“L’engagement syndical au Printemps, c’est une manière  de dépasser sa dissonance cognitive au travail”

“L’engagement syndical au Printemps, c’est une manière de dépasser sa dissonance cognitive au travail”

C’est un syndicat pas tout à fait comme les autres. Au Printemps écologique, l’environnement est sur la première marche du podium des revendications. Découverte.
18 November 2024
par Paul Tonie
4 minutes de lecture

Sa voix est singulière dans le paysage syndical. Au Printemps écologique, on fait pousser les revendications qui défendent l’environnement. Retour sur un mouvement qui monte, qui monte, qui monte…

Tout est parti d’une cinquantaine de salariés, qui partageaient un sentiment de perte de sens dans leur travail mais surtout l’envie d’en retrouver en passant par l’écologie et le militantisme. En 2019, ils commencent à se retrouver régulièrement à Paris pour réfléchir ensemble à comment pousser les entreprises de l’intérieur à adopter des stratégies climat ambitieuses et à enfin prendre en compte les enjeux écologiques.

“Au fur et à mesure de nos expérimentations dans nos entreprises et nos échanges, on s'est dit qu'il fallait qu’on se serve de l’outil syndical, du dialogue social et de la négociation collective pour faire bifurquer les entreprises”, se rappelle Anne Le Corre, co-fondatrice du Printemps écologique. L’idée de créer un éco-syndicat germe, pour défendre une vision anti-productiviste de l’économie et des rapports sociaux. Le Printemps écologique est né. 

crédit @Printemps écologique  

Rediriger les entreprises de l’intérieur

Quatre ans plus tard, le jeune syndicat compte plusieurs centaines d’élus dans plus de 70  entreprises dans toute la France et dans tous les secteurs (public, télécommunication, métallurgie, éducation, etc.). Partout où ils sont présents, les militants du Printemps écologique challengent leurs directions sur les questions écologiques et sociales et font des propositions pour rediriger leurs entreprises dans le sens d’un monde soutenable. Tout en se battant pour l’amélioration des conditions de travail de leurs collègues.

Frédéric, élu dans une entreprise agroalimentaire du sud-est de la France, s’est opposé avec succès à la construction d’une chaudière industrielle à bois dans son usine, qui aurait ravagé les forêts locales. Il planche aujourd’hui avec ses collègues sur un projet alternatif, moins gourmand en ressources naturelles. “La voie syndicale était la plus à même de mettre en doute le projet. Je milite autant pour la limitation de l’empreinte carbone de mon usine que pour la préservation de nos écosystèmes locaux”, raconte l’élu Printemps écologique.

Du congé menstruel à l’écologie

D’autres militants Printemps écologique ont monté des commissions environnement dans leurs CSE pour faire des propositions sur un tas de sujets. Dans une grande entreprise informatique, Antoine, adhérent de la première heure, a monté une charte de voyages d’affaires décarbonées, qui incite les salariés à prendre le train plutôt que l’avion pour les trajets de moins de 3h15 depuis Paris. Chez Ubisoft, les élus Printemps écologique se battent pour que leur épargne salariale ne soit plus investie dans les énergies fossiles, aux côtés de l’ONG Reclaim Finance et d’autres syndicats

“L’écologie sans luttes sociales, c’est du jardinage” ! C’est justement pour cette raison que le Printemps écologique cherche à décloisonner les luttes environnementales pour les lier systématiquement aux luttes sociales. Margaux, élue Printemps écologique au CSE d’une structure de l’ESS, expérimente le congé menstruel sans justificatif médical car beaucoup de femmes peinent à être diagnostiquées pour des dysménorrhées ou des endométrioses. En parallèle, son entreprise a aussi décidé d’octroyer un jour de congé supplémentaire aux salariés qui souhaitent partir en vacances en train.

Création d’un droit de retrait éthique

“L’engagement syndical au Printemps, c’est une manière de dépasser sa dissonance cognitive au travail en liant la question du travail à celle de l’écologie. On ne peut pas penser la transformation de la société sans les travailleurs”, enchaîne Fatima-Zahra Barrago, elle aussi membre du bureau du Printemps écologique et salariée dans la région lyonnaise. Le syndicat milite pour la création d’un droit de retrait éthique, qui permettrait aux salariés de refuser de travailler sur des projets polluants ou contraires à leurs valeurs.

En 2023, la loi Climat et résilience confirme la raison d’être du Printemps écologique, en faisant de l’écologie un sujet obligatoire du dialogue social : le texte oblige les directions à consulter les CSE sur les impacts écologiques de leurs activités, et sur les actions qu’elles mettent en place pour les limiter. 

Hélas, dans la réalité, il reste encore beaucoup de travail. Les directions traînent encore trop des pieds et les élus CSE n’ont pas assez de temps et ne sont pas assez formés aux enjeux écologiques. 84 % des représentants du personnel se sentent mal informés sur la nouvelle prérogative environnementale du CSE, selon un récent baromètre Syndex-IFOP.

crédit @Printemps écologique  

Chico Mendes, saint patron de l’éco-syndicalisme

“Pour accélérer les choses, on forme chaque année des dizaines de CSE, on montre aux élus comment challenger leurs entreprises sur le volet écologique, commente Armand Blondeau, cofondateur du Printemps, en charge de l’accompagnement syndical. L’idée n’est pas de rester dans notre coin mais d’établir un dialogue avec les autres syndicats pour que tout le monde aille dans la même direction”.

Aux racines intellectuelles de leur engagement, les militants du Printemps citent pêle-mêle des noms de syndicalistes et des mouvements de pensée historiques de l’écologie politique. Chico-Mendes, un syndicaliste brésilien des années 1970 qui s’est battu pour défendre les travailleurs du caoutchouc et la forêt amazonienne. André Gorz aussi, penseur phare de l’éco-socialisme dans les années 1960.


Questionner la pertinence de la 5G

C’est justement à cette période que le monde syndical commence à parler d’écologie. “En affirmant que la cause des nuisances réside dans l’essor des productions induit par l’individualisation des consommations, la CFDT formule progressivement une critique du productivisme et du consumérisme”, explique Renaud Bécot, historien des mouvements sociaux. Les syndicalistes français, particulièrement ceux de l’industrie pétrochimie, s’emparent aussi de l’écologie à travers la question de la santé au travail et de l’exposition aux polluants chimiques.

“On essaie de se placer dans le sillage de tout cet héritage syndical, en travaillant par exemple à l’impact du changement climatique sur les conditions de travail ou à la pertinence de l’introduction de nouvelles technologies dans nos entreprises comme l’IA ou la 5G”, estime Fatima-Zahra Barrago, membre du bureau du Printemps écologique et salariée dans la région lyonnaise. Il reste encore un monde avant que les entreprises intègrent les limites planétaires dans leurs modèles d’affaires, mais le Printemps arrive!