La ferme des demains, punk et visionnaire

La ferme des demains, punk et visionnaire

Ils voulaient ralentir, donner du sens, cultiver avec la nature et non contre elle. À Moustoir-Ac, la Ferme des Demains devient le terrain d’une aventure agricole et humaine qui résiste à la vitesse du monde.
30 September 2025
par Vianney Louvet
7 minutes de lecture

Entre deux rangées de légumes et 800 jeunes arbres, Charlotte et Olivier façonnent une ferme qui nourrit corps et esprits. Leur credo ? Réconcilier agriculture, biodiversité et transmission pour bâtir un avenir fertile. Bienvenue à la ferme des demains.

Vous prendrez bien un petit apéro ? 

Le meilleur moment de l’été, c’est la fin de journée. Tout retombe. La chaleur, certes, mais aussi l’agitation, le trop-plein d’activités, de mouvement, de stress, … Le ciel rosit et les âmes s’éclaircissent. À elles se joignent les corps fatigués. Il est l’heure de s’asseoir et, entre deux grandes expirations, de poser un regard bienveillant sur le jour écoulé. Efficace ou laborieux, peu importe, alea jacta est, le passé appartient au passé. 

C’est dans ce ralentissement du monde que nous imaginons découper quelques morceaux de carottes pour prendre l’apéro, le temps d’un article, avec trois humains fascinants, j’ai nommé Charlotte, Olivier et leur protégée Anouk. Faisons l’exercice et imaginons-les (presque) face à nous. Derrière eux, le paysage de leur vie nouvelle, une ferme. Nous sommes en Bretagne, à Moustoir-Ac. Nom du domaine : La Ferme des Demains. Votre curiosité est attisée ? La nôtre aussi. 

L’apéritif est donc ce délicieux moment où l’appétit est ouvert et où les premiers grignotages nous rappellent la joie de pouvoir se nourrir du travail de nos mains. C’est une des raisons qui a certainement poussé le trio à changer de vie, il y a quelques années de cela. 

Rembobinage comme sur un vieux VHS. L’aventure commence en 2020. Monde cabossé par une pandémie impensable, vies chahutées par le non-sens de ce qui nous entoure… Et nécessaire point avec soi, ses proches. Que fait-on ? Où va-t-on ? 

Ces questions, Olivier et Charlotte se les posent, comme tout le monde. Tous deux ont grandi à Paris. Lui a suivi des études d’économie, elle de sciences politiques. Tous deux ont travaillé pendant plusieurs années dans le domaine humanitaire... Et à ce moment de leur vie, à l’aube de la troisième décennie du deuxième millénaire, une nouvelle épopée en dehors de Paris s’ouvre.

L’appétit est là. Olivier quitte le monde humanitaire et plonge entièrement dans une douce mer de formations agricoles. En parallèle, le couple se lance dans la recherche d’un lieu propice pour accueillir ses nouveaux élans. Jusqu’à l’an de grâce 2022. Une petite ferme et quelques vaches sont achetées en Bretagne. Commencent les travaux de rénovation, de construction…

Et c’est en 2023 qu’Olivier se sert un premier verre en obtenant son brevet de responsable d’exploitation agricole. Il s'installe cette même année, ça pétille, c’est tout frais, que c’est bon de voir l’horizon s’ouvrir. Envie de faire durer cet apéro très longtemps... 

Charlotte conserve son emploi dans l’humanitaire mais se consacre aussi pleinement à leur nouvelle aventure. Aujourd’hui, elle va avoir 30 ans, lui 36, et leur fille Anouk soufflait sa troisième bougie il y a peu. Equipe de choc, on passe à table ?

Entrée - plat - dessert, mais entrée d’abord

Les tomates cerises et quelques morceaux de comté, c’est bien agréable. Des bouchées d’insouciance dans le ventre et quelques gorgées parfumées à la légèreté de l’instant. 

Mais vient un moment où la bifurcation apéritive se transforme inévitablement en un truc plus consistant, un début de projet concret, un vrai dîner. Nous voici donc à l’entrée de la vie de nos amies et ami, en chair et en os. 

“On a donc décidé de quitter les bureaux, d’avoir les mains dans la terre et de se lancer dans un engagement pour produire avec la nature. Notre but est de nourrir les gens avec des produits de qualité.” Les dés sont jetés, le projet amorcé. Cultiver la terre et produire. Mais au-delà de la forme, le fond est aussi quelque part, bien présent. Nos trois compères sont poussés par un esprit, une philosophie dont on reparlera juste après. 

Une petite ferme et quelques vaches ouvrent donc le bal. Comment se lancer ? Où donner le premier coup de fourchette ? Où la planter, où planter ? Comment organiser les choses ? Comment s’intégrer à ce que le vivant et la nature ont entamé dans ces sols et non pas l’inverse ?  

Décider, trancher, bêcher. Sur les 7 hectares que compte la ferme, Olivier et Charlotte n’en cultiveront que deux. Le reste étant en zone humide, dessiné par deux petits ruisseaux dégoulinant de saules et d'aulnes. Deux hectares à nu, c’est presque intimidant. Mais petit à petit, à mesure que s’ouvre notre dîner, à mesure que se pratique le couvert permanent, le paysage se modèle et se diversifie avec lenteur. 

Néanmoins si contempler et comprendre le cycle naturel est une chose, produire et vivre de son travail en est une autre : en parallèle est ainsi entreprise la construction de serres et la mise en place d’un système d’irrigation. Tout est dans l’équilibre donc : “On a gardé les prairies entre les parcelles de légumes. Le tout crée un écosystème.” Danser avec la nature, pas à pas.

Un plat du jour s’il-vous-plaît

Pourquoi parle-t-on de plat de résistance ? À vrai dire la réponse ne nous intéresse pas tant que ça, mais permettez-nous de conserver cette jolie expression qui va comme un gant à nos nouveaux paysans. 

L’entrée est revenue en cuisine et est déposée à notre table le cœur du projet. La résistance. Parce que oui, aujourd'hui, quitter sa vie citadine pour travailler la terre, c’est résister. Lâcher la vitesse pour apprivoiser la lente nature, c’est résister. Créer plutôt que faire, c’est résister.  

Le nouveau quotidien de Charlotte, Olivier et Anouk est foisonnant, riche. Une sorte de gros plat en sauce qui réchauffe mais qui peut parfois peser un peu si on en fait trop. Savoir doser. Savoir s’écouter, écouter, tout est là. 

Concrètement, la fine équipe fait pousser une trentaine de légumes et fruits (pommes, poires

et fruits à noyaux) et des baies (ragouminiers, cornouillers, caraganiers, autres petits fruits). Ajoutez à cela les quelque 800 arbres plantés pour délimiter les jardins maraîchers, l'objectif étant aussi de refaire des corridors et de favoriser le vivant. C’est la cerise sur le gâteau avant même notre dessert et cela s’appelle l'agroforesterie. Charlotte et Olivier s’attèlent depuis quelques années à un véritable modèle agroécologique, celui qu’on lit parfois dans tel ou tel guide et qui ne sera jamais mieux compris qu’en le vivant. Ce modèle consiste (tout simplement, ou presque) à associer des parcelles maraîchères et des arbres. Et les feuillus agiront, dans leur magie, comme un puits de carbone, générant leur propre fertilité et créant un oasis précieux pour la faune, y compris les oiseaux, les insectes, les champignons et tous les micro-habitants du sol. Là encore, le choix n’est pas juste poétique, il et elle en sont convaincus : l’arbre est la meilleure assurance de résilience face aux aléas climatiques répétés.

Tant à faire, entre émerveillement et hyperactivité, densité du présent et inévitable projection dans un futur très proche (quelles prochaines semences ? Et les plants de la semaine prochaine ?). Pas de doute, nous sommes au cœur de ce repas ensemble. Une dernière bouchée pour la route et la touche sucrée pourra être servie.

Le meilleur pour la fin

Avertissement sucré : il y a dessert et dessert. 

Celui que vous mangez pour faire plaisir, pour la forme, alors que vous en avez déjà trop dans la panse. Et celui que vous attendez religieusement, pour lequel vous avez soigneusement préservé en vous un espace et que vous goûterez donc avec une joie certaine. 

C’est de ce type de dessert que nous allons parler maintenant. Dans toute cette histoire, il y a une force de fond, un fil rouge solide, un liant qui fait tout. 

“La Ferme des Demains” ne porte pas ce nom par simple gourmandise. Derrière ce virage existentiel et ces choix radicaux, “à la racine de leurs vies”, s’agite une philosophie et une approche résolument tournés vers l’avenir. 

  • Elle est d’une part pratique. Le travail entrepris au sein de la Ferme des Demains repose sur des pratiques agricoles innovantes, notamment l’agroforesterie comme évoqué juste avant et laisse donc une vraie place à l’expérimentation.
  • Elle est d’autre part théorique dans le sens d’un recul sur notre monde, sa course folle et le pourquoi de notre place ici bas. Réinventer une nouvelle agriculture. Demain. Demains. Mission impossible ? 

N’oubliez pas le digestif

L’heure du premier bilan est arrivée. 

Réussir son projet est une chose. Réussir à se payer en cultivant ses légumes, montrer que biodiversité et agriculture vont de pair, tout ceci est crucial dans cette aventure… Mais l’essentiel n’est pas (seulement) là. 

Au regard de notre monde et des crises grandissantes que l’on traverse, il y a dans ce récit breton une leçon mystérieuse et pleine d’espérance. Dans ce que l’on pourrait qualifier de Ferme-punk-nourricière, favorisant une agriculture ensauvagée et rémunératrice, il y a une profonde remise en cause, systémique osons le mot, de nos manières de vivre et de faire : 

  • Créer mais sans soumettre, 
  • Produire mais sans épuiser,
  • Vivre mais sans écraser, 
  • Lutter mais sans hâte,
  • Penser mais sans jamais quitter le réel. 


Quelle eau de vie pour finir et se projeter ? Quel futur pour cette ferme ? 

La Ferme des Demains est portée par deux structures juridiques : une entreprise individuelle agricole et une association, dont la mission est de former, partager des connaissances et financer des projets d’agroécologie. Se dessinent ainsi deux versants : 

  • Nourrir et prendre soin de la terre 
  • Se nourrir les uns les autres et prendre soin de nos liens. 


Aujourd’hui déjà, Olivier et Charlotte accueillent aussi des jeunes en formation mais projettent aussi d'accueillir des groupes scolaires et des sorties nature. L’année dernière a été lancée la vente de leurs produits à la ferme. Il y a bien ici une ouverture à l’autre qui balaye l’idée que s’ancrer quelque part, c’est se recroqueviller sur soi-même. Les mains peuvent être à la fois dans la terre et tendues vers l’altérité, la rencontre. 

En touchant, palpant, expérimentant le vivant, on se lie à ce qui nous dépasse. Et on répare le monde, peut-être beaucoup plus efficacement qu’une équipe des Nations Unies depuis son bureau climatisé. Le couple est ainsi convaincu que l’agriculture est la réponse aux multiples défis auxquels nous faisons face, notamment le dérèglement climatique, l’insécurité alimentaire, l’extinction de la biodiversité, l’effondrement de la fertilité des sols et la perturbation du cycle de l’eau.

Vivement les prochains gueuletons ensemble, nourrir donne faim de rencontres sans fin. À demains. 

Sources :