Le dîner, le fameux, le merveilleux dîner de Noël. Face à ceux et celles que nous adorons ou détestons, et c’est souvent synonyme, nous vous proposons un arsenal de phrases bien placées, bien senties, bien fatales, bien Noël, qui transfigureront ce moment que vous attendez tant ou que vous redoutez.
“J’avais passé de nombreuses années à chercher l’excellence, car c’est ce qu’est la musique classique…Désormais elle est dédiée à la liberté et c’était bien plus important.” Nina Simone
Les repas de famille sont autant de chocs de générations et souvent de discussions animées si ce n’est royalement tendues sur les “carrières”, les “parcours” des uns ou des autres. La probabilité est forte pour que dans votre famille un oncle s’insurge contre sa nièce “brillante dans les matières scientifiques” qui décide incompréhensiblement de se lancer dans un parcours d’artiste fauchée d’avance. La musique classique face à la fausse note. Si cela arrive, on vous propose de citer sans trembler une grande dame, Nina Simone, et de mettre en miroir de l’excellence, de la réussite, du prestige un mot tout simple… liberté.
Et puis, vous pouvez chercher les traces d’une liberté nouvelle chez les uns les autres ce qui, en prime, envoie l’injonction de « réussir sa vie » loin, très loin, au fond du jardin à droite, près du compost. Ainsi vous vous régalerez à écouter votre cousin qui, la dernière fois que vous l’avez vu à Noël, s’apprêtait à démarrer un projet passionnant du nom de “chômage choisi”. Quel fossé entre le avant et le après ? Comment la partition de sa vie s’est-elle écrite depuis 2 ans ? Pouvez-vous lire un semblant de liberté sur son visage ? Et si le concept de liberté est trop vague, demandez à Franz de faire une métaphore.
Lire aussi → Tour de France des marchés de Noël écolo
“Tant que tu ne cesseras de monter, les marches ne cesseront pas ; sous tes pieds qui montent, elles se multiplieront à l'infini !” Franz Kafka
La carrière, l’orientation, la vie pro, encore et encore. Plutôt que la confrontation, tentez un concept ! Le Grand Débat de Noël autour d’un chocolat chaud et des mots de Kafka comme point de départ. Point méthodologique : commencez en donnant la parole aux plus jeunes d’abord, ceux et celles qui sont dans le vif du sujet, qui se posent des grandes questions sur le choix d’études, sur ParcoursSup, sur les DUT, BTS et plein d’autres lettres sympas. N’oubliez pas d’intégrer aussi la nièce artiste.
Sans simplifier le débat, sans faire apparaître de simplistes pour ou contre, posez cette question : monter, oui, mais pour aller où ? Et puis intégrez ceux et celles qui sont déjà loin sur ces marches de la vie, et demandez-leur à quel niveau des escaliers ils pensent être, s’ils et elles ont l’impression de continuer le mouvement ou si au contraire une pause s’impose…
“La vie, c'est ce qui t'arrive alors que tu es occupé à faire d'autres plans.” John Lennon
On est d’accord, cela sonne moins bien en français donc on vous la remet en version originale : “Life is what happens when you are busy making other plans”. Voilà une citation dont la vocation est d’être ruminée tout au long de la veillée de Noël, comme une vache paisiblement dans son pré.
En effet, beaucoup de fêtes de fin d’année sont codifiées, ritualisées, passent et se ressemblent. Comme toujours, c’est Guy qui ouvrira la porte. Comme toujours, la table sera mise dans le salon parce que la salle à manger est trop petite, avec le même sapin, trop grand et trop plastifié devant la fenêtre. Comme toujours, l’hôte sera stressé par la cuisson du gâteau aux noix. Comme toujours, vos parents apporteront un bouquet douteux du jardin. Tout est pré-écrit. L’ennui nous tend les bras avec son grand sourire. Et c’est là que John intervient. Et qu’en ruminant ses mots, on se place dans une posture toute fraîche, une quête d’imprévu, de vie qui surgit alors qu’on est occupé à autre chose. Guy ouvrira la porte mais cette fois c’est VOUS qui aurez apporté un bouquet du jardin. La table sera dressée au même endroit mais cette fois VOUS proposerez de manger autour de la cheminée dans un pique-nique improvisé. Comme toujours, vous mangerez un gâteau aux noix, mais cette fois il aura une saveur folle parce que nous l’aurez pas balayé d’un revers de narine… Les autres plans vont faire de la place à la vie qui n’en fait jamais, elle, de plans.
“Dans les moments de grande tension, l'esprit se fixe sur un détail sans importance dont on se souvient parfaitement bien longtemps après, comme si l'anxiété nous l'avait à jamais gravé dans le cerveau.” Agatha Christie
Oui, Agatha, soyons lucides, de l’agacement et de la tension, il y en aura. Un Noël sans dispute n’est pas digne d’être Noël. Oui, nos parents vont nous fatiguer parce qu’ils diront plusieurs fois « c’est bien si on se met à table pas trop tard ». Oui, votre frère fait toujours les mêmes bruits de bouche quand il mange. Oui, ce fond musical de jazz-discount vous tend. Oui, ils seront en retard et cela va agacer vos parents qui vont vous tendre aussi parce qu’ils continueront de dire « ce serait bien si on se mettait à table pas trop tard ».
Mais, allez. Fuyons cette année le détail qui tue. La cristallisation fatidique. Ne gravons pas une fois de plus, l’angoisse dans notre cerveau déjà bien alourdi par tout ce qu’on a de raisons de s’énerver, de se crisper au quotidien. Et observons ces détails comme autant d’éléments qui pourraient nourrir une bande-dessinée de Fabcaro ou un roman de Sophie-Marie Larrouy.
“Tout le monde s’excite parce que tout le monde s’excite.” Orelsan
La phrase d’Orelsan est passe-partout. À l’Assemblée Nationale, « Tout le monde s’excite parce que tout le monde s’excite », dans le monde militant, « Tout le monde s’excite parce que tout le monde s’excite », dans un repas de famille, « Tout le monde s’excite parce que tout le monde s’excite ». Alors, non, ce n’est pas que négatif. Ces rencontres humaines sont le théâtre de rencontres, d’altérité, d’excitation de nos créativités… Mais il y a un moment où la tempête de neige s’arrête, où la campagne se fige, et où le blanc de la nuit s’impose.
Faites l’exercice, trouvez un instant, quelques secondes, aux toilettes, en fumant, en rangeant les assiettes, en couchant votre fils, un instant où tout le monde s’excite, sauf vous. Ou vous repensez à cette année 2024 dans toutes ses dimensions. Du monde : les séismes politiques, géopolitiques, les JO, Trump, les motions, tout ça. Et de votre monde : vos journées, votre corps, vos amours, vos tristesses, vos peurs, vos espoirs. Un instant, un seul, où l’excitation s’apaise et se retire sous un blanc manteau réconfortant.
“Noël au balcon, enrhumé comme un con”
On vous avoue qu’on aurait adoré connaître l’auteur ou l’autrice de cette merveille. Qui veut tout dire. Qui en quelques mots sait résumer le monde et sa vérité, aussi glaciale soit-elle.
Option 1 : “Le temps ne fait rien à l'affaire ; quand on est con, on est con.” Option 2 : “Pour reconnaître que l'on n'est pas intelligent, il faudrait l'être.” Georges Brassens
Celle-ci n’est pas à dire tout haut mais à penser. À penser tellement fort que, qui sait, elle se fera une place dans le cerveau de votre cible. Oui, votre cible. Reconnaissons que malgré tout l’amour qu’on nous pousse à ressentir à Noël, il y a des moments où c’est la guerre, où l’explosion et la crise, théâtrale, tonitruante, déclamée, nous démangent.
À un moment, il y aura l’étincelle. Ce sera une phrase, un geste, un comportement. Et la déflagration après l’étincelle… Sauf, sauf si cette année vous souhaitez opter pour l’option sage. Pour emprunter cette voie courageuse, que dis-je héroïque, demandez de l’aide à Brassens. Fredonnez ses mélodies avec vacarme au-dedans de vous-même, fredonnez jusqu’à ce que les notes atteignent discrètement le coupable. Le coupable ? Lui là-bas, celui qui vous attend au tournant avec ce sourire que vous connaissez parfaitement et qui signifie « et si je dis ça, tu craques ou pas encore ? ». À ce moment précis, souriez et chantez : « quand on est con, on est con ». Et ne faites pas honneur à ce con en l’autorisant à vous le faire devenir aussi.
“Notre destin se crée de l’intérieur.” Etty Hillesum
LA phrase à placer pour impressionner ou perturber ou les deux ensemble. Et elle parle de spiritualité, de foi. Si les religions ont enseveli ces questions depuis des siècles, ne soyons pas fatalistes et voyons Noël comme une occasion de les faire renaître ces questions de leurs cendres. Entre le dessert et le fromage, au moment où les langues commencent à se délier, tentez la question : en quoi vous croyez, vous ? “L’invisible”, ça veut dire quelque chose ? “Le destin”, ça existe ? “Et l’intérieur de vous”, ça ressemble à quoi ? Un conseil, faites ça deux à deux. Le groupe dégomme ce type de sujet à grands coups de balai. Votre voisine de droite, votre frérot en faisant la vaisselle, votre vieux devant la cheminée, trouvez le moment opportun et attendez. Et attendez. Et attendons.
“L'adulte ne croit pas au père Noël. Il vote.” Pierre Desproges
Si vous passez du spirituel à ça, la marche risque d’être un peu haute et vous perdrez des gens en route. Mais soyez sûr que cela réchauffera l’ambiance. Vous reprendrez bien un petit morceau de motion au jus de censure ?
“Il y a des silences qui en disent long comme il y a des paroles qui ne signifient rien.” Edith Piaf
Aaaah le silence. Plus il y a de monde autour de lui, plus il est intimidant. L’exercice n’est pas simple, mais suivre la voix d’Edith, ce serait se permettre une traversée maladroite mais vivifiante des derniers jours de 2024. Ils sont nombreux et étonnants ces silences. Silences “qui en disent long” s’ils sont un tant soit peu assumés. Qui disent à ses proches qu’on les aime et qu’on ne saura pas le dire autrement qu’en taisant les mots. Qui disent à cet enfant qu’il est si beau quand il vous fixe de ses deux yeux en disant cinq fois à la suite : “pourquoi ?”. Qui disent à cette famille ballotée par la vie “On est quand même bien ensemble, non ?”. Qui disent au moment présent “Vas-y, viens t’asseoir et profite”.