Comment s’épanouir dans un monde qui s’effondre ? Née la même année que Tchernobyl, Flora prend les effondrements en plein cœur et soigne son éco-anxiété grâce aux principes de la permaculture. Rencontre.
« Je me sens comme un portrait de Pablo Picasso, abstraite et déconstruite. » À la page 11 du livre Nos voies de résilience qu’elle vient tout juste de sortir, Flora raconte l’état dans lequel elle se trouve en cette fin d’année 2015 où son émoi intérieur a commencé à dangereusement se fissurer. Attentats de Charlie hebdo et du Bataclan, COP 21, la presque trentenaire hyper active vit cette année-là un tremblement de terre intérieur. « J’ai besoin d’une porte de sortie ou une porte d’entrée. J’ai besoin de comprendre ce qui m’arrive… J’ai peur, je suis triste, je suis en colère. »
En 2015, le mot solastalgie encore confidentiel devient une réalité pour Flora. « La solastalgie n’est ni une maladie mentale ni un trouble, explique le philosophe Glenn Albrecht qui a inventé le concept en 2003. On peut la penser comme un malaise mais la détresse solastalgique est parfaitement normale : elle indique que vous avez un lien puissant avec votre environnement, et que vous souhaitez le conserver. » Cette sursensibilité à ce qui l’entoure est sans doute l’un des traits forts de personnalité de la jeune femme diagnostiquée haut potentiel à l’aube de son adolescence. « Je suis zébrée, explique-t-elle sur le blog Au bonheur des zèbres qu’elle a créée en 2016. Ça veut dire quoi ? En très gros, que j’ai un fonctionnement intellectuel et émotionnel un peu particulier. Mais rien de grave, il paraît au contraire que c’est plutôt bien : l’autre nom du zèbre, c’est ‘surdoué’ ». Les Canadiens appellent cela la douance, « une intelligence hors norme, qui se caractérise par une curiosité insatiable, un mode de raisonnement fonctionnant par association d'idées, une hyperactivité, une hypersensibilité, voire une extralucidité. » Quoi qu’il en soit, fin 2015, Flora est en vrac. « Sans oser le formuler, j’explorais l’effondrement intérieur et la possibilité d’y survivre. »
Flora Clodic-Tanguy © Charlotte Rovai
Ouvreurs de voies
Parmi les thérapies auxquelles s’essaie celle qui se qualifiait hier de slasheuse, mi-journaliste, mi-consultante, mi-communicante, figure la quête de ses semblables. Aller à la rencontre de celles et ceux qui, conscients des prochains effondrements, ont trouvé leur parade pour vivre avec cette nouvelle réalité. Le projet durera presque 6 ans, prendra des chemins de traverse (Flora était au départ partie sur l’écriture d’un livre sur les personnes à haut potentiel) pour aboutir à 302 pages de quête intérieure, de rencontres et d’apaisement. Dans son ouvrage Nos voies de résilience, Pablo Servigne, Laure Noualhat, Thierry Thevenin, Odile Chabrillac, Louise Browaeys, Duc Ha Duong semblent avoir trouvé leur voie de résilience et donnent à Flora (et aux lecteurs au passage) des pistes pour ouvrir la sienne. « Au fil des mois j’ai tissé la toile de mes inspirations résilientes autour de trois échelles, imbriquées et interdépendantes : les résilience écologique, sociale et intérieure, qui font écho au triple lien à la planète, aux autres et à soi-même d’Abdennour Bidar, » précise celle qui était hier journaliste de C dans l’Air.
« L’autonomie est une notion politique »
Pour Glenn Albrecht, « une personne faisant l’expérience de la solastagie ressentira probablement le besoin de faire cesser les causes qui en sont à l’origine. Le plus souvent, cela implique une action politique. » Chez Flora, l’action politique se traduit par un retour à la terre et la quête d’autonomie. En 2019, elle s’installe dans le Cantal, dans l’éco-lieu des Escuroux, parfait exemple de système permacole avec Mathieu qu’elle a rencontrée sur le groupe Facebook « Adopte un collapso ». On est au bout du monde, à la pointe extrême du massif central, à la limite de l’Aveyron et du Lot. Pour la vadrouilleuse, c’est une façon de déposer armes et bagages et de faire le point sur son existence.
Dans un premier temps, la Flora des villes s’oublie pour devenir la Flora des champs. Elle apprend les rudiments de la vie en autonomie : faire du feu, greffer des arbres, coudre, reconnaître les plantes comestibles dans la nature, fabriquer tout un tas d’objets de ses mains, réaliser des conserves… et se plonge dans la permaculture, principe fondateur de la ferme des Escuroux. Pendant des mois, Flora tresse des paniers, loupe des greffes mais voit repartir les arbres, plante des radis qui se font dévorer par des rats-taupiers, considère l’échec comme un apprentissage.
Flora Clodic-Tanguy © Charlotte Rovai
Le vivant comme modèle de résilience
« L’autonomie et la permaculture m’ont permis de voir l’existence autrement, de lui donner un sens, » témoigne Flora qui retrouve peu à peu goût en la vie même s’il ne se passe pas un jour sans qu’elle pense effondrement. Les principes de la permaculture sont devenus les règles de son quotidien qu’elle égrène comme des mantras : « le problème est la solution », « aller du global au détail », « agir avec patience et à petite échelle », « un minimum d’efforts pour un maximum d’effets », « utiliser le changement et y réagir de manière créative », « intégrer plutôt que séparer ». Sur ce dernier point, la jeune femme en a fait un terrain d’expérimentation personnel. « Quand je suis arrivée dans le Cantal, j’ai voulu bazarder tout ce qui constituait ma vie d’avant. Je voulais oublier la Flora citadine qui faisait de la com, qui n’avait pas la main verte, avait accumulé tout un tas de compétences inutiles. Au fil du temps, je me suis rendue compte que c’était nier celle que j’étais. »
Réconciliée avec elle-même, Flora accepte aujourd’hui de ne pas forcément réussir à se définir avec un seul mot même si elle aime beaucoup l’idée de tisserande pour créer des liens entre les gens, les idées et les intérêts. « Il y a 5 ans, je disais que j’étais slasheuse heureuse, aujourd’hui je n’ai plus besoin de qualifier celle que je suis. Je suis autrice, journaliste, j’ai appris la permaculture et la transmets en partie à mes clients quels qu’ils soient. C’est un pense bête qui me rappelle les choses essentielles : prendre soin de la terre, des humains, partager équitablement. En fait, aujourd’hui, j’ai juste besoin que ce que je fais soit en harmonie, quand ça ne l’est pas, j’ai besoin de bouger. »
L’harmonie cantalouse ayant connu quelques dissonances sentimentales ces derniers temps, Flora quittera la terre ses prochaines semaines pour retrouver la mer, celle d’où elle vient. Noir Désir chantait : « Infinité de destins, on en pose un et qu’est-ce qu’on en retient. Le vent l’emportera. » Et si le mouvement était le meilleur allié de la résilience ?