Carnaval de Venise ou effondrement climatique ? Messi ou biodiversité ? Les JT font souvent leur choix. Avec professionnalisme et détermination, Plus de climat dans les médias milite pour une information qui prenne enfin la mesure de l’urgence. Présentation en 10 mots de ce qui devrait plutôt faire la Une.
Ambiance
Quelques premiers mots juste pour vérifier que vous suivez et vous plonger direct dans la problématique. La crise climatique n’est plus un lointain concept à prouver. Le déclin rapide de la biodiversité non plus. Il est désormais acté que les activités humaines sont à l’origine de tout ce merdier. Oui, j’ai écrit “merdier” et c’est un euphémisme. Les impacts sur les écosystèmes et les sociétés humaines sont généralisés et, pour certains, irréversibles. Les limites planétaires sont dépassées l’une après l’autre, et près de la moitié de l’humanité vit déjà en situation de forte vulnérabilité. Notre avenir se joue. La formule n’est pas poétique, elle est pragmatique, rationnelle et terriblement peu considérée.
Leonardo
Eté 2021, un petit groupe d’humains résiste encore et toujours à l’envahisseur de l’endormissement, de la lassitude face au déchainement de crises toutes plus graves les unes que les autres. Les premiers soubresauts de l’association Plus de climat dans les médias se manifestent donc sous forme d'intuition : “et si les médias n’étaient pas à la hauteur des enjeux écologiques ?”. Et si l’un des rouages de la machine à bloquer se trouvait dans le traitement médiatique de la question environnementale, climatique ?
Les recherches commencent, l’investigation est lancée. Le point d’entrée : les journalistes. La cible : les JT, premiers rendez-vous d'information des Français.
La fin de l’année 2021 marque aussi la sortie d’un film à succès sur une plateforme rouge et noire. Netflix n’avait jamais connu de carton pareil en quelques années d’existence. “Don’t Look Up” est une fausse fiction, vraie dystopie alertant justement sur l’aveuglement des médias face à la catastrophe qui vient. Il a beau voyager en avion, Leonardo n’aura pas fait que des bêtises.
Nos résistants et résistantes modernes en sont maintenant convaincus, leurs observations quantitatives et qualitatives des JT sont sans appel : il faut mener ce combat. D'autant plus que sur cette même période, la campagne des présidentielles est amorcée, ponctuée par l’alerte lancée par les quatre ONG de l'Affaire du siècle : pendant la semaine du 8 au 13 février moins de 3% des débats politiques ont été dédiés à l'écologie. C'est peu, trop peu.
JT
C’est donc sur l’emblématique Journal Télévisé, le JT comme membre de nos familles et de nos histoires que se jette le dévolu du petit groupe-poil à gratter. Ils et elles en sont conscientes, ils s’attaquent à un Everest. Les JT de TF1, France2 et M6 réunissent à eux seuls plus de 12 millions de citoyens chaque soir. Vous voyez combien ça fait déjà 1 million Larmina ?
Ces minutes d’images et de partage des turbulences de notre monde sont officiellement définies. La “mission d’information” des JT comme on le dit joliment, leur donne la responsabilité d’informer le public sur l’actualité dans sa globalité, et donc notamment l’actualité climatique et environnementale. Ceci est d'autant plus vrai que Le GIEC, Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, rappelle dans son rapport de 2022 que les médias “ont un rôle crucial dans la perception qu'a le public (du changement climatique), sa compréhension et sa volonté d'agir”. En cela, il est normal d’attendre un tant soit peu de pédagogie, de vulgarisation sur la question, en l’occurrence une explicitation des causes, risques, enjeux et solutions existantes. Malheureusement, ce meilleur des mondes-là est encore loin. La preuve avec l’anecdote suivante.
Entre 2013 et aujourd’hui le pourcentage de reportages sur la question climatique dans les JT de TF1 et France 2 a été de… 0,8 %!
Le lundi 28 février 2022 sortait un rapport du GIEC portant sur les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité face au changement climatique. Et ces lignes sont devenues tristement et habituellement des cris d’alerte pour notre civilisation.
Malgré cela, et sur 370 minutes de JT cumulées sur TF1, France 2 et M6 dans les 3 jours qui ont suivi, le temps d'antenne accordé à ce rapport a été de… 3 minutes. Trois petites ridicules minutes.
La guerre en Ukraine était naissante me direz-vous. Evidemment. Mais ces sujets sur le carnaval de Venise étaient-ils eux indispensables ? Et le phénomène n’est pas nouveau : lors de la sortie du précédent rapport en août 2021, c’est le transfert de Messi qui avait occupé les écrans. Le tâcle ultime à l’avenir de notre monde.
JT BIS
Notons quand même, pour sécher un tant soit peu vos larmes, qu’une petite amélioration semblait en marche lors des dernières couvertures médiatiques des rapports du GIEC. Les veilleurs de l’association ont en effet noté que les 3 minutes accordées au volet N°2 des rapports en février 2022, se sont épaissies par la suite : 13 minutes pour le volet N° 3 en avril 2022 et 17 minutes pour la synthèse du rapport du GIEC en mars 2023.
Et si le climat s'emballe, pas de quoi le limiter avec ces maigres chiffres. 2 ans plus tard, en pleine période de campagne des élections législatives en 2024, le sujet du réchauffement climatique a été quasi évacué du débat public. Si l'on regarde l'ensemble des enjeux environnementaux (biodiversité, ressources naturelles), ce n'est pas mieux : sur les 900 minutes de journaux télévisés consacrés aux élections législatives, seules 6 minutes ont été consacrées à l'explication des volets écologiques des programmes (JT de midi et soir de TF1, France 2 et M6, données Climat Médias). Finalement les médias commentent les conséquences météorologiques du climat quand elles se manifestent plus qu'ils n'informent (exemple parmi d’autres : la période de vagues de chaleur, désormais présente chaque été).
Nous
Ne jetons pas la pierre aux journalistes qui ne font que refléter l’intérêt de leur consommateurs ! Je répète : ne jetons pas… Attendez, notre intérêt, quel est-il ? Commençons par le commencement : entre 3,3 et 3,6 milliards de personnes dans le monde sont déjà impactés par les effets des dérèglements climatiques. Et nous concernant, nous Françaises et Français, 53% d’entre nous estiment que les médias n'accordent pas suffisamment de place aux sujets climat et 94 % que le dérèglement climatique est un “enjeu capital”. Oui, on ne l’a pas écrit en lettres CAPITALES mais on aurait pu.
Il semble donc que les destinataires de l’information soient prêts, voire demandeurs pour que les chapitres climatiques s’allongent… L'enjeu est encore de savoir comment en parler. Pour les professionnels des médias le sujet est trop “anxiogène”. Mais ceci ne serait-il pas applicable à la COVID, qui a pourtant saturé le flux médiatique en son temps, tout comme les guerres et autres catastrophes? Allez comprendre...
Le vrai problème est que la plupart des journalistes, alors qu'ils sont supposés être les mieux informés, n'ont toujours pas compris l'ampleur du problème...
Accouchement climatique
Revenons à nos moutons fous, ceux et celles qui ont justement fait le choix de ne pas suivre, comme ces doux animaux, les choix éditoriaux de nos médias tant aimés. Après avoir fait le constat de ce petit (gros) problème de nos plateaux télé, la troupe s’est organisée. Et s’est finalement constituée en association en septembre 2022.
“Plus de climat dans les médias” ou “Climat Médias” (pour les intimes) est née.
Charte
Parmi les références de “Plus de climat dans les médias”, une charte. Plus précisément, la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence climatique rédigée en par un groupe de journalistes spécialisés sur les sujets environnementaux en 2022. Son respect, sa démocratisation pour la profession est devenu un véritable cheval de bataille pour l’association.
Que renferme ce document ? Un constat tout d’abord sur le consensus scientifique clair (et déjà largement partagé par les expertes et experts depuis des années). Une nouveauté du sixième rapport du GIEC, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, est d’ insister sur le rôle crucial des médias pour “cadrer et transmettre les informations sur le changement climatique”. D’où cette charte, d’où l’existence de “Climat Médias”. La charte est donc une requête brûlante : “Il appartient à l’ensemble des journalistes d’être à la hauteur du défi que représente l’emballement du climat pour les générations actuelles et à venir. Face à l’urgence absolue de la situation, nous, journalistes, devons modifier notre façon de travailler pour intégrer pleinement cet enjeu dans le traitement de l’information.”
Pétition
“Plus de climat dans les médias” ne s’arrête pas là. Lancée le 4 avril 2022, une pétition dépasse aujourd’hui les 20 000 signatures. En quelques lignes, l’association exige :
- Des rubriques quotidiennes traitant de la crise climatique et des autres crises écologiques. Quotidiennes dans le sens tous les jours. Et pas une fois par éclipse lunaire.
- L’ambition doit être de permettre à chacun et chacune de comprendre les causes et les impacts de ces bouleversements, d’appréhender leur ampleur et de prendre connaissance des solutions possibles. Quand tout individu dispose des éléments nécessaires pour poser des actes éclairés, on appelle cela la démocratie. Et ça a l’air vraiment très sympa.
- Que les liens existants entre crise climatique et autres actualités soient systématiquement explicités. Le monsieur aux cheveux oranges… le climat. Le monsieur dans son jet… le climat. Les obus à l’est… le climat. ChatGPT… le climat. Vous voyez l’idée ?
- Un traitement des sujets en profondeur, notamment grâce à des "grands formats". Oubliez TikTok, c’est passé de mode depuis longtemps.
- Que des personnes compétentes et de divers horizons (scientifiques, journalistes spécialisés, ONG) soient sollicitées et présentes sur les plateaux afin d'apporter un éclairage pertinent permettant un débat avisé. Un certain Pascal P. a candidaté à ce poste et a vu son CV refusé pour “manque de compétences évidentes”.
- Enfin, que les journalistes, de toutes rubriques et à tous les échelons, ainsi que les directeurs et directrices d’antennes, soient formés aux enjeux climatiques (et plus largement écologiques) pour pouvoir en parler avec pertinence, contextualiser certaines actualités et être plus à l’aise dans le traitement de ces questions face aux personnalités qu’ils et elles reçoivent sur leurs antennes. La formation étant un peu plus poussée que de s’exercer à jeter les touillettes de café dans la bonne poubelle.
Vous adorez ces revendications ? Nous aussi. Vous signez ? C’est ici.
L'observatoire des médias sur l'écologie (OME)
En 2023, Plus de climat dans les médias, aux côtés de ses confrères et consoeurs de Data for Good, Expertises Climat, QuotaClimat et avec le soutien technique des entreprises Eleven Strategy et Mediatree, se lance un défi : créer un baromètre des médias sur l'écologie. Et quelques mois après seulement va naître, notamment grâce au soutien de l'Ademe et l'Arcom, l'Observatoire des Médias sur l'Écologie. C’est une plateforme web open source qui analyse en continue le traitement médiatique des enjeux environnementaux dans les programmes d’information audiovisuels. Un élargissement à la presse écrite et web et à l'analyse de la désinformation climatique est prévu pour 2025-2026.
Lire aussi → Et vous, votre ombre climatique ça dit quoi ?
Money money money (ça fait trois fois “money”)
Comment ne pas aborder le nerfs de la guerre de toute association, tout mouvement, surtout lorsqu’il s’agit de ramer à contre-courant. Vous vous demandez, au terme de cet émouvant article, comment aider “Climat Médias” ? Vous désirez ardemment les soutenir ? Trois idées rien que pour vous.
- L’autographe
A priori, vous l’avez compris mais on en remet une couche : le nombre et la masse sont les meilleurs soutiens d’une organisation qui fait du plaidoyer climatique. Un petit clic et un partage et l’éclaircie est amorcée.
- Le blé
Comme énormément de gens, vous avez trop d’argent et rêvez de vous en débarrasser. Si votre situation est particulièrement inconfortable, je me propose de vous aider : versez quelques écus à “Climat Médias” et donnez-leur les moyens de réaliser tous les projets en cours et futurs pour accorder toujours plus de place au climat dans les médias. Et si vous avez déjà tout donné à votre petit frère pour qu’il s’achète une villa à Monaco, il est aussi possible de proposer un mécénat de compétence. Tout se passe sur leur site.
- Votre petite bouche et leurs grandes oreilles
Non, ce n’est pas un détail. Une discussion à la volée avec votre collègue, concierge, vendeur de légumes est tout sauf anodine. Parlez-en, parlons-en. Et les médias suivront. Et Léa Salamé se transformera en Léa Jancovici.
Les coordonniers
… ne sont pas toujours les plus mal chaussés. Voyez vous-mêmes : l’association “Climat Médias” promeut la démocratie, la responsabilité et finalement le respect de la dignité de tout être humain évoluant en ce bas monde mouvementé. Nous sommes allés farfouiller dans les valeurs de l’asso et avons trouvé ceci :
- “Le respect”. Le niveau de connaissances dans ces domaines étant très variable, l’association met un point d’honneur à vivre et pratique ses combats dans un esprit de non jugement devenu espèce en voie de disparition. Mais ce respect n’a d’égal que l’exigence qui l’accompagne : soutenir les journalistes de manière bienveillante n’est utile que si leur montée en compétences est solide et rapide.
- “Faire toujours de son mieux”. Un accord Toltèque qu’il faudrait voir environ partout. Face à des enjeux si complexes, les arbitrages nécessaires ne seront jamais parfaits et l’association a bien conscience qu’aucune solution miracle n’existe.
- “Principe de coopération”.
Voilà la parfaite conclusion de tout cela. Le climat est une thématique tellement vaste qu’elle écrase souvent les courageux et courageuses qui décident d’y mettre leur nez. Mais sous les couches innombrables de la complexité, c’est bien le lien à l’autre, l’entraide qui est en jeu. Au-delà de nos relations quotidiennes, c’est aussi dans la manière d’agir, de travailler que la coopération peut ou non advenir. Quand “Plus de climat dans les médias” déclare “nous sommes ouverts à tout type de partenariat avec toute personne ou organisme souhaitant apporter sa contribution sur le sujet.”, on comprend que derrière l’outil, la refonte philosophique et politique de notre monde transparaît… Retroussons-nous donc les manches et allons voir les grands Manitous du 20 heures.