“L'écologie ne doit pas être un privilège, mais un droit universel”. Le rapport (In)justice climatique produit par l’association Ghett’up présente les récits et analyses sur la situation et l’engagement écologique de plus de 1000 jeunes dans les quartiers populaires, les Outre-mer et les Suds. Une pierre essentielle ajoutée à l’édifice de l’écologie populaire.
On les a vus tout sourire débarquer sur le village olympique cet été. Sous le soleil et les caméras, des athlètes du monde entier posaient bagages dans cette nouvelle ville construite et aseptisée rien que pour eux. Bienvenue à Saint-Denis (93), où le temps d’un été, l’air est devenu plus pur grâce à des “aspirateurs à pollution” en forme de soucoupes volantes. Ces purificateurs destinés à offrir un air plus sain aux 14 500 athlètes et à leurs équipes au sein du village olympique devaient rester sur place. Il n’en est rien. Fin de l’été, les sportifs sont partis, les particules fines sont revenues.
“Ce dispositif fait émerger un constat frappant, peut-on lire dans les premières pages du rapport : l’accès à un air sain semble réservé à une élite de passage, alors que les résidents continuent et continueront de respirer quotidiennement, sans aucune mesure de protection mise en place par l’Etat, un air extrêmement pollué vicié par la proximité des grandes artères routières.”
Les auteurs et autrices rappellent que pendant ce temps, un nouvel échangeur autoroutier destiné spécifiquement à desservir le village olympique, a été construit à proximité immédiate d’un groupe scolaire accueillant 700 enfants.
“Cet échangeur, contrairement aux aspirateurs, a lui vocation à y rester.”
Climat partout, justice nulle part
Des exemples d’injustice climatique comme celle-ci, dans les 150 pages du rapport, il y en a plein. Des témoignages mais aussi des chiffres qui font froid dans le dos. Quelques exemples ? À Paris, à chaque nouvelles constructions, 50% de l’espace est alloué à des espaces verts. À Romainville, ce pourcentage dégringole à 10%.
En France hexagonale, l’installation d’incinérateurs à déchets, sources majeures de pollution et de nuisances pour la santé, est proportionnellement plus probable dans les villes où la population née à l’étranger est plus élevée. C’est ce que révèle une étude publiée par le Journal of Environmental Planning and Management. En clair, plus la proportion de personnes nées à l’étranger d’une ville est importante, plus le risque qu’un incinérateur à déchets y soit installé augmente.
En 2003, au moment de la première grosse canicule, le deuxième département le plus sévèrement touché après le Val- de-Marne (surmortalité de + 171%) était la Seine-Saint-Denis avec une surmortalité de +160%. Malgré ces chiffres terrifiants, la création d’espaces verts n’a pas considérablement augmenté.
“C’est comme si l’écologie était devenue une arène où seuls les privilégiés ont une longueur d’avance, laissant les autres derrière,” rappelle une des autrices du rapport avant de définir quelques pages plus loin quels sont les signes d’une discrimination environnementale. Une liste en 4 points irréfutables : 1/ inégalités d’exposition aux pollutions et aux nuisances, 2/ inégalités de prévention des risques, 3/accès limité aux bénéfices de l’environnement, 4/ inégalités d’accès à l’engagement pour son environnement.
Le temps c’est de l’argent et réciproquement
Sur ce dernier point, le sondage Ipsos réalisé auprès de 1000 jeunes pour ce rapport, révèle que plus de la moitié (53%) des jeunes de quartiers populaires interrogés qui ne s’engagent pas le font principalement par manque de temps. En effet, comment s’engager sur son temps libre quand on n’en a pas parce que l’on exerce un travail à plein temps, voire que l’on cumule plusieurs boulots pour pouvoir s’en sortir financièrement ?
Mais le temps n’est pas la seule raison. Les mouvements climat, à grande majorité composés de personnes blanches issues des centres villes, n'ont pas réussi à faire de la place aux jeunes des quartiers populaires. Les médias en ne donnant la parole qu’aux mêmes figures engagées ont eux aussi leur part de responsabilité. “À qui les jeunes de quartier s’identifient quand on parle d’écologie ?” interroge Sarah-Maria Hammou, chargée de projet au programme Recherche & Plaidoyer, justice climatique chez GhettUp. Lorsque la question a été posée pour le rapport, aucune figure française n’a émergé et 70% des répondants ont dit qu'ils ne se sentaient pas représentés par le mouvement climat ? Les jeunes ont cité Greta Thunberg, Jane Goodall…
“Il y a un vrai besoin d’identification, martèle Sarah-Maria. Ce n’est pas un caprice de demander d’être représentés quand on est 30% de la population française à habiter dans les banlieues. On ne peut plus se passer d’un tiers de la France. On doit passer à une écologie inclusive.”
“Cette jeunesse est héritière de Camus, elle ne se contente pas de dénoncer l’injustice climatique, elle donne sa vie pour la combattre et propose une feuille de route pour une écologie inclusive.”
La santé d’abord
Des idées pour mettre en œuvre cette écologie inclusive, le rapport, dans sa dernière partie, en présente plein en s’appuyant sur les besoins des premières et premiers concernés. Si le changement climatique arrive en 8e position des préoccupations des jeunes dans le sondage Ipsos, le système de santé arrive en seconde position. C’est donc sur ce terrain que des actions doivent être menées. “La santé touche à la dignité, un sentiment dont de nombreux jeunes se sentent privés en France de par leurs conditions de vie et la stigmatisation médiatique et qui se matérialise dans la catégorie “discriminations”, écrivent les auteurs du rapport. La santé, la dignité, mais également l’accès à une alimentation saine sont des vecteurs importants de mobilisation.”
La question du logement est également un axe de travail puissant sur le terrain de la justice climatique. Si tout le monde a déjà entendu parler des passoires thermiques, on évoque plus rarement les questions d’humidité et de manque de ventilation qui sont pourtant aussi problématiques.
“J’ai passé beaucoup de temps à l’hôpital, confie Sarah-Maria qui a développé de l’asthme parce qu’il y avait des moisissures dans son appart. L’hôpital était coincé entre deux autoroutes, pas sûre qu’on y respirait mieux.” Sur cette question fondamentale, le logement digne doit pouvoir être un droit opposable pour tous et, pourquoi pas, un espace de sensibilisation à la préservation de l’environnement, suggère le rapport qui cite de nombreuses actions de plaidoyer portées par les associations.
Autre piste d’action, l’emploi. Le CESE recommande que ...“les populations les plus défavorisées puissent bénéficier des formations et créations d’emplois liées à la mise en œuvre de la transition écologique.”
Mais attention, il ne s’agit pas de proposer aux jeunes de quartiers de s’orienter exclusivement vers les métiers du BTP vert, mais de leur ouvrir toutes les portes.
“Pour beaucoup d’entre nous, l’expérience du BTP vécue par nos proches est celle de conditions de travail difficiles, de santé sacrifiée et de faible qualité de vie, rappelle-t-on dans le rapport.
Il convient donc aussi pour nous d'alerter sur l’importance de faire du BTP vert un BTP respectueux des vies de leurs travailleurs souvent d’origine immigrés et de leurs conditions de vie en France. Ceci étant également valable pour les secteurs équivalents comme la restauration.”
J’agis donc je suis
Aussi, puisque à la question “quel est le frein de l’engagement pour vous ?”, les jeunes ont répondu : le manque de temps, le manque d’idées pour le faire, le manque de légitimité (ils ne s’en sentent pas capables), c’est bien sur leur pouvoir d’agir qu’il est urgent de se pencher.
Le rapport invite à créer des ponts et des alliances entre les acteurs de l’écologie et de l’éducation populaire. “Il apparaît alors primordial pour les acteurs traditionnels de l’écologie de se connecter activement aux associations et acteurs locaux, de passer à travers eux, de collaborer et d’être dans une démarche d’échange équivalent de savoirs et bonnes pratiques : ce sont eux qui sont les plus à même de mobiliser efficacement. Ils possèdent les codes, le réseau local ainsi que la proximité avec les jeunes.”
“Nous sommes révolutionnaires, un jour on lève le poing, un jour on forme un cœur avec les doigts."
Le programme Transition Juste mené par makesense aux côtés d’associations comme Ghett’Up, Unis-Cité, Banlieues Climat, l’Afev, Article 1, s’inscrit bien dans cette dynamique. Il forme et outille les responsables associatifs sur les enjeux climatiques en lien avec leurs ressources et préoccupations, puis leur met à disposition deux ateliers ludiques clés en main de 3 heures à mener avec les jeunes qu’ils encadrent. “L’objectif est de former 3 000 jeunes d’ici la fin de l’année 2024, et 7 000 jeunes d’ici 2026, rappelle Irène Colonna d’Istria coordinatrice de tout ce dispositif. Aujourd’hui, les jeunes des quartiers populaires ne sont pas associés aux décisions et sont exclus de l’organisation d’actions collectives. Ces mécanismes d’exclusion viennent s’ajouter aux freins matériels et à la difficulté à se projeter dans une temporalité lointaine. C’est tout cela que nous souhaitons changer avec Transition juste. »
Enfin, l’écologie inclusive ne peut se faire l’économie d’un travail en profondeur pour lutter contre toutes les formes de racisme à la racine du problème. “À nous de cesser d’être arrogants et de reconnaître enfin la contribution de cette jeunesse à la lutte contre le changement climatique, écrit Yamina Saheb, autrice du GIEC. Ne soyons pas des observateurs passifs des initiatives des jeunes des quartiers populaires, soyons à la hauteur de l’appel de cette jeunesse à co-construire avec elle et non contre elle, l’écologie de demain et à faire de la crise climatique une opportunité pour une société inclusive.” À bon entendeur !