“Nous devons faire équipe avec le vivant”, entretien avec Alain Renaudin

“Nous devons faire équipe avec le vivant”, entretien avec Alain Renaudin

Et si la nature était notre meilleure alliée ? Pour Alain Renaudin, pionnier du biomimétisme, « faire équipe avec le vivant » n’est pas une métaphore, mais une voie concrète pour réinventer nos modèles et notre avenir. Rencontre
19 September 2025
par Hélène Binet
5 minutes de lecture

Économiste de formation, passé par l’IFOP et DDB Corporate, Alain Renaudin se définit comme un généraliste curieux des tendances de société. Fondateur de Newcorp Conseil, il accompagne depuis plus de vingt ans les acteurs économiques dans leur transition écologique. Pionnier du biomimétisme en France, il est aussi à l’origine de Biomim’expo, grand rendez-vous international consacré à l’innovation inspirée du vivant. Rencontre.

Vous êtes un spécialiste du biomimétisme, vous n’avez pas de boule de cristal mais selon vous il nous faut « faire équipe avec le vivant » si l’on veut poursuivre notre aventure sur terre, qu’entendez-vous exactement ?

Alain Renaudin : C’est une petite phrase qui cache une grande révolution. Pendant des millénaires, nos ancêtres savaient qu’ils devaient faire corps avec la nature. Puis, dans nos sociétés occidentales, nous nous sommes coupés du vivant : l’énergie était abondante et peu chère, nous nous sommes urbanisés, et nous avons fini par croire que nous pouvions nous passer de lui.

Aujourd’hui, nous redécouvrons une vérité banale et pourtant universelle : nous sommes une espèce parmi d’autres, totalement dépendante du reste du vivant. Faire équipe, c’est donc considérer la nature comme un colocataire, un partenaire d’avenir, voire un collègue qui a de meilleures idées que nous. Il s’agit de prendre conscience qu’on est dans une obligation de communauté de destins.

Actuellement, on est en train de franchir une nouvelle étape. On se rend compte que faire beaucoup moins de beaucoup trop ce n’est pas assez, il faut continuer de réduire mais aller plus loin pour que notre impact devienne un solde positif . Plus on renaturera, régénèrera, plus on aura un allié pour lutter contre le réchauffement climatique. Le vivant est une solution au problème climat.

Dans la vraie vie, ça se manifeste comment cette notion d’équipe ? 

Dans la pratique, cela peut se traduire de manière formelle, comme chez Norsys où le vivant a une voix juridique, ou informelle, en posant des questions simples à chaque fois que l’on doit prendre une direction : « Face à ce problème, que ferait le vivant ? » ou « Le vivant approuverait-il ma décision ? ». On peut même considérer la nature comme un client et se demander si elle achèterait notre solution. L’objectif est de générer des solutions bénéfiques à la fois pour l’humain et pour la nature — un vrai double impact.

Qu’est-ce que cette notion d’« équipe » change par rapport à l’idée de nature comme simple ressource ?

A.R. : Le vivant n’est pas une réserve à exploiter, c’est une dynamique de coopération. Gauthier Chapelle et Pablo Servigne l’ont bien compris et montrent que la coopération est plus efficace que la compétition.

Prenons les sols : sans les mycorhizes qui relient racines et mycélium, pas d’échanges, pas de « marché » naturel. Tout le système de la photosynthèse, c’est du deal, de l’échange, aucun protagoniste ne doit manquer. Autre exemple : en Afrique, certains acacias collaborent avec des fourmis qui les protègent des éléphants. La nature nous montre sans cesse que la coopération est plus efficace que la compétition.

Au lieu de dominer, il faut apprendre à collaborer. Et la coopération, dans le vivant comme dans nos organisations, produit plus de matières, de créativité, d’idées. Il faut hybrider nos approches, multiplier les travaux en équipe, rassembler un maximum de façons de voir. On ne solutionnera pas les problèmes d’aujourd’hui avec les réflexes qui les ont créés. Il nous faut ouvrir d’autres champs.

Cela suppose-t-il de reconnaître une forme d’intelligence non-humaine ?

A.R. : Évidemment. Chaque organisme développe une intelligence pour survivre, consommer le moins d’énergie, s’adapter à son environnement. Les arbres, les insectes, les bactéries… tous sont porteurs de savoir-faire extraordinaires. Limiter l’intelligence à l’humain est une erreur. Si nous continuons ainsi, nous serons peut-être l’espèce la plus éphémère de la planète — ce qui n’est pas franchement une preuve d’intelligence.

Pouvez-vous partager un moment où les humains ont vraiment dû « écouter » ou « s’inspirer » du vivant ?

A.R. : Autrefois, à l’époque des chasseurs-cueilleurs, nous étions en hyper-écoute du vivant : nous suivions ses signaux pour survivre, nous faisions corps avec lui. Le vivant est un maître de l’adaptation, rempli de capteurs. Le grillon, par exemple, possède des poils sensoriels qui déclenchent une réaction immédiate s’il décèle un danger. C’est une belle métaphore pour nos organisations : transformons nos collaborateurs en « poils sensoriels », capables de capter ce qui se passe pour mieux s’adapter.

L’agriculture à ses débuts reposait aussi sur cette attention fine : les paysans savaient observer pour que les plantes se portent bien. Mais peu à peu, nous avons cherché à doper la nature plutôt qu’à coopérer avec elle. Aujourd’hui, et c’est une bonne nouvelle, on re-mime la façon dont un système est productif en réintroduisant des souches de champignons pour rétablir les liens entre le sol et la plante, en réhabilitant des couverts végétaux… L’agriculture est en train de se ré-inventer avec une mosaïque de cultures, de modèles adaptés à leur environnement local. La mondialisation uniforme et standardisée n’existe pas dans le vivant.

Quels sont les freins à l’adoption de cette vision ?

A.R. : Le premier frein est culturel : il nous faut accepter de descendre de notre piédestal et de reconnaître que nous ne sommes pas supérieurs. Dans nos organisations, il nous faut aussi appréhender des sciences et disciplines qui ne nous sont pas familières. Il y a peu de biologistes dans les conseils d’administration des groupes industriels par exemple. Quand tu fabriques des moteurs électriques, parler avec un spécialiste des libellules ça peut être un choc. Il y a une passerelle sémantique, grammaticale, culturelle qu’il faut construire. 

Le deuxième est économique : le biomimétisme est encore dans une phase émergente. Comment passer de la recherche à l’industrialisation, trouver des modèles pérennes ? Enfin, il y a un déficit de connaissances : on ne connaît encore que l’écume du biomimétisme.

Il faut apprendre à ne pas réduire la nature à une boîte à outils. C’est un partenaire, pas un fournisseur.

Si l’on se projette dans 20 ou 30 ans, à quoi ressemblerait une société qui fait vraiment équipe avec la nature ?

A.R. : Je la vois très clairement : nos villes et nos villages seront poreux avec la nature, nos productions intégreront des bénéfices pour le vivant, les enfants apprendront à reconnaître les arbres et les animaux dès l’école.

Et surtout, nous aurons redonné toute son importance aux sols. Ce sont eux les grands oubliés : ils peuvent être des puits de carbone, des protecteurs contre les inondations, des alliés de l’agriculture. Faire équipe avec les micro-organismes qui les peuplent, c’est sans doute l’exemple le plus prodigieux de ce que cette alliance peut produire.

Quel conseil donneriez-vous à la prochaine génération d’innovateurs ?

A.R. : Réémerveillez-vous ! Redevenez curieux du vivant. Sortez de vos silos, conjuguez vos talents, encouragez les démarches expérimentales au lieu de les juger trop vite. Les prototypes « V0 » d’aujourd’hui sont les « V5 » performantes de demain. Le vivant a mis des millions d’années à trouver ses solutions. Prenons le temps d’apprendre de lui.

RDV à la Biomim’Expo

Faire équipe avec la nature pour dessiner le futur, voilà le thème du prochain salon Biomim’Expo qui se tiendra à Marseille le 28 octobre 2025. Conférences, ateliers, pitchs, exposition, venez prendre un grand shoot d’inspiration 100% naturelle.

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