Elle est libre… Auriane ! Depuis dix ans, elle parcourt la France à la rencontre de celles et ceux qui défendent la biodiversité cultivée et s’est elle-même lancée dans les semences paysannes. Si ses graines pouvaient voter, voilà ce qu’elles feraient pousser dans les urnes et dans la vie.
Photo de Coline Ciais-Soulhat durant la fête des semences 2025
Je croise Auriane depuis presque dix ans maintenant. À l’époque, on préparait ensemble son voyage pour découvrir l’univers des semences, le Seed Tour, un périple documentaire pour rencontrer des acteurs engagés dans la préservation de la biodiversité cultivée.
Nos échanges ont souvent eu lieu dans des endroits chargés de sens, comme le conservatoire Mille variétés anciennes en Sologne. Je l'ai suivie dans ses premières années après son BPREA, convaincue qu'elle ferait partie de cette relève tant attendue. Et c’est ce qui s’est passé.
Au retour de son road trip initiatique, Auriane se lance dans la production de semences, poussée par les enjeux de préservation de la biodiversité cultivée, son amour des traditions culinaires et des savoir-faire ancestraux, mais aussi son combat contre les géants comme Monsanto, qui ont tout intérêt à "trafiquer" le vivant en créant des hybrides et en imposant des brevets sur des cultures.
Auriane, semeuse d’avenir
Sa décision est d'autant plus courageuse que la crise des vocations en agriculture est bien réelle. Plus de la moitié des agriculteurs et agricultrices risquent de partir à la retraite dans les prochaines années, et peu de gens sont prêts à reprendre le flambeau. Et pour cause, les revenus sont bien trop faibles : en France, près d’un agriculteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.
Auriane, malgré tout, continue à y croire, à avancer contre vents et marées. 7 ans après la naissance de son projet, son parcours vers l'installation agricole est corsé : formations, expériences salariées, recherche de foncier, première installation sur une ferme dans l'espoir de s'associer, départ, la quête de possibles se prolonge… Trouver un terrain accessible, avec de l'eau, dans un environnement favorable à l'installation des jeunes agriculteurs et agricultrices, c'est tout sauf simple. C’est là qu’entre en jeu sa résilience, soutenue par des réseaux de solidarité, notamment la Maison des Semences Paysannes Maralpines (MSPM), où elle défend une vision alternative de l'agriculture. Ce collectif est un véritable carrefour de recherche, de développement, de partage de savoirs et de sensibilisation auprès du grand public. Elle y contribue avec un réseau de paysans, de cuisiniers, de citoyens et citoyennes et d'amateurs. Un exemple de cette solidarité se retrouve également lors de la célèbre fête de l'Oignon Rose à Menton qu'Auriane soutient activement.
Pour une agriculture juste, vivante et locale : quelques idées à souffler à l’oreille de nos élu·es.
Lors de nos discussions, j’ai demandé à Auriane ce qu’elle aimerait voir changer dans les années à venir, en particulier en période électorale. Telle une soupe aux 7 légumes, nos voix et visions se sont mêlées pour proposer dix axes qui pourraient transformer la politique agricole à travers les élections municipales, législatives ou présidentielles à venir.
1. Rendre obligatoire la culture des terrains en zone agricole
Les terrains agricoles doivent être cultivés, par leur propriétaire ou via un bail rural. Trop de terres restent incultes ou détournées de leur usage, faute de contrôle effectif.
2. Inciter les propriétaires à signer des baux ruraux sécurisés
Les politiques doivent favoriser les baux ruraux, plus sûrs que les prêts à usage précaires. Sécuriser le foncier, c’est garantir la stabilité et la pérennité des exploitations.
3. Autoriser l’habitat léger sur les exploitations agricoles
Pour pallier le manque de logements en zone rurale, l’habitat léger doit être reconnu et autorisé. C’est une solution simple pour permettre aux agriculteurs de vivre près de leurs terres.
4. Mettre en place de vraies politiques d’installation agricole
L’installation agricole doit devenir une priorité nationale, avec des mesures concrètes pour rendre le métier de paysan attrayant et accessible.
5. Soutenir la productivité plutôt que la surface
Les aides doivent récompenser la production durable et l’emploi local plutôt que la taille des exploitations. Cela encouragerait les pratiques vertueuses et l’équité entre agriculteurs.
6. Garantir le zonage agricole des terres
Protégeons les terres agricoles du bétonnage. Le zonage doit être clair et respecté pour empêcher leur conversion en terrains constructibles et préserver le foncier nourricier.
7. Soutenir les associations de l’agriculture paysanne et biologique
Ces associations accompagnent les installations, défendent les semences paysannes et créent du lien entre citoyens et agriculteurs. Elles doivent être reconnues et financées durablement.
8. Soutenir les foncières agricoles locales
Des structures comme Terre de Liens facilitent l’accès à la terre. Les politiques doivent renforcer ces outils qui protègent durablement le foncier agricole.
9. S'élever contre la privatisation de l'eau
Défendre un accès à l'eau équitable, y compris pour les petites fermes, maintenir un tarif agricole raisonnable et lors des sécheresses privilégier l'usage agricole sur l'usage touristique, voilà des priorités à remettre dans le bon ordre.
10. Favoriser la commercialisation locale des produits agricoles
Les politiques doivent encourager la vente directe, les marchés paysans et les magasins de producteurs. Valoriser le local, c’est soutenir l’économie et la souveraineté alimentaire.
Faire pousser la démocratie alimentaire, des idées citoyennes pour agir dès maintenant
Auriane n’attend pas que les élections changent tout, elle nous invite aussi à agir en tant que citoyens et citoyennes. Là encore, nos conversations pour refaire le monde ont abouti à dix actions concrètes à mener, indépendamment du résultat des élections :
1. Acheter sur les marchés paysans et valoriser l’alimentation
Privilégions les marchés paysans pour garantir un revenu juste aux producteurs et soutenir une alimentation locale et responsable. Augmenter la part du budget alimentaire (lorsque c’est possible), c’est investir dans nos territoires et notre santé.
2. Convaincre les propriétaires de louer leurs terres inutilisées
De nombreuses terres dorment faute de mise à disposition. Encourageons les propriétaires à les louer à de jeunes agriculteurs : ces terrains nourriront nos villages et préserveront les paysages.
3. Soutenir celles et ceux qui s’installent en agriculture
L’installation agricole est un parcours difficile. Aidons nos proches à s’ancrer : un coup de main, une compétence partagée ou un chantier participatif peuvent faire toute la différence.
4. Réfléchir à l’impact des résidences secondaires
Les maisons secondaires peuvent fragiliser la vie locale et l’accès au logement. Repensons leur place pour redonner vie aux villages et permettre aux jeunes de s’y installer durablement.
5. Permettre aux agriculteurs de se loger à prix modéré
Le logement est un frein majeur à l’installation. Offrir des loyers abordables en milieu rural est une façon concrète de soutenir ceux qui nourrissent nos territoires.
6. Cultiver un potager, même petit
Planter, c’est comprendre. Cultiver quelques légumes nous rapproche du travail de la terre et nous rend plus conscients de la valeur du vivant et de la production locale.
7. Investir son épargne dans l’installation agricole
Plaçons une part de notre épargne dans des foncières comme Terre de Liens pour aider les jeunes agriculteurs à s’installer sans s’endetter. C’est un acte concret pour une agriculture durable.
8. Défendre l’accès à l’eau des petites fermes
L’eau ne doit pas être accaparée. Soutenons un partage équitable et des tarifs adaptés pour permettre aux petites exploitations de survivre face aux sécheresses et à la concurrence.
9. Agir dans les conseils municipaux
Les communes ont un rôle clé pour l’agriculture locale. Engageons-nous pour soutenir l’installation de paysans, la préservation des terres et les circuits courts, soit en votant, soit en nous présentant (mais oui pourquoi pas ?).
10. Devenir paysan ou paysanne
Changer de voie pour cultiver la terre, c’est s’engager pleinement dans la transition écologique. Si nous voulons qu’il y ait un million de paysans, il est essentiel que la société civile prenne les choses en main, quitte à changer de voie professionnelle pour participer à ce renversement.
Alors, êtes-vous prêts et prêtes à prendre votre part dans cette transition ?
Les élections peuvent être un levier pour faire changer les choses, mais l’impact des petites actions citoyennes est tout aussi puissant. S’unir pour une agriculture vivrière, durable et accessible à tous, voilà l’enjeu. Partagez cet article et soutenez les actions dès maintenant.
Ceci est un bulletin de pote
J'en ai marre qu'on me mette dans une urne comme si on m'enterrait une fois tous les cinq ou six ans. On m’amène dans un isoloir alors que moi je pensais justement que ces moments, c’était plutôt l’occasion de se rassembler, de parler collectivement de projets qui nous font rêver. Des projets incarnés et pas juste de machines politiques à faire des promesses qui seront très rarement tenues.
Donc plutôt que de vous parler de programmes de politiciens plus ou moins professionnels, j'ai décidé de vous parler de gens qui, par leur engagement quotidien, leur passion, font vivre les territoires, la solidarité, la liberté, l'égalité et toutes ces grandes valeurs qu'on a écrites sur le fronton de nos mairies… et qui sont souvent sauvées par d'illustres anonymes et leurs actes de l’ombre. On a commencé avec ce premier portrait d’Auriane, d’autres vont suivre.
