Régis Badia fait partie de ces bousculeurs, ces personnes qui mettent les pieds dans le plat et dans la porte pour faire pencher leur entreprise du côté du social et de l’écologie. Chez Nae, il plante les graines du changement avec patience et humilité. Récit.
Régis est un gars du Sud Ouest qui sur son profil LinkedIn a mis une photo de mer de glace, habite à Barcelone depuis 16 ans, est père de trois enfants et a un accent aveyronnais dont il n’est pas peu fier. L’écologie, c’est un truc qu’il a dans les tripes et qu’il compte bien partager, notamment dans son entreprise. En charge de la RSE chez Nae, une boite de conseil espagnole, il décide un beau jour d'insuffler à la culture de son entreprise un peu d'impact, d'action environnementale ou sociale positive. Du sens, quoi.
Il est des signes qui ne trompent pas
Après une expérience difficile dans son dernier job, une sorte d'Accenture espagnol où les journées durent 15h, où les valeurs sont absentes, et l’ambiance du genre OM-PSG avec son directeur, Régis découvre en 2018 chez Nae un terreau fertile pour ses idées. “Dans les séminaires d’équipe, il n’y avait ni hôtel au Maroc, ni power point obèse de chiffres. Une fois, on est arrivés à 200 dans un orphelinat, un centre d'accueil pour enfants. Et pendant une journée on s'est mis à repeindre des installations, à monter des meubles, puis à accueillir les enfants à la fin de la journée".
Bref, Régis se dit que chez Nae, il y a moyen de moyenner. Au début, il commence tout doux à la machine à café. “Je glissais quelques mots de mes envies d’impact et là je voyais tout de suite si j'obtenais un grand sourire ou si la personne passait direct à un autre sujet". Petit à petit, le groupe des intéressés se forme, Régis se sent pousser des ailes et prend rendez-vous avec les directeurs du groupe. “J'avais préparé une panoplie de tous les scénarios possibles : du mécénat de compétences à la transformation totale des activités de l'entreprise”.
Rien ne sert de courir, il faut partir à point
Le jour J, l'enthousiasme et le discours de Régis tombent à plat. Le DG n'a rien compris. Trop complexe, trop d'options. Pas chaud le monsieur. Tout s'effondre. Dommage, ça a failli être un bon film. “Il y a eu plusieurs étincelles... plusieurs se sont éteintes aussi”. Gros coup d'arrêt pour Régis, donc qui aurait pu laisser tomber et trouver d’autres sujets pour la machine à café. Mais le quadragénaire est tenace. “Les autres me suivaient mais sans porter le projet dans leurs tripes comme moi, malgré cela, j'ai réagi, je suis allé mettre en pratique, je voulais du concret.” Il commence ainsi à faire du mentoring avec des ONG, apporte sa petite pierre à l'édifice avec ses 15 ans d'expérience.
Quelques mois plus tard, le film recommence, avec un scénario plus modeste cette fois. “Je propose au directeur une évaluation B-Corp”. Cette fois, ça passe. “On est des ingés, on aime les chiffres”. Cette méthodologie externe n'est pas une idée de Régis-tout-seul, c'est un truc réputé, visible dans des grands groupes comme Danone, cela rassure. Et puis quand les gens voient les résultats, “qu'on est à 70 sur 80”, la question naturelle derrière, c'est “comment faire pour avoir un meilleur score ?”
Association de bienfaiteurs
À cela s'ajoute la bonne nouvelle Blanca : “j'ai une amie qui arrive dans l'entreprise à ce moment-là, et qui partage vraiment mes idées. Cela nous motive beaucoup de s'attaquer à ce sujet en étant deux”. Après le petit succès de la démarche B-Corp, le duo vend “des calendriers plantables au profit de MSF". Tout bête et pourtant dans les couloirs les gens discutent, le sujet de l'impact arrive tout en douceur.
Et comme souvent dans les histoires récentes, il y a un moment où il faut dire “Et puis la pandémie est arrivée”. Et puis la pandémie est arrivée. Mais pour une fois, le virus a été “une réelle opportunité, pour nous et le projet”. Régis monte un atelier XXL en ligne, avec 60 personnes pour répondre à une question simple “à part des powerpoints et des excels, comment aider les gens en ce moment ?”
Réponse : “mettons nos compétences au service des PME qui souffrent de la crise”. Rapidement c'est une formule avec 3 ateliers de conseil gratuits qui est mise en place. Du temps de Régis et Blanca est dégagé pour coordonner tout cela. C'est un vrai point de départ, l'équipe se forme. Ce programme s’étend ensuite aux entrepreneurs sociaux puis aux ONG. Avec la cinquantaine de bénévoles dans la communauté, "on sent qu'on agit concrètement, que les ONG sont vraiment aidées par nous, et ça ça me rend hyper heureux".
Le changement c’est maintenant
À cela Régis a ajouté de nouvelles casquettes à son métier (aujourd’hui, ces sujets représentent un mi-temps dans ses journées) : un rôle sostenibilidad ou comment mettre en place de bonnes pratiques pour diminuer l'empreinte carbone et un rôle “qui l'intéresse encore plus” pour poser la question du changement des cœurs de métier vers plus d'impact. Il ne s’attarde pas là-dessus mais l’héritage du travail de fourmi de Régis est là : il a désormais cette capacité à embarquer les directeurs autour de stratégies qui intègrent réellement la durabilité dans tout ce qu’ils font, sa présence est donc devenue une partie du gouvernail de l’entreprise sur ces enjeux.
Tel La Fontaine dans ses fables, tirons deux grandes leçons de cette histoire.
- “Commencer petit, concret”. Rappelez-vous : quand Régis vend ses calendriers avec Blanca ou propose l'évaluation B-Corp à son CEO, il prépare le terrain d’une boîte qui sera bientôt prête à se lancer dans une exploration des questions d'impact plus poussée.
- “Ne pas y aller seul”. Se trouver des alliés est essentiel. “Seul c'est dur”. Notons l'importance des alliés à l'intérieur (soutien opérationnel, etc) ET à l'extérieur (pour inspirer, aider à prendre du recul, former, etc). La combinaison des deux est primordiale.
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