Un pied dans l’humus, l’autre dans l’entreprise, Gilles Degroote transforme friches et toits en oasis nourricières. Portrait d’un semeur de possibles.
Sa tenue préférée faite d’un chapeau de paille et d’une chemise de bureau à manches longues bleu ciel résument parfaitement le bonhomme. Gilles Degroote est à la fois un jardinier-maraîcher et un entrepreneur aussi à l’aise un sécateur qu’une zappette pour faire défiler des slides. Un matin de juillet, il est là, comme tous les jours, dans l’un de ses “paysages comestibles” imaginés, conçus et gérés par son entreprise CLAP France, le potager du campus de l’arboretum à Nanterre. 4000 m2 de potager au milieu d’une ancienne papeterie reconvertie en espaces de bureaux XXL faits de bois, de géothermie et de recyclage des eaux usées.
C’est beau, c’est lumineux, c’est coloré et parfumé. Depuis 2023, Gilles et son équipe ont fait de cette ex-friche un paysage comestible avec moult arbres et plantes aromatiques. “On a imaginé cet espace comme un jardin orienté, une boussole visible depuis les bureaux”, explique Gilles. Pour le moment, il n’y a pas grand monde à se pencher aux fenêtres, les lieux étant encore largement sous-occupés mais les plantes ont bien commencé à pousser. Patrick Nicolas, pépiniériste hors pair a conçu avec Gilles l’espace selon une science de l'architecture de l'Inde antique : le Vastu shastra. Sûre que les cosmos font partie de ses plantes préférées, tellement ses plans le sont. “On a planté les fleurs en fonction des planètes, explique le passionné. Chaque direction = une planète = une couleur.” Sur place, on trouve donc au Nord-Est des espèces jaunes en lien avec Jupiter, juste à l’opposé beaucoup de bleu… Et à l’équinoxe un soleil qui se couche pile au milieu d’une allée.
Travailler la terre à deux pas du RER.
Paysages comestibles pour nourrir les esprits
La table installée au milieu du jardin est sans doute la meilleure salle de réunion de toute la région parce qu’en plus ici, toutes les roses exhalent un parfum et toutes les plantes cultivées se mangent. Gilles est ici comme un iris dans un tableau de Van Gogh, à sa place, ondulant avec le vent qui le porte depuis sa reconversion en 2015 lorsqu’il était alors consultant.
Le quadragénaire n’a pas toujours manié la grelinette. Après avoir baroudé autour du monde post-études, rencontré sa femme en Italie, en 2003, il devient pendant 12 ans, consultant puis directeur associé du cabinet Ethicity fondé par Elizabeth Pastore-Reiss et racheté une décennie plus tard par Greenflex. Bureau à la Défense, conseil, management, formations, déplacements… “Passionnant et stimulant intelectuellement, mais à un moment j’ai senti que le fameux tête-cœur-tripes n’était plus là, je voulais me ré-aligner, m’ancrer davantage dans mon territoire, monter mon projet entrepreneurial toujours engagé pour faire avancer l’écologie concrètement, localement, mais aussi me reconnecter au vivant, à la terre tout en restant en ville.” Le bifurqueur passe un BPREA, le sésame pour s’installer en agriculture, fait ses stages aux Apprentis d’Auteuil à Meudon et deux pas de chez lui, et à la ferme du Bec Hellouin, graal de tout permaculteur en devenir. “J’ai tout adoré, j’ai su que je ne m’étais pas trompé.”
“Les jardins sont une des formes du rêve, comme les poèmes, la musique et l'algèbre.”
La suite est comme son jardin nanterrois, un alignement de planètes. Gilles est diplômé, formé, prêt à se lancer lorsqu’il rencontre François Lemarchand, le fondateur de Nature & Découvertes qui lui parle d’un terrain en friche du château de Versailles en face du futur siège social de l’entreprise. Ensemble, avec une vision partagée de créer un site beau, productif, écologique et viable économiquement, ils vont convaincre l’établissement public de rénover et régénérer cet ancien bassin de 3000m2 au cœur de la ville à deux pas de la gare de Versailles Chantier. Une friche qui est devenue une microferme urbaine : la ferme Nature & Découvertes “C’était une vraie page blanche comme j’aime. En 2017, je m’y mets à fond, je suis désormais jardinier-maraîcher mais aussi directeur-fondateur de CLAP France, une entreprise agricole et de services dont la mission est d’imaginer, de concevoir, de mettre en œuvre et de piloter des projets d’agriculture urbaine en partenariat avec les collectivités publiques ou des entreprises.”
À Versailles, viennent les premiers légumes, les premiers paniers, les premiers séminaires dans une cabane en bois cosy et lumineuse au cœur des jardins. Au fil du temps, la ferme prend ses aises et déploie ses ailes pour devenir selon les mots du site : “une oasis régénérative, vivante, accueillante, inspirante, belle et productive !” Dans cette ferme pilote, chaque année près de 3000 personnes viennent cultiver, s’inspirer, phosphorer, prendre l’air. Le projet est productif, écologique, à l’équilibre et emploi 3 personnes. Pari gagné !
Le potager du Campus de l'arboretum à Nanterre vu d'un vol d'hirondelles.
Un corps sain dans un esprit sain sur une planète saine
Pour étendre son activité, l’insatiable Gilles répond à des appels d’offres, gagne Nanterre, puis à Poissy, 3,5 hectares de maraîchage et de vergers sur un des sites du PSG avec une double fonction productive (pour les restaurants du campus) et pédagogique (pour la formation des jeunes sportifs). “J’aime l’idée de transmettre aux futurs stars du foot, lors d’ateliers pédagogiques au potager, l’importance de prendre soin du sol, des vers de terre, de la biodiversité pour avoir de bons légumes et gagner la champions league. C’est mon combat depuis 20 ans, rendre désirable et concrète l’écologie pour le plus grand nombre.”
En attendant, Gilles soigne ses jardins de la transition comme sa petite entreprise qui fait vivre 7 personnes. À travers la création de ses paysages comestibles en milieu urbain et périurbain, conçus comme des espaces multifonctionnels, il fait pousser bien plus que des légumes, il libère l’imagination, élargit les champs des possibles. Il trace un sillon singulier, là où se rencontrent économie, écologie et poésie. La récolte ne fait que commencer.
Récolte versaillaise.