Quand les alpinistes rêvent d’ascensions de sommets inaccessibles, Benjamin de Molliens ouvre une voie d’un autre type, celle de l’aventure écolo-compatible. Ses explorations font découvrir la beauté et la fragilité du monde et interrogent sur l’empreinte que nous souhaitons laisser.
Échoué sur une plage de Banyuls-sur-mer, les bras en croix, un bâton télescopique dans chaque main, un homme semble remercier l’univers. Sous la photo, quelques lignes en guise d'épitaphe. “Une partie de la tête encore dans les sommets, l’autre dans la Méditerranée, j’ai terminé ce matin la plus belle des traversées. De Hendaye à Banyuls, j’aurais passé 23 jours et 5 heures sur la Haute Route des Pyrénées, soit pour moi environ 720 kilomètres et 40180 mètres de dénivelé +. (...) Par amour pour la marche, par nécessité de la liberté et de la créativité que cela procure chez moi, par conviction de protéger un environnement qui m’épanouit tant, j’aurais marché longtemps. J’aurais sué, été assoiffé, eu mal aux pieds, mais j’aurais surtout réalisé l’un de mes plus grands rêves éveillés. Mille mercis à toutes et tous de m’avoir encouragé et suivi. Démocratiser la sobriété c’est le combat de ma vie.”
9 août 2022, Benjamin de Molliens, alias Ben_expedition_zero, plus vivant que jamais vient de poster la photo finish de son exploit sur Instagram : un itinéraire pyrénéen de forcenés qu’il a dévalé en 23 jours quand il en faut au moins 42 pour le randonneur moyen mais aussi une expédition zéro déchet, zéro matériel neuf, zéro carbone. “C’est ma huitième expédition en deux ans, raconte l’amoureux des montagnes qui a pourtant passé la majeure partie de son enfance près de l’océan. L’aventure c’est ce que j’ai trouvé de plus adapté pour vivre ma passion et sensibiliser le public à l’écologie, la sobriété, le voyage autrement.”
Cet été, chaque jour de son périple, les 32 000 abonnés de Ben sur Instagram ont pu suivre les pérégrinations de l’aventurier grâce à des stories authentiques, poétiques et souvent comiques. Beaucoup l’ont félicité, encouragé, interrogé comme s’il était subitement devenu un proche cousin. “Bon courage ! Je vais suivre cela de mon hamac, à l’ombre avec des chips,” commentait le 17 juillet le Bon Pote Thomas Wagner à l’annonce du top départ à Hendaye. Dans ses stories quotidiennes, Ben partage un peu de tout, ambiance nature et sans filtre : des bains glacés dans des abreuvoirs, des traversées hasardeuses de troupeaux, des remplissages de gourde dans des sources pas toujours faciles à trouver, des couscous à l’eau froide, des ascensions de nouveaux sommets, des petits plaisirs et des grosses galères. Régulièrement, il en profite pour glisser quelques images subliminales de mégots, de sacs plastique, de canettes et renvoyer ses followers sur le défi qu’il a lancé pendant le confinement #nettoietonkm et qui lui a valu les honneurs de la presse, de Géo à TF1. “J’essaie de distiller quelques infos écolos ici et là, parfois je mets un article un peu vénère mais je m’attache surtout à parler d’émerveillement, de nature. L’idée c’est de donner envie aux gens qui me suivent de la chérir et de la préserver. Je veux montrer son côté enchanté sans être trop vindicatif.”
Gènes de l'expédition
Si Ben a le goût de l’aventure, c’est parce qu’il en a hérité à la naissance. Avec une famille aristo-catho, 4 sœurs, des parents chefs scouts, un père alpiniste, le terreau était fertile, les graines déjà semées. “Mes parents organisaient des vacances-aventures à l’arrache. Quand j’avais 9 ans mon père a récupéré des chambres à air de tracteur et des lattes de lit et nous a construit un radeau. On a descendu toutes les gorges du Tarn en famille. Plus tard, il a retapé un vieux camion, je dormais dans un hamac qui était suspendu au-dessus du lit de ma sœur, lui-même suspendu au-dessus de celui de mes parents. C'était un vrai bazar là-dedans. Grèce, Irlande, Laponie, désert marocain... on partait chaque année voyager pendant un mois. La grosse baroud, ça m'a fait kiffer.”
Lorsqu’il a l’âge de quitter le van familial, Benjamin poursuit sur cette lancée. Il traverse l’Asie en autostop d’Istanbul à Kachgar, découvre l’Afghanistan pendant la guerre, met ses pas dans les pages de l’Africa Trek de Sonia et Alexandre Poussin qui, en 2004, ont parcouru 14 000 kilomètres du Cap à Jérusalem en passant par le Kilimandjaro. “Quand j’étais étudiant, partir était la seule chose qui m’intéressait. Au cours de mes études d’ingénieur, il y avait plein d’opportunités, je les ai toutes saisies.” Une d’entre elles le conduit, une fois diplômé, à San Francisco dans une entreprise française qui développe des plateformes de collaboration. “C’est là que j’ai eu mes premiers déclics, j’ai vu le film Demain, j’ai fait le lien entre des chiffres sur la pollution plastique et mon mode de vie. À un moment donné, j’étais en pleine dissonance cognitive. J’étais devenu un consommateur de nature.”
À ses 20 ans, Ben dîne avec Mike Horn qui lui propose de devenir mousse sur son bateau. “À l’époque, j’ai pas osé quitté ma prépa mais je lui ai dit qu’un jour, moi aussi je deviendrai aventurier."
À son retour en France en 2017, le trentenaire se reconnecte à ce qui le fait vibrer. Il co-fonde Plastic Odyssey, un projet d’un tour du monde en bateau pour sensibiliser à la question du plastique puis finit par se retirer deux ans et demi plus tard pour des questions de relations humaines. “C’est aussi à ce moment que je m’ouvrais à d’autres problématiques environnementales, comme le changement climatique.” Benjamin se remet à voyager, en couple cette fois et, en 2020, se retrouve comme tout le monde confiné. Sans préméditation, il invente ce qui va faire sa patte aujourd’hui : l’aventure aux trois zéros (déchet, matériel neuf, carbone donc). Voire 4 puisqu’il aime rappeler qu’il n’est pas un super Zéro mais juste quelqu’un qui essaie d’utiliser les émotions que procurent le sport et l’aventure en pleine nature pour démocratiser des principes de sobriété : seconde main, vrac, voyage au bout de son jardin, minimalisme, énergie verte, régime végétarien… Et que parfois, comme pendant sa grande traversée pyrénéenne, ça rate. “Quand tu fais la HRP, tu restes sur les chemins en haute altitude, tu descends peu, il n’y a pas beaucoup d’options pour le ravitaillement. Les épiceries sont toutes petites, le zéro déchet est presque mission impossible. J’ai dû oublier le vrac.”
Aujourd'hui, Ben vit d’aventures, de conférences et d’eau fraîche.
Marcher pour des idées
À ce jour, Benjamin en est à sa 8e éco-expédition. On lui connaît un périple de 600 bornes à vélo pour rejoindre sa copine en Normandie post-confinement, le chemin de Stevenson en courant, la descente du canal du midi en paddle, la COP 26 de Glasgow au départ de Lille en voilier et à vélo, la grande traversée des Alpes françaises, celle des Pyrénées, le chemin de Stevenson en trail-running… “À terme, j’aimerais réussir à organiser trois aventures par an, une l’hiver, l’autre l’été et une troisième plus symbolique comme la COP. Pourquoi pas remonter au Parlement de Bruxelles à vélo pour remettre des rapports du GIEC ou donner un discours ? Enfin il faut que je réfléchisse encore au concept.”
Avancer en marchant est la devise de Benjamin qui ne se prend pas au sérieux. “La marche et la solitude sont pour moi les deux éléments qui débloquent ma créativité. Quand j’étais sur la HRP, ça fusait dans ma tête. Mon cerveau produisait mille idées, des bouts de poèmes, des rimes, des blagues souvent débiles. Peut-être que je n’en convertirai aucune… En tout cas, j’ai pris désormais l'habitude de les noter.” Parmi celles que l’aventurier militant aimerait bien voir émerger au détour d’un sommet : la formule magique qui permettrait de convertir le monde entier à la sobriété. “Pour le moment je n’ai pas encore craqué le truc, j’arrive à attirer dans mes filets des sportifs parce que ce que je fais est pas mal niveau performances mais je n’arrive pas à toucher le gars qui a deux SUV. Et puis j’ai plein de potes qui aiment suivre mes aventures mais qui continuent de s’envoyer à gogo de la viande, des gadgets connectés et du voyage en avion pour une semaine à Tulum, Bali ou Ibiza. C’est quoi l’astuce pour changer en masse les comportements dans notre société ?”
Aurélien Barrau une de ses sources d’inspiration préférées (avec les récits de Sylvain Tesson et les photos de Vincent Munier) cherche aussi la réponse. L’astrophysicien écrit : “travailler la beauté est plus urgent et plus radical qu’équilibrer son bilan carbone.” En nous partageant ses photos de bivouac au-dessus des nuages avec son téléphone branché sur une batterie solaire, Ben serait-il en passe de concilier les deux ?
Dans ses expéditions, Benjamin joue sans cesse avec les limites. C'est ce qui le fait vibrer et qui, souvent, transforme une galère en moment de félicité.