Agroforesterie, une révolution en marche

Agroforesterie, une révolution en marche

Agriculture + forêt = agroforesterie ? Presque ! Petite leçon pas prise de tête d’une technique agricole qui veut du bien à nos assiettes et notre planète.
02 October 2024
par Vianney Louvet
7 minutes de lecture

C’est un mot qui semble réservé aux forestiers, forestières, techniciens et autres spécialistes du domaine. Et pourtant l’univers est passionnant et gorgé d’espoir parce qu’il met la vie, la nôtre et celles des êtres qui nous entourent, au cœur. Essayons de reprendre la base de cette pratique et son avenir (qu’on espère radieux). 

Le concept, en bref

Si l’on fait les choses sérieusement et que l’on regarde ce que dit l’Association Française d’Agroforesterie, on trouve ça : “l’ensemble des pratiques agricoles qui associent, sur une même parcelle, des arbres (sous toutes leurs formes : haies, alignements, bosquets, etc.) à une culture agricole et/ou de l’élevage”. Reformulons (parce que c’est toujours bon pour le cerveau de reformuler) : l’agroforesterie c’est une bonne salade composée dans laquelle on retrouve des arbres, ingrédients de base, et à laquelle il faut ajouter un peu d’élevage ou de céréales ou tout autre type d’agriculture pour pimenter le tout, tant qu’elle est praticable au milieu des copains à feuilles. 

Vous l’aurez compris, l’arbre devient donc un allié des pratiques agricoles et son intégration sur la ferme permet de renforcer l’exploitation agricole de différentes manières : 

  • En plantant des haies par exemple, on protège les bêtes ou les cultures (du froid, du vent), et donc la production en général.
  • Le bois peut permettre de diversifier les revenus ou permettre d’économiser certaines dépenses ou juste du temps : broyer les branches d'arbre offre un paillage fait maison au maraîcher ou à l'éleveur de bovins.
  • Cerise sur le gâteau, cette “forêt dans la ferme”, c’est aussi la garantie de ce qu’on appelle, sans beaucoup de poésie, les “services écologiques”. On assure, sans effort ou presque (l’entretien de haies est loin d’être chose aisée !) la préservation et le renouvellement des ressources naturelles comme l’eau, les sols et leur fertilité et en général la biodiversité des espaces. 

Ajoutons que le boss de la question au niveau international, l’ICRAF (tu adores les acronymes, ça se sent : The Center for International Forestry Research and World Agroforestry) précise l’aspect holistique de la démarche en expliquant que l’agroforesterie vise à améliorer “les conditions sociales, économiques et environnementales de l’ensemble des utilisateurs de la terre”. Et ce ne sont pas juste des beaux mots, c’est très concret : planter des fruitiers dans les vergers peut apporter une autre source de revenu.

Mode d’emploi

Ne craignez rien, même sans être agronome, vous allez comprendre cette partie. Pourquoi donc un arbre est à la ferme ce que Zidane était à la France en 98 ? On refait le match :

  • Sur les coup-francs, rien ne passe : on l’a évoqué, en formant un rempart au vent, les arbres deviennent essentiels dans des régions où les phénomènes climatiques sont extrêmes. Imaginez la joie des bêtes qui profitent d’un surplus d’ombre ou de fourrage supplémentaire.
  • Ils mouillent le maillot jusqu’au bout : un arbre est un régulateur d’eau hors-pair. Il améliore l’infiltration, recharge la réserve utile du sol, réduit le ruissellement, limite les pertes par évaporation, filtre, autant qu’il en est capable, les pollutions alentour…
  • La pelouse du terrain s’en porte royalement : en captant de la lumière, la photosynthèse augmente significativement la quantité de matière organique du sol, confectionnant par là un joli cadeau aux cultures et bêtes du coin.
  • Les joueurs reprennent des couleurs : un arbre est une petite caverne d’Ali-baba qui recèle une faune et une flore diversifiées et précieuses. Cela peut par exemple devenir crucial pour un apiculteur à qui l’on offre un paradis pour ses pollinisateurs.

La ferme vue du ciel des Demains vue du ciel

Et voici quatre exemples concrets qui vont vous donner envie de monter dans un train et de venir faire un tour aux quatre coins de la France : 

  • Il y a la ferme des Demains, en pleine Bretagne (Moustoir-Ac, dans le 56, ça te parle c’est que tu es un ou une vraie) qui met au cœur de son modèle agroécologique l’association d’arbres et de parcelles maraîchères.
  • A Rémilly, il y a cette micro-ferme, au doux nom de la ferme du Moineau, et dont le fonctionnement est pensé de bout en bout.  Une pépinière, organe de reproduction végétale, permet de multiplier les arbres, qui eux-mêmes produisent de la biomasse pour les sols et des fleurs pour les insectes, qui eux-mêmes, les abeilles notamment, pollinisent les arbres fruitiers et les légumes, qui eux-mêmes, sous forme de déchets nourrissent poules et moutons, qui eux-mêmes produisent de la matière organique pour la régénération des sols. Bref, tu vois l’idée, et elle est belle.
  • Et que dire de cette aventure, celle d’Ines Deraeve, paysanne boulangère bio, qui s’est lancée dans l'agroforesterie ? C’est dans la Somme que ça se passe, dans la merveilleuse Picardie donc.  Cette fois-ci l’agroforesterie, que vous commencez à voir sous ses multiples visages, prend la forme d’un élevage ovin et de céréales qui finiront en pain bio à la saveur réchauffante…
  • Finissons avec le lointain Pays Basque, et sa ferme Ahalen Lurrak, dite “autonome, formatrice, et sociale”. Beau programme. Là-bas, légumes, plantes aromatiques et fleurs comestibles sont cultivées sur pas moins de 5000m², avec un verger en agroforesterie de 6000m², où paissent 5 brebis et 5 vaches Galloway, luxe, calme et volupté agroécologiques. 


Et ça sort d’où ce truc ? 

Comme souvent, les trucs géniaux de notre époque existaient en fait déjà au bon vieux temps. Certains systèmes agroforestiers traditionnels sont là et bien là et se maintiennent contre vents et marées : bocages, sylvopastoralisme, pré-vergers, cultures intercalaires en vergers fruitiers, vignes complantées… Les paysans et paysannes d’antan n’ont pas attendu nos powerpoints pour comprendre que les arbres étaient des atouts de choix pour renforcer un système agricole. Mais disons que le concept “agroforesterie” date lui de la fin des années 1970, made in Centre mondial d’agroforesterie. 

Un système agroforestier aujourd’hui, c’est donc soit un retour aux sources, soit un résistant de l’ancienne époque. En effet, les deux derniers siècles ont largement transformé, standardisé les pratiques agricoles et le remembrement de la deuxième moitié du XXe siècle a été responsable de la disparition de nombreux arbres, haies, zones boisées présents sur des exploitations agricoles. Mais certains petits villages, petits paysans résistent encore et toujours à l’envahisseur, notamment en Normandie par exemple où le bocage est visible et largement intégré dans de nombreuses fermes.   

La théorie, oui, mais en pratique ?

Alors oui, l’agroforesterie, cela ne date pas d’hier, n’empêche qu’une ferme en 2024 ne fait pas face aux mêmes défis qu’une ferme 200 ans plus tôt. 

Aujourd’hui les défis énormes auxquels nous faisons face justifient d’autant plus l’urgence de massifier les pratiques agroforestières dans nos exploitations agricoles. Vous l’avez sûrement déjà lu mais il est toujours bon de le rappeler : durant leur phase de croissance, les arbres absorbent et stockent le CO2. Un frêne par exemple, retient à maturité 3 kg de CO² par an et se transforme en puits de carbone, atténuant ainsi les effets du réchauffement climatique. Vous comprenez donc (l’énorme) différence entre les immenses parcelles dénuées de tout arbre dans la Beauce et celles vallonnées et découpées par les haies en pleine Bourgogne…

Vient alors une question cruciale. Replanter des haies, c’est long et cela coûte cher. Et ce serait encore sur les épaules des agriculteurs et agricultrices que reposerait la responsabilité ? Les récentes manifestations convergeaient en un point au moins : trop de complexité au quotidien, trop de pression sur les paysans en 2024. Un embryon de réponse peut malgré tout résider dans les intérêts que l’agroforesterie apporte au métier. Au-delà de ceux exposés ci-avant, la question des rendements est souvent avancée comme le nerf de la guerre. Bonne nouvelle, l’agroforesterie ne l’oublie pas. “L’intensification écologique sans intrant supplémentaire” vous connaissez ? L’expression éveille la méfiance mais dit finalement quelque chose de simple : les rendements n’augmentent pas que par la chimie. Selon l’INRA, une parcelle agroforestière génère 36% de produits agricoles et de bois de plus qu’une parcelle classique. 36%, ce n’est pas rien. Exemple simple mais éloquent : le noyer qui par sa sécrétion d’un insecticide naturel, la juglone, éloigne la plupart des ravageurs, comme les punaises. Simple, basique.

Un autre élan qui nous parle beaucoup est d’intégrer les habitants autour, ceux et celles qui veulent aussi prendre soin des terres, de notre avenir, et qui ont du temps à donner. Dans la vallée de la Bourbre cette année, une campagne pour un “Agroforesterie participative en vallée de la Bourbre” a récolté plus de 2000€. L’idée est clairement affichée : “agir avec des agriculteurs et des citoyens pour atténuer les effets du changement climatique et favoriser la biodiversité, en utilisant des solutions fondées sur la nature : fossés, mares, prairies, haies, arbres”. Là encore, c’est l’eau qui est sur le devant de la scène, avec la nécessité de la retenir par le système racinaire et ainsi mieux faire face aux prochaines canicules et sécheresses.

Quels horizons pour la suite ? 

À ce stade et pour déployer un peu plus ces pratiques, deux leviers peuvent être activés : 

  • Le levier “culturel” : la sensibilisation autour de ces pratiques reste essentielle. Si chaque année, 3000 hectares de cultures sont plantés en agroforesterie, la technique reste cependant marginale et représente moins de 1 % des terres agricoles françaises… du pin sur la planche. 
  • Le levier politique : la Politique Agricole Commune européenne prend par exemple en compte depuis 2006 l’agroforesterie dans la répartition de ses aides, avec une extension - parfois critiquée - des conditions d’éligibilité depuis 2015. Et au niveau national ? Beaucoup d’efforts restent à faire. Cette année, le rapport annuel de la Cour des Comptes mettait en avant les tensions à venir sur les rendements agricoles et sur le partage de la ressource en eau. Tiens donc. Ce même document explique que la résilience passera par la transition agroécologique, et donc, vous nous voyez venir, par des outils comme l’agroforesterie. La plantation, replantation de haies, ainsi que la diversification des cultures et la complexification des rotations sont poussés par le rapport. Et c’est la suite qui nous intéresse. Et qui apporte un nouvel élément de réponse à nos questionnements précédents. Ces mesures “plus risquées, demandent davantage d’accompagnement de la part de l’Etat”. La société civile doit donc comprendre et soutenir l’effort agricole, mais rien de tout cela ne pourra émerger à l’échelle nationale sans une politique agricole réellement en rupture avec celle des dernières décennies. 


Sources :