La déconstruction, le “woke” un concept à la mode pour énerver le tonton Cnews lors des dîners ? Ou véritable changement de paradigme qui va transformer nos modes de pensées en profondeur comme le Biactol ? Voici quelques éléments pour apprendre à déconstruire nos privilèges et rebâtir une société plus équilibrée.
Déconstruire, mais de quoi parle-t-on déjà ? Ce verbe du troisième groupe désigne le fait de prendre conscience de certains schémas sociaux et personnels qui nous empêcheraient de voir notre monde tel qu’il est : un système dans lequel nous sommes tous et toutes englué.es tel.les des mouches dans une toile d’araignée. Où la domination de certaines parties de la population - les riches sur les pauvres, les hétérosexuel.es et cisgenres sur les LGBTQI+, les hommes sur les femmes, les valides sur les handicapé.es, les jeunes sur les vieux... engendre de la souffrance.
Car oui, à l’image du poisson qui ne se rend pas compte qu’il est dans l’eau tant ça lui est naturel (ici l’eau fait référence à ce vaste océan qu’est “la norme”), nous ne sommes pas toujours lucides sur nos biais de lecture du monde. Quelle est “la” norme ? En fait-on partie ? Qu’est-ce qu’elle génère ? Où est-ce que je me situe ? Comment cela peut guider mes actions ? Autant de questions brûlantes qui donnent de l’urticaire à Jean-Michel Blanquer.
Plus qu’un simple sujet de conversation à la mode, il s’agirait d’un véritable changement de paradigme invitant à collectivement enlever une couche d’oignon pour observer de manière plus fine, et plus profonde là où on ne voulait pas vraiment regarder. Et qui sait reconstruire, brique par brique, un monde plus juste ?
Voici donc un certain nombre de ressources non exhaustives pour apprendre à se situer, s’informer sur ses propres biais, et, pourquoi pas, faire des choix plus éclairés quand on veut passer à l’action pour “changer le monde”, et éviter l'écueil de reproduire les mêmes schémas (à l’image de la fin de la saga Hunger Games #lesfanssavent#nospoiler). On vous prévient, ces prises de conscience quand on est du côté des “dominants” sont souvent aussi inconfortables qu’un col roulé qui gratte, mais promis, ça vaut le coup de sortir du “privilège de l'ignorance" !
©️Marie Rouge
Déconstruire… la race
On entend toujours parler du racisme comme étant une oppression dont les minorités racisées sont victimes. Mais alors, qui sont celleux qui exercent cette violence de manière systémique ? Qu’est-ce qu’être une personne blanche dans une société raciste ?
On peut commencer par le bien nommé podcast "Kiffe ta Race" sur Binge Audio où Rokhaya Diallo et Grace Ly décortiquent des sujets liés aux races (elles expliquent le “pourquoi” de l’usage de ce mot dans cet épisode), et donnent des clés à celleux qui veulent devenir des allié.es.
“Blanc comme neige” sur Programme B. Dans ce podcast en 5 épisodes, Claire Richard s'attaque en creux au sujet du racisme. Un récit en son “je”, fouillé, exigeant, plein d'auto-dérision qui fait le tour du sujet sans apporter de réponses toutes faites. Il ne s’agit pas de se regarder le nombril, mais de mettre en lumière comment, en faisant partie de la “norme”, on est loin d’être “blancs comme neige”.
Déconstruire... sa classe
Marx est peut-être un des pionniers de la déconstruction en proposant une grille de lecture matérialiste où la classe sociale bourgeoise qui a les moyens de production domine le reste du monde, aka les prolétaires… Bon, on ne va pas refaire un cours d’histoire, mais cette grille de lecture reste d’actualité : un sondage publié en novembre dans Libération montre qu’à l’âge de la retraite, 25% des plus pauvres sont déjà morts, ça fout le cafard.
Ce sont souvent les transfuges de classe qui arrivent à percer le” mur du son” (aka se faire entendre dans la sphère publique) et pointer du doigts la toxicité (parfois littérale) d’un système qui exerce une forte domination sur les pauvres. Les livres de l’auteur Edouard Louis “Qui a tué mon père ?” et “En finir avec Eddy Bellegueule” sont une bonne porte d’entrée pour celles et ceux qui sont loin de ces sphères sociales et veulent se rendre compte des violences économiques, mais aussi physiques et psychologiques subies par toute une partie de la population.
Pour les personnes qui préfèrent une entrée en matière auditive, cet épisode du podcast le Goût du M "Être bourgeois, c’est apprendre à ignorer les autres et être bien avec ça“ est un bon résumé de ces idées. Quant au podcast de France Culture sur le mépris de classe, il met en lumière comment les moqueries et les petites remarques véhiculant des clichés permettent en partie de maintenir l’ordre social.
Et sinon vous connaissez peut-être le male gaze (ce regard du monde d’un point de vue purement masculin) ? L’article du média en ligne Frustration parle lui du “bourgeois gaze” au cinéma. Enfin parce qu’on est tous et toutes le bourgeois de quelqu’un, ce quiz en une dizaine de questions permet de se situer sur l'échiquier social (on est parfois plus bourgeois qu’on ne le croit…).
Déconstruire le genre et la sexualité
Le système hétéronormatif binaire dans lequel on baigne depuis toujours aurait-il fait son temps ? À la lumière des découvertes scientifiques et grâce aux combats militants menés ces dernières années par des minorités LGBTQI+, il est sérieusement ébranlé.
L’identité de genre, la préférence sexuelle, les représentations queer sont autant de sujets que Camille du podcast éponyme adore décortiquer. On apprécie particulièrement les épisodes qui parlent de la représentation des homosexuel.les comme “méchant.es” dans les films hollywoodiens, où ceux qui permettent de comprendre comment être un.e bonn.e allié.e.
Dans un épisode “live” du podcast Cœur sur la Table dédié à la déconstruction du mythe de l’amour romantique, l’essayiste Juliet Drouar met un bon coup de pied didactique dans la fourmilière de l’hétérosexualité. Dans le style, on conseillera aussi les livres de Paul B. Preciado, pas toujours faciles d’accès mais riches sur la question de la construction des normes binaires.
Nombre de comptes instagram font un passionnant travail de vulgarisation sur la question du genre, de la transidentité : @talmadesta, @lobbygouine, @agressively_trans @transpedegouine
Déconstruire sa masculinité
La construction de la féminité comme norme sociale, on la connaît bien depuis Simone de Beauvoir : l’injonction à la beauté, à la soumission, à la maternité, etc. Aujourd’hui, il est temps de changer de focale et de regarder la masculinité avec la même lucidité : un ensemble de codes, de normes, dans lesquels les hommes se moulent et reproduisent, comme individu et comme groupe social, des mécanismes d’oppressions économiques, intimes, sexuels, politiques...
A-t-on besoin de présenter Victoire Tuaillon ? Elle s’est fait connaître grâce à son podcast au titre aussi génial que son contenu “Les Couilles sur la table” sur Binge Audio (décidément…). Dans chaque épisode, elle interroge un.e expert.e sur un thème lié à la masculinité. Qu’est ce qu’être un homme dans l’espace public ? A l’école ? Au travail ? Qu’est-ce qu’être un père ? L’occasion pour les hommes de mettre d’autres lunettes pour comprendre que, parfois, leurs actions, leurs postures, façonnent un système patriarcal injuste. “Parce qu’on ne naît pas homme, on le devient.”
Dans le même genre, Mansplaining sur Slate met en lumière les différentes formes que prend la masculinité, notamment via le prisme de la pop culture et le décryptage de films à succès.
Déconstruire son… validisme
Même si les personnes porteuses de handicap représentent plus de 10% de la population française, elles ont du mal à se faire entendre dans la sphère publique, en témoigne la récente mise en lumière de la très injuste loi qui indexe les allocations d’une personne en situation de handicap au revenu de son.a conjoint.e.
Pour apporter du grain à moudre sur ce sujet un épisode du podcast “Quoi de meuf ?” sur Nouvelles Écoutes consacre un épisode à cette thématique : le Validisme, l’angle mort du féminisme
Pour aller plus loin sur le sujet le livre de Marina Carlos : “Je vais m’arranger” rappelle comment le validisme impacte la vie des personnes handicapées.
Déconstruire son… âgisme
Où sont les vieux ? L’écrasante prise de parole dans la sphère publique se fait par les adultes de moins de 70 ans (sauf quand on est un homme, et encore…). La représentation dans les médias et la manière dont on traite les personnes âgées témoigne du désintérêt collectif pour ces phases de vie (qu’on va pourtant tous et toutes connaître un jour).
Alors pour redonner du poids à leur parole on peut écouter les podcasts : Mamie dans les orties qui recueille des récits de grands-mères ou Vieilles Branches sur Nouvelle Écoute qui donne la parole à des personnalités de plus de 70 ans.
On peut aussi regarder ou lire les aventures d’Oldyssey, un couple qui a fait le tour du monde pour montrer d’autres manières d’être vieux. On adore les épisodes où des mamies font de la techno ou du foot. De quoi dépoussiérer nos imaginaires sur la vieillesse.
Déconstruire… son cerveau.
On sort ici des questions sociales. S’il y a bien un endroit où l’on pense être maître en son royaume c’est bien l’antre de ses pensées. Et pourtant… même là, la recherche commence à montrer que nous ferions mieux de ne pas trop nous faire confiance quand il s’agit de lire le monde. Nous sommes nombreux à croire que notre lecture est LA réalité alors qu’elle n’est qu’UNE réalité parmi d’autres. La faute aux biais cognitifs qui nous aident à avancer, agir, et trouver du sens, mais, revers de la médaille, nous font aussi glisser vers des raccourcis généralisants. De l’intérêt de continuer à questionner nos croyances et la manière dont on forge ces dernières. On pourra donc aller écouter sur le podcast Méta de Choc, un épisode en trois parties particulièrement riche sur la métacognition (le fait de penser sur ses pensées), un épisode où intervient le psychologue et chercheur en neuroscience Albert Moukheiber.
Et pour finir… déconstruire sa déconstruction #méta.
Le concept de déconstruction bien que très utile est lui-même sujet à questionnements et à déconstruction : il reporte à une échelle individuelle la responsabilité de nos actes et peut dépolitiser certaines luttes, en les transformant en une affaire intime. Une sorte de développement personnel où le checkage des privilèges compterait plus que la compréhension de l'altérité et des luttes collectives. Néo-libéralisme quand tu nous tiens… Il peut également entraîner une course à la pureté militante, encourager la cancel culture, et renforcer nos egos. Bref, quelques contenus pour remuer tout ça : checker ses privilèges ou renverser l’ordre dans la Revue Ballast et pureté militante, culture du "callout", quand les activistes s’entre-déchirent sur Néon.
NB : cet article a été écrit par une femme blanche cisgenre, qui fait de son mieux mais est loin d’être parfaite.