se prend ses turbulences en pleine face sans jamais affaler la grand-voile. “Mon combat de tous les jours, celui pour lequel je me lève chaque matin et qui me donne une force incommensurable, c’est bien celui de la justice sociale et climatique, rapporte Julie Pasquet. C’est une lutte pour la vie, parce que je veux vivre.”
Chaque fois, c’est un même sentiment de colère, de tristesse et de culpabilité qui remonte. Colère de constater que près de cinquante ans après le rapport Meadows, le message reste coincé à la porte des publicités pour SUV. Tristesse de voir les vingtenaires ne pas refaire le monde mais tenter de le réparer avec le cœur et les dents. Culpabilité d’avoir été la génération d’avant, celle qui a tenté d’enrayer cette folie climatique sans y être parvenue. On n’a pas été assez forts, pas assez nombreux, pas assez convaincants. La machine s’est emballée. Aujourd’hui, une dernière génération peut rectifier le tir, c’est la vôtre. J’aurais tant aimé vous léguer une chaleur plus douce que celle du CO2 .
Je suis née la même année que Greenpeace et suis tombée en écologie(1) en 1992 à l’occasion de mon premier stage chez Environnement sans frontière, association de lobbying créée à l’occasion du 3e Sommet de la Terre de Rio. Depuis, je ne me suis jamais vraiment relevée. Je me suis engagée dans l’associatif, le public, j’ai testé l’entreprise, le free-lance, le journalisme et l’édition. J’ai toujours voulu l’écologie joyeuse, décomplexée, accessible. Prôner les petits pas pour se préparer au grand saut. Il semblerait que nous soyons arrivés. Il va falloir y aller. À vous lire, nul doute que vous allez sauter.
“Je suis persuadée que les mondes de demain vont émerger du soin que l’on aura su porter aux blessures du monde d’aujourd’hui”, écrit Pauline Magnat. Ce soin à la nature, aux autres et à vous-mêmes, c’est ce que vous semblez déjà si bien prodiguer. Nicolas Todorovic traverse l’Atlantique à la rame en rêvant d’une fin du monde où l’entraide et la solidarité auront pris le pas sur l’individualisme et la consommation, Constance Gauthey et Thibaut Canovas vont à la rencontre de celles et ceux qui font pour se découvrir eux-mêmes. Romain Olla développe ses postures de coopération… “C’est une révolution cognitive dont nous avons besoin, résume Maxime Ollivier, révolution qui se traduit dans le slogan : « Nous sommes le vivant qui se défend ». Tout y est : la force du « nous », du collectif. Et si vous aviez déjà saisi l’essentiel ?
Vos témoignages affichent également une même volonté : l’action, “comme une première marche vers le succès”, d’après Picasso, “comme un moyen de rester optimiste”, selon Jean-Marc Jancovici. C’est aussi la seule issue pour faire basculer le système. Vous agissez partout, tout le temps, avec vos codes et vos armes. Vous testez l’activisme, vous infiltrez les grandes entreprises, vous rejoignez les rangs politiques et, surtout, vous cultivez la joie. “Montrez que l’engagement pour un autre monde vous rend joyeux”, rappelle Maxime dans un pas de danse communicatif. Aussi, chers basculeurs et basculeuses, laissez-moi vous faire un aveu : rencontrer votre génération a ajouté une corde à mon arc-en-ciel psychoclimatique : l’espoir !
(1). La formule est de Laure Noualhat, Comment rester écolo sans finir dépressif, Tana éditions, 2020.