Lettre ouverte à ceux qui pensent qu’il suffit de travailler pour être accepté

Lettre ouverte à ceux qui pensent qu’il suffit de travailler pour être accepté

Faris préfère ne pas donner son vrai nom. Il est un maghrebin, blanc, à l’abri des quolibets racistes. Enfin pas tout à fait. Pas vraiment. Pas du tout. Il est sujet à une autre forme de racisme, beaucoup trop ordinaire. Témoignage.
02 July 2024
par Faris
9 minutes de lecture

Je suis un maghrébin, blanc, du genre de celui qu’on va voir pour faire des confidences racistes parce qu’on a cru que je m’appelais Fabrice - J’imagine qu’après 4 verres ça ressemble en effet à Faris.

L'illusion de l'intégration par l'exemplarité

J’ai travaillé dur pour être là où je suis et je pense que je peux prétendre au titre de  champion Olympique de l’intégration.

Dans mon parcours personnel, j'ai souvent rencontré cette idée que l'intégration passe par une conduite irréprochable et une adaptation totale aux codes de la société dominante. Ma mère a toujours voulu qu’on parle français à la maison pour que nous soyons bien vus.

J’ai souvent été considéré comme l'exemple d'une bonne intégration malgré mon comportement agité au collège car bon élève après avoir trouvé ma voie en Bac Pro, une élocution sans accent de quartier et une implication exemplaire dans les projets communaux dès la primaire via le Conseil municipal des enfants.

Malgré cela, les remarques sur mes origines ou ma religion supposée n’ont jamais cessé. 

Des stigmates de l'origine aux micro-agressions quotidiennes

J’ai déjoué les pronostics et les déterminismes malgré les micro-agressions.

Ce sont ces remarques et comportements quotidiens qui, accumulés, pèsent lourd sur le moral et l'estime de soi. Par exemple, on m'a souvent dit que je ne ressemblais pas à un arabe, comme si cela était censé être un compliment.

J’ai, malheureusement, compris tard que lorsque l'on me dit « Mais tu n’as pas d’accent ? » ou « On ne dirait pas que tu es algérien », ce n'est pas un compliment. Cela signifie que les attentes placées sur moi étaient différentes en raison de mon apparence. Ma mère a fait un effort particulier pour que nous parlions bien le français et que nous nous comportions comme des enfants bien intégrés. Pourtant, même avec tous ces efforts, les préjugés restent.

J’ai plusieurs exemples, notamment durant l’adolescence, une période critique où l’on découvre ses émotions et sa personnalité, en interaction avec “le groupe” et la société.

Mon professeur de mathématiques en 4e, par exemple, qui à scandé en plein milieu de la classe « Tu vas être éboueur !». Ironiquement, j'ai travaillé deux ans dans la gestion des égouts, alors que j'étais en BTS, où j’apprenais à dimensionner des réseaux d’assainissement et des unités de traitement de l’eau.

Plus tard, j’ai travaillé dans un organisme de formation, spécialisé dans la non discrimination en entreprise, ce qu’on appelle communément “La politique Diversité et Inclusion” souvent rattaché aux thématiques RSE. C’était un grand hasard, car j’étais encore assez éloigné de ma compréhension de la condition sociale dans laquelle j’ai grandi.

J’y ai notamment appris que dans la vie professionnelle, les discriminations était également omniprésentes, bien au delà des données récoltées, les témoignages de mes interlocutrices, les responsables RH, recrutement, diversité, m’ont partagé des situations assez surprenantes concernant les modalités de recrutement de certains managers, des critères de refus pas toujours clairs voir des commentaires totalement discriminatoires sur les collègues ou les profils à ne pas recruter.

Ma sœur qui était consultante en recrutement m’a elle-même partagé l’exemple d’une recruteuse qui travaillait pour une filiale d’une entreprise du Moyen Orient basée à Paris qui « ne voulait pas d’arabe car il y en avait déjà trop dans l’entreprise ». J’étais qu'à moitié choqué vu mon expérience de vie et professionnelle.

Malgré un bon parcours académique et une expérience solide, je n’ai jamais pu décrocher d’entretien d'embauche sur la base de candidatures à des offres d’emploi.

La discrimination à l'embauche est une réalité que de nombreuses études ont mise en lumière : à compétences égales, le nom et l’origine peuvent obliger à envoyer quatre fois plus de CV pour décrocher un entretien.

J'ai souvent préféré utiliser mon réseau pour trouver du travail plutôt que de répondre à des offres d'emploi. Cependant, même dans ces contextes, les préjugés subsistent.

Un copain m’avait partagé que son mentor, membre du comex d’un grand groupe français, lui avait conseillé de transformer la rédaction de son nom pour « qu’il passe mieux à la lecture ». Ces conseils, bien que pragmatiques, sont révélateurs des obstacles structurels auxquels nous faisons face.

Le poids de l'invisibilité et l’illusion de la méritocratie

Être perçu comme "intégré" ne signifie pas être accepté. Un jour durant une intervention sur la voirie un riverain m’a dit que j’étais un « bon Arabe » parce que je travaillais. C’était suite à une longue tirade sur son expérience durant la guerre d’Algérie et des propos ahurissants sur des familles noires qui avaient emménagé dans le quartier et qui se cachaient dans les égouts. J’avais 20 ans, c’était mon premier mois d’alternance dans un grand groupe de gestion de l’environnement.

En progressant socialement, entre mon statut de futur opérateur grâce à mon Bac Pro à l’obtention de mon Master et les multiples expériences professionnelles que j’ai eu (serveur, street marketing, préposé assainissement, technicien de l’eau, vendeur, responsable commercial, …), j’ai pu remarquer l’évolution des propos à mon égard à différentes occasions. 

Les barbecues d’entreprise, les apéros entre copains issues de différents milieux sociaux, les soirées networking, les repas en petits comités et j’en passe.

L'ascenseur étant en panne, plus je montais dans l’échelle sociale et plus j’étais confronté à des remarques déplacées ou la seule réponse acceptable était le silence ou le sourire gêné.

Je pense au nombre de fois où l’on a écorché mon prénom, pourtant écrit en gros dans mon e-mail et ma signature, les refus à m’offrir un verre ou trinquer avec moi suite à l’annonce de ma non-consommation d’alcool, les explications subies sur l’évaporation de l'alcool dans un plat cuisiné (j’ai pourtant une licence scientifique avec une majeure en chimie), les moqueries sur les accents supposés de mes parents ou “les blagues” totalement déplacées. 

Une fois, alors que j’organisais une exposition sur l’Algérie, la directrice du lieu d’exposition à pu partager à 4 reprises des propos indécents durant la semaine d’exposition. Une fois pour nous montrer à quel point son poncho de vélo ressemblait à  « une djellaba des temps modernes », deux autres pour demander à ma compagne de faire une danse du ventre pendant le vernissage et une fois avec une phrase, censée être humoristique, pour valoriser le fait que je ne ressemblais pas à un arabe, malgré une barbe “faite pour le djihad”. Le tout dans un contexte professionnel.

Dernièrement je me suis même vu refuser un appartement en plein centre ville en région avec un loyer plus que raisonnable et des revenus parisiens similaires à ceux d’un couple de cadres, bien plus élevés que “les 3 loyers” demandés. L’agent immobilier avait annoncé 24 à 48h pour une réponse, vu la qualité de notre dossier. 1 semaine plus tard, toujours pas de réponse, malgré nos relances. Lorsqu’on à cherché à avoir des explications, rien n’était clair et parfois c’était même illégal. L’appartement est resté vide pendant 4 mois.

Durant toutes ces années, j’ai surtout appris que l’acceptation dépend du fait de rester dans une position subordonnée car tant que j’étais un “petit” et restait à ma place dans un rôle de bon arabe c’était ok, cependant quand tu prends de la place, que tu es force de proposition et que tu te retrouve là où l’on ne t’attends pas… c’est une autre histoire.

Et le plus difficile dans tout ça ? Certains amis et plusieurs personnes non racisées que je côtoie, me disent de prendre du recul, jugeant que ce n'est pas si grave, que j’exagère et dramatise, ou qu’après tout, ce ne sont que des plaisanteries... 

Avoir le droit à une vie modeste ou échouer à l'atteindre ? Dans les deux cas, cela ne suffira pas à m'émanciper, à accéder à un logement ou à constituer un patrimoine pour ma famille. D'un côté, c'est la stigmatisation des "étrangers pauvres", de l'autre, c'est être considéré comme faisant partie de "ceux qui ne sont rien".

Si j'avais su, j'aurais profité de toutes ces années d'expérience pour réaliser une thèse.

La résilience face à l’adversité, l’égalité comme véritable identité

“L'égalité des chances, c'est [...] le droit égal, pour chacun, de faire ses preuves, d'exploiter ses talents, de surmonter, au moins partiellement, ses faiblesses. C'est le droit de réussir, autant qu'on le peut et qu'on le mérite. C'est le droit de ne pas rester prisonnier de son origine, de son milieu, de son statut. [...]” - André Comte-Sponville

La méritocratie, cette idée que le talent et le travail suffisent pour réussir, est une illusion dangereuse pour ceux qui ne sont pas issus du groupe dominant. Lorsque j’ai choisi l’alternance pour financer mes études et gagner de l'expérience, je pensais que cela m’ouvrirait des portes. Si cela m’a permis de progresser, j’ai souvent été confronté à des obstacles invisibles mais omniprésents, liés à mes origines.

La notion d’excellence est biaisée lorsqu’on est racisé, car elle se situe face à la culture dominante et non face à nous-mêmes. Comme l’a dit Marie Dasylva, « La perfection qu’on recherche est simplement le reflet du racisme que l’on a subi ».

Malgré tout, j'ai appris à naviguer dans ce système. Comme le dit un proverbe kanak, « Je vais chercher mon passé devant et mon futur derrière ». Je ne me suis pas laissé abattre par les obstacles. J'ai choisi de rester en mouvement, d’être en perpétuel déplacement, car c’est là que réside ma force.

Le chemin est encore long, et les défis restent nombreux. Cependant, je refuse de croire que l'acceptation passe uniquement par la conformité à des normes imposées par d’autres. L'ambition, c’est repartir de soi, de ses propres talents et aspirations, et non se conformer aux attentes des autres.

L'égalité des chances ne se réalise pas en demandant aux minorités de s'effacer et de se conformer aux normes de la majorité. Elle passe par la reconnaissance de la diversité et la valorisation des parcours différents. Tant que la société ne reconnaîtra pas la richesse de ses différences et continuera de juger sur des critères superficiels, le travail et la conduite exemplaire ne suffiront jamais à garantir l’acceptation.

Les résultats des élections législatives de ce dimanche 30 juin ont confirmé la montée en puissance du Rassemblement National. Leur programme, axé sur une politique d'immigration stricte et une vision de l'identité nationale homogène, renforce mes inquiétudes personnelles et celles de nombreux français d'origine étrangère. Le RN propose des mesures qui, sous couvert de sécurité et de cohésion sociale, risquent d'accroître la stigmatisation et la marginalisation des minorités. Mon témoignage illustre comment, même en respectant les lois et en ayant une conduite exemplaire, nous demeurons vulnérables face à des politiques qui ne reconnaissent pas la diversité comme une richesse. La promesse d'égalité des chances est mise à mal par des discours et des actes qui perpétuent les discriminations systémiques.

Les représentants du Rassemblement National ont soulevé, à plusieurs reprises, la question de la loyauté des personnes binationales envers la France, particulièrement dans le cadre de leur politique d'immigration et d'identité nationale. Cette rhétorique politique divise la société en catégorisant les citoyens en fonction de leur origine ethnique ou nationale, alimentant ainsi les préjugés et les stéréotypes. Cette focalisation sur la loyauté sous-entend que les individus binationaux ne pourraient pas être aussi dévoués ou attachés à la France que ceux nés uniquement français, une assertion non seulement dénuée de fondement mais également dangereuse. 

Elle ignore la réalité complexe de l'identité et de la citoyenneté, ainsi que les multiples façons dont les individus contribuent à la société française, indépendamment de leur origine. En outre, cela nourrit une vision exclusiviste de la nationalité française, incompatible avec les principes d'égalité et de non-discrimination inscrits dans la Constitution française et les conventions internationales sur les droits de l'homme. Cette approche politique ne fait que renforcer les divisions et marginaliser encore davantage ceux qui ne correspondent pas à une vision étroite de l'identité nationale, plutôt que de promouvoir une société inclusive et diversifiée où chacun est valorisé pour ses contributions individuelles et son engagement envers les valeurs républicaines.

Nous devons continuer à lutter pour une société où chacun a réellement les mêmes chances, où l’on ne juge pas les gens sur leur apparence ou leur nom, mais sur leurs compétences et leur humanité. C'est une lutte de chaque instant, et c’est à nous de la mener, ensemble.

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Ceci est un humble témoignage, destiné uniquement à relater des expériences que l'on ne peut comprendre que de manière empirique. Plutôt que de nourrir la haine que ces vécus pourraient susciter, je souhaite offrir un récit pour enrichir le débat public par des faits et des histoires personnelles.