Lucile est le genre de trentenaire bousculeuse qui a mille projets sur le feu et autant d’idées pour l’éteindre. Ingénieure chez GRTgaz, elle est à l’origine du Roseau, un collectif interne autour de la transition. Il plie mais ne rompt pas, vous connaissez l’histoire ?
Tout commence par un concours perdu. Nous sommes en 2020, entre pleine période de confinements, déconfinements, reconfinements, Lucile, jeune Docteure en mathématiques appliquées fraîchement arrivée à la direction Recherche et Développement de GRTgaz, postule au challenge Innovation de l’entreprise, un concours interne qui permet de valoriser et de soutenir des projets proposés par des salariés. Son idée ? Organiser un maximum de fresques du climat dans son entreprise pour réveiller les consciences et permettre à tout le monde de bien saisir les enjeux climatiques.
Le jury dit non, Sylvain dit oui. L’aventure démarre. “Sylvain c’est un collègue qui a beaucoup plus d’expérience que moi, explique Lucile. Quand il a pris connaissance de mon projet, il m’a contactée et m’a dit que lui aussi était fresqueur et qu’il avait envie de monter cette opération avec moi.”
Au début était la fresque
Ni une, ni deux, le duo va frapper à la porte des managers pour pouvoir organiser des premières fresques et se fait vite repérer par le département RSE qui, non seulement, leur propose un petit budget pour rendre les ateliers possible mais en plus leur donne le sésame pour pouvoir en organiser autant que souhaité. Le bouche à oreille se charge du reste. “Ça s’est développé de manière organique, les managers nous appelaient pour organiser des fresques partout,” se réjouit Lucile qui se souvient aussi de moments de grandes émotions. “On a beau être des ingénieurs, certains étaient passés à côté du sujet et ont été chamboulés. Chaque fresque a permis de créer des rencontres, des discussions, de l’entraide. Tout ça remet du sens au travail.”
Le sens, l’utilité, voilà des sujets qui titillent Lucile à la ville comme à la scène. “J’ai toujours voulu travailler dans la transition énergétique, confie la scientifique. Lorsque j’ai été embauchée par GRTgaz, je me suis dit que c’était le bon endroit pour faire bouger le secteur des énergies fossiles. GRTgaz est une entreprise qui permet de tester plein de choses et qui doit intégralement se réinventer. ” En tant que spécialiste simulation et modélisation, Lucile aide au développement et à l'adaptation du réseau pour accompagner la transition énergétique et ressent une pointe de frustration. “Mon métier contribue à la transition mais cela reste insuffisant selon moi, c’est pour ça que j’ai lancé les fresques.”
Nous partîmes à 8…
Parce que le déploiement des fresques a quelque chose d’organique, en quelques mois, 1000 salariés du groupe ont pu être sensibilisés au permafrost et à l'albédo. Ce Chiffre, Lucile et Sylvain le doivent à l’équipe de fresqueurs qu’ils ont pu constituer et qui, depuis, se réunit tous les mois, pour partager, échanger, s’entraider sur des points en particulier. “L’année dernière on s’est rendu compte que la fresque ne répondait pas à tout, explique Lucile. En faisant le tour des salariés, on a vu qu’ils avaient envie d’aller plus loin.” La jeune femme qui a longtemps été active au Shift project, animatrice de la fresque des nouveaux récits, active au Printemps écologique rencontre les Collectifs, une association qui redonne le pouvoir d’agir aux salariés pour transformer leur entreprise de l’intérieur. « On s’est dit qu’on allait donner de plus grandes ambitions à notre collectif de fresqueurs »
Avec leur bâton de pèlerin, Sylvain, Lucile et Alice, une autre fresqueuse rameutent des alliés pour créer le Roseau, un groupe informel autour des enjeux écologiques du groupe. “Au début, on était 8 pionniers, on venait de villes différentes, de départements différents, on a commencé par se découvrir et s’apprivoiser.” À la base, l’idée est d’ouvrir un espace de discussion pour les salariés, de faire collectivement progresser les connaissances sur les enjeux environnementaux grâce à des ateliers 2 tonnes, la fresque de la biodiversité, de questionner les pratiques de l’entreprise et d’être force de proposition pour transformer l’entreprise. “Notre idée n’était pas de fronder mais plutôt de proposer aux dirigeants des forces vives sur lesquelles s’appuyer.”
Lorsque la bande des 8 organise en octobre 2022 une conférence sur les limites planétaires avec la chercheuse Natacha Gondran qui réunit 200 personnes, un quart des participants souhaitent rejoindre le Roseau. “C’était un peu le stress et en même temps excitant, on est passé d’un coup de 8 à 50 personnes avec des jeunes, des seniors, des personnes à Paris, d’autres en régions, autant d’hommes que de femmes…”
S’organiser et essaimer
Parce qu’on n’avance pas de la même façon à 8 qu’à 50, le groupe doit s’organiser en s’appuyant sur les principes de gouvernance partagée que Lucile est allée glaner chez Fertiles lors d’une formation qui l’a transformée. Les cafés collectifs organisés tous les 15 jours font émerger 2000 idées. Comme chacun est libre de proposer des axes de travail, des petits groupes se mettent spontanément en place pour réfléchir à l’épargne salariale, à l’alimentation à la cantine, aux outils de sensibilisation.
Aujourd’hui, le Roseau n’a pas de forme juridique et n’en aura pas mais il y a de plus en plus de monde qui s’y intéresse. Le comex a pu participer à un atelier 2 tonnes, une partie du groupe avance sur le terrain de l’alimentation. Le Roseau a rejoint les Collectifs pour partager les joies et les peines du faire ensemble, s’inspirer de l’Atlas des actions, véritable bible des initiatives positives en entreprises, découvrir d’autres projets comme le rhizome d’EDF qui travaille beaucoup sur l’éco-anxiété par exemple.
“Dans trois ans, on pourra se dire que le Roseau a réussi s’il est devenu une vraie partie prenante de l’entreprise, conclut Lucile. Si GRTgaz intègre bien sa raison d’être au coeur des enjeux environnementaux et sociaux, si on a pu se poser pour réfléchir ensemble à sa transformation.” En attendant, c’est pour la jeune femme un moyen de réconcilier son travail et ses aspirations. “Je ne fais pas ça pour faire carrière, conclut la passionnée, mais parce que l’urgence est là. Si à mon échelle, je peux accélérer les choses alors j’y vais. Je veux pouvoir me réveiller en me disant que j’ai fait ma part.”