5 moments de vie où l'argent nous a mis mal à l'aise

5 moments de vie où l'argent nous a mis mal à l'aise

Il y a des sujets qu’on aime bien éviter parce que ça nous met mal à l’aise. Souvent, le sexe, la politique et l’argent. Voici quelques pistes pour démêler le dernier.
22 November 2024
par Vianney Louvet
7 minutes de lecture

C’est inévitable. Vous avez forcément traversé dans votre existence, aussi maigre soit-elle, des crevasses d’inconfort liées à l’argent. Parce que l’argent, tout le monde y pense tout bas et personne n’en parle tout haut. Vivons ensemble, le temps d’un article, une sorte de thérapie de groupe et extirpons de nos entrailles blessées ces moments gorgés d’un mal-être démesuré. Une tragédie en 5 actes.

Les 15,50 fatidiques

Au départ, c’était un très bon moment. Cela faisait bien 3 mois que vous n’aviez pas revu cette canaille de Laurent, 3 mois que votre vieux copain du collège faisait un tour de la Normandie à vélo. Et à son retour, vous avez pris 2 longues heures pour déjeuner ensemble et vous raconter ces 3 mois, en long, en large et en très vert. Ce jour-là, vous et Laurent aviez opté pour un « entrée – plat – dessert » copieux composé d’une soupe brocoli en entrée, suivie d’une tarte épinard chèvre puis d’un délicieux flan à la pistache. Le tout pour 15,50€. Et c’est là qu’ont commencé les complications. Parce que oui, malgré ses 3 mois à vélo « solitaires et transformateurs » selon ses mots, Laurent n’avait pas changé. Au moins pas sur sa capacité à « oublier ses sous » à chaque fois que vous mangez ensemble. Gentiment – de toute façon vous n’aviez pas le choix – vous avez avancé à Laurent ses 15,50€, lui promettant sans sourciller qu’il vous rembourserait « très vite ». Mais « très vite », cela manque de précision. Et pour Laurent, cela ne signifiait visiblement pas 2 jours plus tard lorsque vous êtes allés jouer au tennis ensemble. Ni 4 jours plus tard lors de l’avant-première d’un court-métrage, ni même 2 semaines après quand vous êtes retournés manger ensemble.

Et là, vous êtes bloqué. Parce que deux semaines, c’est le seuil à partir duquel il est quasiment impossible de re-convoquer, au détour d’une conversation, ce sujet des 15,50€ que vous doit Laurent « Elle est née un 15 avril ? Tiens, c’est marrant, 15, ça me fait penser à… », vous voyez bien que ça ne marche pas. Envoyer un message type « N’oublie pas les 15,50€ :) » c’est encore pire, même avec le « :) » qui ne fera en rien oublier votre radinerie. C’est trop tard. Laurent a gagné.

Une ambiance qui ne dépassera pas le smic

Rien de mieux qu’un verre à 5 pour fêter le CDI de votre belle-sœur ! « On l’a attendu celui-là » crie-t-elle d’un ton rageur, en levant son verre de cidre doux bio. Et la voilà lancée la belle-sœur, des anecdotes d’entretiens d’embauche ratés, 142 CV envoyés depuis 3 ans et pas une réponse, des répondeurs, des « on vous rappellera »… mais tout cela, c’est derrière maintenant derrière elle ! La soirée avance, les minutes sont savourées, le soulagement dégouline sur les tables voisines, les éclats de rire fusent. 

C’est merveilleux l’amitié, c’est merveilleux le… ah, et voilà donc Annabelle qui rejoint la danse ! « Toujours en retard celle-là ! » lance votre belle-sœur ! Et rebelote, le cidre, les récits, les rires. Et puis la question d’Annabelle : « Qu’est-ce qui te plait alors dans ce nouveau job ? ». Le regard de votre belle-sœur s’illumine « tant de choses, il y a les missions, en gros je vais…. Il y a l’équipe qui a l’air géniale et jeune, tu imagines que la moyenne… les locaux sont situés à 10 minutes de chez moi juste au niveau de la boulangerie qui…. Ah oui et puis c’est vraiment bien payé ». Stop.

Les secondes s’allongent subitement. Le bar tout entier se tait. « C’est vraiment bien payé ». Votre belle-sœur, sous la pression sournoise d’Annabelle, vient de craquer. A l’instant même où le sujet du salaire a été déposé au centre de la table, juste à côté de la bouteille de cidre, chaque individu autour de la table a été assailli des mêmes questions. « « Bien payé » ça veut dire quoi « bien payé ? » pour elle ? », « qui va oser lui demander un chiffre, un vrai, clair, net (et brut), et précis ? » « et puis si elle donne son salaire, va-t-elle me demander le mien ? », « suis-je le pauvre du groupe, ou au contraire, le capitaliste sur le point de sortir de l’ombre ? », « qui gagne combien ici ? », « aiment-ils l’argent ? », « y a-t-il un moyen de réutiliser des brosses à dent usagées ? ».

Et là, vous êtes bloqué. Personne ne va poser ces questions. Vous verrez uniquement quelques discrets rictus ou tensions au coin de certaines lèvres, vous entendrez ce silence se fracasser contre les gencives découvertes de votre belle-sœur dont le sourire figé cache lui aussi mal le malaise ambiant. Et puis les fourchettes, le cidre et Annabelle tenteront de retrouver des couleurs. Mais rien ne sera plus comme avant. C’est trop tard. La loi du silence salariale a gagné.

Un cadeau pour Babou

Babou fête ses 30 ans la semaine prochaine. Vous êtes le grand administrateur du groupe whatsapp « Anniv’ de Babou emoji fête ». Et vous n’êtes pas peu fier de ce qui est en train de se tramer. Un weekend surprise à Angers, ville préférée de Babou. « Qui propose un programme ? » avez-vous demandé : première erreur. « Je peux si vous voulez ? » a répondu Christophe et vous avez rebondi avec joie « pouce pouce go go ». Deuxième erreur. « On voit les choses en grand hein ? » a-t-il renchéri, « pouce pouce » encore les vôtres, de pouces. Dernière erreur. 24 heures plus tard, Christophe propose un weekend gorgé de sorties, d’idées… et de billets. 

« Restaurant gastronomique « Le Royal », comptez 120€ par personne, on va se faire plaisir je vous le dis ! », « visite guidée en 3 langues des tapisseries de l’Apocalypse, si on paye le forfait journée pour avoir accès à l’expo temporaire, c’est 45€ par personne, je pense que ça vaut le coup », « Babou a toujours rêvé d’un saut en parachute, on lui offre ça à 6h du mat le dimanche ? Et on y va en calèche pour le fun ? C’est pas plus de cent balles par tête si on s’y prend maintenant ! La calèche hein, pour le parachute, je préfère ne pas l’écrire ici », « quant au logement, je vous mets le lien d’un truc incroyable dégoté à 40 minutes du centre », « d’ailleurs faut qu’on loue une voiture », « en fait deux puisqu’on est 6, pas de pot », « une voiture un peu sympa histoire que Babou s’amuse ? », « quelqu’un est ok pour payer la caution du restaurant gastronomique qui, oui, fait payer une caution, au cas où on casse une assiette ou autre ? »

Et là, vous êtes bloqué. A priori, l’ensemble du groupe, sa totalité, trouve que Christophe est complètement fou, et que sa proposition est aussi excessive qu’une claque dans le dos à une personne que vous rencontreriez pour un premier rendez-vous galant. A priori. Mais comment en être sûr ? Et comment trouver le courage de dire « Christophe, va te faire voir. Jamais de la vie je ne me saignerai comme ça pour Babou. Je veux bien participer à la partie « jeux de société » du samedi soir, rien de plus. Bien à toi ». Mais là encore, c’est trop tard. Christophe est parti du principe que vous aviez tous le même rapport à l’argent et à la dépense. Mais mon pauvre vieux, ça c’est dans les films. Le groupe whatsapp va donc se taire, en deuil. Babou a gagné, sans même le savoir puisque c’est une surprise.

L’argent à l’école 

Rappelez-vous de votre année du CM2. Et de cet atelier sur le rapport à l’argent. Au temps pour moi, il n’y en avait pas. 

Pensez plutôt à ce travail de groupe en 4ème C sur … non pareil, il n’a jamais existé. 

Et en terminale ? Que dalle. 

L’argent, sa gestion, notre rapport à ce truc central de nos sociétés, tout cela n’est JAMAIS abordé à l’école. Un peu comme l’éducation aux émotions : c’est tellement essentiel et énorme qu’on préfère ne pas mettre les mains dans le cambouis. Et là, tout le monde est bloqué. 


Un tout petit épeautre, alors

C’est en sortant du cinéma, vous étiez allé voir « Moi, moche et méchant 7 », passionnante réflexion géopolitique et fresque sociétale d’un monde en perte de repère, que pris d’un élan de joie de vivre intense vous avez proposé à vos enfants et à ceux de Seb et Nath d’aller s’offrir une douceur à la boulangerie du coin. 

“Qui prend quoi ? 1 pain viking pour toi Seb ? Aha on ne se refuse rien ! Une petite brioche tressée ici, 4 cookies à la farine de châtaigne, « une tuerie » selon Nath, etc”. “83,40€ s’il-vous-plait” a dit le boulanger en souriant. 

Ne surtout pas paniquer. Il doit y avoir une erreur. 83€ pour un goûter ? 8 places de cinéma ? Mais vous êtes dans une impasse : si vous payez sans rien dire vous vous faites avoir, c’est sûr. Si vous demandez le détail et le ticket de caisse vous passez pour un énorme rat devant Seb, Nath et tous les bambins et l’élan de générosité est ruiné. Recouvert d’aigreur. C’est trop tard pour être bloqué. 

Si cet article vous a amusé mais que vous auriez aimé quelque chose d’un peu plus sérieux, nous vous invitons à parcourir le rapport de l’observatoire du Crédit Coopératif qui abordait la question des tabous vis-à-vis de l’argent juste ici.