C’est une petite musique qui devient symphonie. Entre défiance et indifférence, l’écart se creuse entre les gouvernant.e.s et les administré.e.s. Les gilets jaunes comme les opposants à la réforme des retraites partagent le même sentiment, celui de ne pas être écouté.e.s, d’être laissés pour compte. En réaction à ce fossé grandissant émergent les conventions citoyennes. La deuxième, sur la fin de vie, a rendu ses propositions début avril. Retour sur un espace d’intelligence collective rare.
Une fois n’est pas coutume, Christophe répond ce jour-là au numéro inconnu qui l’appelle sur son portable. Point d’opérateurs téléphoniques ou de conseiller formation au bout du fil, son interlocuteur lui annonce qu’il a été tiré au sort pour participer à la Convention Citoyenne sur la fin de vie, aux côtés de 184 citoyen.ne.s de tout âge, origine, localité ou catégorie socio-professionnelle. Le tirage ne doit pas tout au hasard : la convention se veut « représentative de la diversité de la société française ». Il embarque pour l’aventure, pas si anodine que ça. En temps d’abord. Neuf week-ends répartis sur trois mois, en présentiel à Paris, au Conseil économique et social et environnemental (CESE). En organisation également. Cette convention mobilisera une soixantaine d’experts, autant d’animateur.rice.s, un comité de gouvernance, le tout pour une méthodologie en mouvement qui s’adapte et s’affine au gré des week-ends et des retours de conventionnaires.
© Katrin Beaumann / CESE
Aux origines des conventions citoyennes
La convention citoyenne sur la fin de vie, et avant elle celle pour le climat, tirent leur inspiration Outre-Manche. En 2012, après une crise économique puis politique, l’Irlande décide d’expérimenter la démocratie délibérative. Une Convention Constitutionnelle composée de citoyen.ne.s tiré.e.s au sort et d’élu.e.s arrive, au terme d’un processus inédit, à légaliser le mariage homosexuel par référendum. Dans un pays au catholicisme solidement enraciné, cette avancée relève de l’exploit. Elle ouvrira la voie à d’autres assemblées citoyennes sur des sujets indépêtrables pour le gouvernement tel que l’avortement.
Si elle n’était pas une nouveauté totale, l’expérience irlandaise est la première à avoir abouti à un véritable changement législatif.
Une place pour chacun.e
Après la controversée convention citoyenne pour le climat, le gouvernement a donc remis ça en changeant toutefois les règles du jeu. Là où la première convention devait aboutir à une proposition de loi, la deuxième a eu pour objectif de formuler un avis. Si la démarche peut sembler moins radicale et ambitieuse de prime abord, elle a néanmoins ses qualités. Tout juste sorti de la convention citoyenne sur la fin de vie, Christophe témoigne : « l’objectif n’était pas d’arriver au consensus. Sur l’aide active à mourir, on a compris très tôt qu’il n’y avait pas d’unanimité. Le succès, c’est de ne pas avoir voulu gommer le nuancier d’opinions ».
Et d’ajouter, « le fait de dire que notre travail n’est qu’un avis n’est pas dévalorisant. C’est un avis important. C’est d’ailleurs probablement plus facile de s’entendre sur un avis que de s’entendre sur une proposition. L’avis décrit vraiment l’état de la convention. Cela me semble plus riche et pas du tout désengageant. Chacun sent que sa parole est prise en compte et intégrée dans le rapport final ».
Résultat, alors qu’il avait fallu remplacer les démissionnaires tout au long de la Convention citoyenne pour le climat, celle sur la fin de vie n’a enregistré qu’une seule défection pour raison professionnelle.
« Il y a eu une envie très forte d’aller tous ensemble jusqu’au bout », conclut Christophe.
© Katrin Beaumann / CESE
De néophyte à sachant
On pourrait penser que la fin de vie est une question purement intime. Elle l’est, c’est une évidence, chacun s’étant forgé son idée sur le sujet au regard de son expérience très personnelle. Pour autant, elle est aussi éminemment collective et complexe. Alors comment se sentir légitime, en tant que citoyen, pour embrasser cette complexité ?
Si le comité de gouvernance de la Convention a d’emblée assuré aux participant.e.s qu’iels avaient toute légitimité à s’exprimer, la confiance s’est acquise en marchant. « On s’est aperçu avec le temps que toutes les auditions que l’on faisait nous rendaient sachants sur le sujet. Cela a beaucoup rassuré en général. On ne devient pas experts en neuf week-ends, mais on sait beaucoup plus de choses ». Il n’y a qu’à faire un tour parmi les vidéos de la Convention et constater la qualité et l’expertise déployée pendant les débats pour s’en assurer.
Ode à l’intelligence collective
Alors que l’on doit aller vite, toujours plus vite, la démocratie délibérative telle qu’elle s’exprime dans la convention citoyenne bouscule les codes de la sainte efficacité. Tout, absolument tout, a été débattu et soumis au vote. « Il y avait même des votes sur les votes », s’amuse Christophe. De la méthode aux modes de scrutin en passant par les porte-paroles et bien sûr les propositions, chaque décision a fait l’objet d’une discussion. « La clé du succès, c’est que tout a été énormément débattu et voté. Il y a eu un temps de questions diverses et variées, la convention a été très questionnée au début. Ce temps assez long de questions que l’on pouvait juger plus ou moins pertinentes, c’est probablement la condition pour que tout le monde soit embarqué dans le système ».
Chaque mot du rapport final est donc le résultat de multiples relectures, amendements, débats, vote, re-vote. Pour autant, à rebours de ce qu’on pourrait imaginer, le collectif de citoyen.ne.s encore néophytes sur le sujet quelques mois plus tôt, a abouti en moins de 27 jours à un ensemble de recommandations dont la pertinence n’a rien à envier aux rapports experts.
Des résultats qui forcent l’admiration et rappellent que, les citoyen.ne.s, d’où qu’ils viennent, sont capables de s’écouter, débattre sereinement et faire avancer le schmilblick quand on leur en donne les moyens.
Le mot de la fin revient à Christophe : « Dans un pays extrêmement élitiste comme la France, ce genre d’expérience permet de se rappeler que ce n’est pas le niveau d’étude qui fait la pertinence. On a vécu à plein l’intelligence collective ».