Mediapart ? C’est le média d’Edwy Plenel. Demain ? Le documentaire de Cyril Dion. Bloom ? Le mouvement de Claire Nouvian. Et même derrière les Gilets Jaunes moins concernés par le phénomène, il y a des visages, ceux de Jérôme Rodrigues, Maxime Nicolle, Priscilla Ludovsky, etc. L’être humain est un animal social, mais est-il pour autant condamné à être le mouton qui suit le plus téméraire ? La poule qui adule le coq ? En matière de militantisme, la question est cruciale et stratégique.
Au commencement était le chef
Nos premiers pas d’admiration et d’incarnation de la toute puissance ont été dirigés vers nos géniteurs, semi-dieux pour l’enfant que nous étions. En CM1, il y avait Marco, qui était le meilleur au foot et qui osait des punchlines sans trembler face à Claudie la maîtresse. Marco disait un truc et on était d’accord. Au lycée, la déléguée c’était Yasmine, la fille qui parle pour le groupe et qui négocie avec cette enflure de Monsieur Robert un décalage du DS de SVT. En école, tout le monde voulait ressembler à Arthur, président du BDE, génial créateur de liens et de soirées. Et puis la fin de l’insouciance et les premiers engagements associatifs. Derrière Taubira en 2022 pour sa verve et son charisme inégalés. Derrière Thomas Brail, ou plutôt en-dessous quand ce petit David grimpe aux arbres et défie les Goliath autoroutiers.
Ces modèles charismatiques façonnent notre existence et à tous âges nous entraînent, nous font vibrer, rêver…
Et ce sont ces mêmes modèles qui se révèlent parfois être des étapes décisives de notre vie militante. Sondez autour de vous et posez la fameuse question du déclic. Vous verrez qu’une fois sur deux, ces gentils gourous de lutte sociale ou écologique sont l’étincelle à l’origine du feu de l’engagement. « J’ai vu une conférence d'Aurélien Barrau qui m’a bouleversé », « Le TedX de Greta Thunberg m’a convaincu qu’il était urgent d’agir », « Benoît Hamon a parlé du revenu universel et j’ai compris que c’est pour ça que je voulais militer », « J’ai écouté Bernie Sanders et ça m’a redonné espoir ».
C’est donc clair : ils et elles ont une capacité mystérieuse à galvaniser les foules. Nous ne creuserons pas les raisons, certainement psychologiquement et anthropologiquement passionnantes, contentons-nous d’accepter humblement que nous faisons partie de ceux et celles qui louchent sur la une d’un journal titrant : « Le nouveau phénomène » ou « Le nouveau visage de… » plutôt que sur celui d’à côté titrant « Une super équipe » ou encore « Le collectif qui fait rêver ». Feu ! Chatterton, c’est avant tout Arthur Teboul, Queen, c’est Freddy Mercury, “je”, c’est plus fort que “nous”.
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C’est une bonne situation ça, gourou ?
À cette question dénuée de tout manichéisme, nous ne répondrons pas complètement. Et vous laisserons la liberté de vous forger votre avis comme des adultes responsables. Cependant, il peut être intéressant de lister les 5 “pour” et “contre” sous-jacents à la question du gourou. Commençons par les bonnes nouvelles, les 5 points positifs de ce fonctionnement 100% humain :
- A l’heure des chatGPT et autres DeepSeek, il est bon, rassurant de constater que rien ne vaut la parole, la présence réelle d’un être humain qui parle avec ses tripes.
- Nous sommes doués d’émotion. 40%. C’est la part des discours à l’assemblée nationale mobilisant une rhétorique émotionnelle” en 2024, contre 22% en 2014. Le lyrisme est désormais une arme de persuasion massive. Il y a quelque chose d’attendrissant à reconnaître que derrière nos grandes idées, nos théories, se cachent des sacs à joie, colère, peur qui tentent de se frayer un chemin dans la forêt de l’existence.
- Un humain charismatique… c’est charismatique, c’est fascinant, c’est joyeux. Regarder Luther King rêver, Gisèle Halimi plaider, Simone Veil déclamer son discours le 26 novembre 1974, c’est du spectacle, de la créativité et une création unique puisque s’alignant avec l’ADN d’un ou d’une battante parmi les Terriens et Terriennes.
- Il y a sur cette bonne vieille planète, 8 milliards d’être humains. 8 milliards de gourous potentiels, de destins peut-être encore en dormance qui pourraient éclater au grand jour d’un instant à l’autre. Autant de possibilités d’heureux accidents dont on a tant besoin.
- Les médias font la part belle aux gueuleurs professionnels, aux Donald et autres gourous terrifiants par leur vision du monde. Mais n’oublions pas que d’autres grandes et belles gueules continuent leur travail, parfois dans l’ombre, d’évangélisation et d’embarquement de milliers, millions d’hommes et femmes autour de causes gorgées de justice et d’espoir.
Regardons maintenant l’envers du décors. La stratégie du visage, de la personnification présente à bien des égards de multiples dangers. Notre top 5 :
- L’humain est aussi étonnant, admirable, qu’il est faillible. Les récents scandales ayant éclaboussé des abbés héros ou acteurs adulés nous le rappellent avec éclat : plus on est exposé, plus on est admiré, plus le pouvoir devient trop lourd à porter par deux frêles épaules quelles qu’elles soient.
- Un ou une cheffe, un ou une leader peut donc rapidement se métamorphoser en gourou. Et suivre aveuglément quelqu’un cela donne ce à quoi on assiste quotidiennement au Palais Bourbon : des humains qui en suivent d’autres sans plus dire « je pense donc je suis » mais bien « je pense donc je suis ». Habile et discret jeu de mot entre les verbes être et suivre, n’est-il pas ? Perdre sa capacité à critiquer, penser par soi-même, transférer cette responsabilité à un autre aveuglément, c’est risquer de glisser, sans même s’en rendre compte vers des régimes autoritaires, populismes qui ne disent pas leur nom.
- La certitude est une maladie qui rassure, dans un premier temps. Entendre sur un plateau télé des vérités magnifiquement proclamées est bien rassurant que les balbutiements d’un ou une humaine qui doute et avoue ne pas savoir. Et c’est pourtant ce qui nous manque le plus. Des chefs et cheffes de file fragiles, qui se questionnent sans discontinuer sur un monde à la complexité grandissante.
- Baser son engagement sur l’énergie ou les idées d’un ou d’une seule, c’est comme partir à vélo sans chambre à air de rechange. Si ça crève, tout s’arrête. Pas de plan B. Qu’ont fait les groupies de Jospin en 2002 ? Abandonné comme lui le combat politique ? Les fans de Stromae l’ont-ils suivi dans sa dépression quand ils l’ont apprise ?
- Le mimétisme, le « faire comme » fait partie des mécanismes d’apprentissages et de croissance normaux de l’humain. Jusqu’à trouver son rail, « tailler sa route » dirait Gaël Faye et coller à notre substantifique moelle. Vouloir être Brassens quand on se met à la guitare, c’est formidable. Continuer de chanter Brassens jusqu’à la fin de sa carrière, c’est prendre le risque de louper sa vocation, les secrets cachés de cordes vocales au timbre unique parmi les chanteurs et chanteuses du monde.
En ordre de bataille
Les échéances électorales à venir seront l’occasion de constater qu’individus et collectifs sont partout et souvent loin d’être bien distincts. En 2026, les élections Municipales vont mettre à l’honneur des collectifs, des listes, des communautés d’habitants et chacune d’entre elles seront animées par des voix, des personnes, des visages. 2027 et la présidentielle feront la part belle aux tant espérés hommes et femmes providentielles, mais cela ne saurait nous faire oublier les équipes qui s’agiteront derrière eux et elles, travail de fourmi nécessaire et autant invisible que crucial pour aller jusqu’à la victoire. Des mouvements citoyens vont naître, éclore, éclater au grand jour, leur porte-parole et autres ambassadeurs aussi.
Il s’agit alors, dans chacun de ces contextes, de réussir à dessiner une feuille de route claire, appelons-la sobrement, les 10 commandements d’un bon gourou :
- Intermittent du cockpit tu resteras. L’une des plus belles choses du mouvement Extinction Rebellion, comme d’autres d’ailleurs, c’est le leadership tournant. L’un se spécialise dans les actions de rue, c’est donc lui qui mène la barque quand son heure est arrivée. L’une est au contraire une pointure dans le domaine médiatique, c’est à elle de prendre le micro face aux journalistes. Un bon gourou ne l’est pas en permanence. Il a ses espaces, son bout de scène quand il intervient dans le spectacle, et repart en coulisses quand l’histoire doit continuer sans lui ou elle. Savoir monter sur scène, mais surtout savoir la quitter, dirait notre bon vieux Francis Cabrel.
- Le doute méthodique tu pratiqueras. Descartes te surveille. Nous l’avons dit : un leader équilibré est un leader qui doute et se questionne à chaque jour de sa vie. Qui ne sait pas. Qui cherche, en permanence.
- L’amour tu sèmeras. Un ou une cheffe qui crie « après moi le déluge », c’est louche, c’est même problématique. Comment peut-on prôner la justice, l’égalité, l’amour de l’autre si nos propres actes conduisent au clivage, à la confrontation violente ? On reconnaît l’arbre à ses fruits, c’est crucialement vrai dans le cadre de nos amis leaders.
- L’inconstance tu cultiveras. Alexandre Astier, et Dieu sait si ce monsieur coche tous les critères pour être un parfait gourou, expliquait dans une interview qu’après un « succès », il avait devant lui deux possibilités. Celle de continuer sur sa lancée, de rééditer, d’être là où « son public l’attend », ou au contraire celle de suivre le neuf en lui, l’élan nouveau, au risque de perdre une bonne partie de ses groupies : « ça ne lui ressemble pas », « il a changé ». Heureusement que l’on change. Heureusement que nos idées s’adaptent au flot du monde et à ses découvertes multiples. Heureusement que certains projets meurent pour laisser la place à d’autres pour éclore. Heureusement que certaines mains lâchent les rênes. Une locomotive doit apprendre à prendre les virages avec douceur pour éviter de dérailler en criant “je ne comprends pas, on a toujours fait comme ça !”
- Les facettes du monde vous reflèterez. Il y a le leader. Et les leaders dans leur totalité. Observons-les et prenons le soin de vérifier qu’ils et elles sont aussi nombreux et nombreuses qu’il y a de luttes. Aussi variés que les causes qu’ils défendent. Que la diagonale du vide n’existe pas dans la vitrine du militantisme. Et si c’est le cas, comment combler les trous dans la raquette, comment ouvrir les espaces aux voix étouffées parce que trop divergentes, trop nouvelles, trop visionnaires ?
- Le spirituel tu renforceras. Ne pas perdre sa boussole intérieure face à l’adversité, face à la violence du monde, des attaques, cela porte un nom : le combat spirituel. Oui, on est comme ça, on balance les gros mots. Que ce soit par la méditation, la prière, l’amitié ou la poésie, le gourou du bien est aussi capable de se retirer dans sa caverne pour jauger sa voix intérieure et vérifier face à lui-même que la direction de son combat est toujours la bonne.
- Le spirituel tu renforceras (bis). Parce que oui, le spirituel dans son sens léger et comique, est un signe de vitalité, d’auto-dérision et de puissance fabuleux pour ceux et celles qui mènent une armée. Le rire est non seulement extrêmement stratégique pour embarquer, combattre et déjouer l’intimidation mais il est également un puissant médicament contre les grosses têtes qui enflent démesurément.
- L’écoute tu pratiqueras. Avez-vous déjà serré la main d’un homme ou d’une femme politique ? Ou d’une star ? Il est parfois étonnant de constater que l’on a face à soi une personne tellement imbibée d’elle-même que son sens de l’écoute a totalement disparu. Que sa présence est vaporeuse. Chez certains, c’est flagrant. Chez d’autres au contraire, la capacité à écouter, à se laisser déranger, est un argument de plus pour dire « cette personne est saine, je la suis ».
- Le temps tu chériras. Un ou une cheffe qui court fait courir ses « followers » et donc le monde, c’est vu et revu. À l’inverse, les chefs et cheffes lentes et précautionneuses sont révolutionnaires parce que non aspirés par le travers d’un monde enivré par la vitesse et le progrès.
- Le reste tu inventeras. À chaque combat et visage son approche du monde, sa liberté d’agir. Ces 10 commandements sont à prolonger par vous, par eux, par elles.
Conclusion sans charisme
Finissons en nous rappelant, et c’est une nouvelle folle, que nous sommes tous et toutes des gourous en puissance. Que nous avons tous et toutes un rôle auprès de nos proches, voisins, collègues, encore faut-il s’accepter pleinement sans tenter une pâle imitation des autres. Nous inspirons forcément autour de nous, sans exception.
Et si votre âme de chef ne s’est pas encore révélée, rappelons-nous aussi qu’une armée n’est armée que parce que d’humbles soldats ont accepté de suivre une voie, de la défendre. Des foules, il en faut pour que l’étincelle ne s’éteigne pas dans le vide. Alors, suivons-les, suivons-nous et luttons.