Les Parasites ont bien choisi leur nom : à l’instar des petites bêtes éponymes, ce collectif de réalisateurs touche-à-tout suivi avec plus de 12 millions de vues sur Youtube aime bien titiller là où ça fait mal.
Quand certains YouTubeurs engagés pour la cause du « changer le monde » comme Professeur Feuillage ou Osons Causer, utilisent les codes « à la Norman », Guillaume Desjardins, Bastien Ughetto, Jérémy Bernard, et leurs camarades ont décidé de jouer la carte de la fiction pour sensibiliser les foules.
Depuis le lancement de leur chaîne Youtube en 2014, les Parasites ont mis a profit leur esprit critique pour s’essayer aux court-métrages engagés. « Lanceurs d’Alerte », « Jeu de Société », « Crise d’empathie » sont autant de fictions qui questionnent la société et ses dérives, que ce soit le capitalisme, le manque d’empathie ou la surveillance généralisée. Leur dernier coup d’éclat ? Un documentaire de 46 minutes « La Boucherie Éthique », croisement presque parfait d’un épisode de Strip Tease et de Black Mirror qui a fait plus de 350 000 vues, fait rare pour un format long sur YouTube où la plupart des vidéos durent à peine le temps de capter nos attentions de moineaux.
Jéremy (à gauche) et Guillaume (à droite) dans un Vlog sur le Camp Climat (un camp où l’on apprend à opérer des actions non-violentes)
On a rencontré Guillaume et Jérémy pour savoir s’ils kiffaient vraiment mettre les gens mal à l’aise.
MakeSense STORiES : C’est quoi Les Parasites ?
Jérémy et Guillaume : C’est avant tout une bande de potes. On s’est rencontrés en école de cinéma et on s’est lancés dans des 48 Hours Film Project, des concours vidéo où on dispose de 48 heures pour créer un court-métrage avec des contraintes (un genre, un objet, une réplique, un personnage imposés ndlr). Notre équipe s’est construite à partir de là.
On a appelé notre collectif Les Parasites parce qu’on pensait être les parasites des concours. On ne participait pas pour gagner, mais pour s’amuser. Et puis le nom nous plaisait aussi pour le côté « parasites du système ».
Au début, on ne faisait pas de fictions engagées. C’est en faisant des court-métrages hors concours, comme Crise d’Empathie, qu’on a commencé à proposer des contenus qui font réfléchir.
Maintenant on n’arrive plus à trouver la motivation de faire une histoire pour faire une histoire. Il y a beaucoup de choses qui nous inquiètent, nous révoltent, et la meilleure manière qu’on a trouvé d’en parler, c’est de faire des films. On ne sait faire que ça. Nos idées de fiction viennent naturellement, alors on écrit et on réalise.
Image tirée du court-métrage « Jeu de Société » où une famille s’affronte autour d’un jeu qui rappelle étrangement certains faits réels.
Aujourd’hui on a du monde qui nous suit et on sait que nos vidéos seront vues, alors on a une responsabilité quelque part. On a un pouvoir, donc une responsabilité. Comme Spiderman.
On a un pouvoir, donc une responsabilité. Comme Spiderman.
La pilule, elle passe mieux avec de l’humour ou de l’absurde ?
On ne fait pas trop d’humour. De l’absurde oui. On essaie pas forcément d’être drôle, mais de questionner le spectateur. On a envie que de plus en plus de gens se posent ces questions, même si nous n’avons pas la solution. Car plus on est à se poser la question, plus nombreux on sera pour trouver la solution.
Votre dernière vidéo en date est le documentaire La Boucherie Éthique qui dure 45 minutes. À l’heure où les vidéos courtes sont reines, comment lutter contre nos attentions d’huître ?
On sait qu’il faut accrocher dès le début. C’est pourquoi on essaie de taper fort dans les premières minutes. Malgré ça, si on regarde les scores de La Boucherie Éthique, le taux de gens qui regardent jusqu’au bout reste faible. C’est là où on est peut-être mauvais, où l’on se prend un peu trop pour des artistes.
Et si on prélevait des membres aux animaux au lieu de les tuer ? Un documentaire sur une alternative très polémique aux abattoirs.
On se dit : “ De toute façon on ne va pas gagner nos vies avec le nombre de vues, alors autant faire ce que l’on a envie de faire. Les gens regarderont ou pas.”
D’autres sont sûrement meilleurs lorsqu’ils se disent : “Le but, c’est de toucher un maximum de personnes, alors faisons des formats hyper adaptés aux différentes plateformes”. Mais là, on tombe dans des logiques publicitaires qui nous soûlent un peu. On aime croire que ça peut faire plaisir à certains d’avoir une vidéo de 50 minutes faite par une chaîne qu’ils apprécient, et de ne pas voir que du contenu éphémère.
Par exemple, les Inconnus, on les regarde encore parce qu’ils sont engagés, parce qu’ils racontent quelque chose qui est encore valable aujourd’hui. La plupart des chaînes Youtube du moment, personne ne se donnera la peine de rechercher leurs vidéos plus tard.
Les Inconnus, on les regarde encore parce qu’ils sont engagés, parce qu’ils racontent quelque chose qui est encore valable aujourd’hui.
On peut dire que certaines de vos vidéos sont dérangeantes ou interpellantes, est ce que vous dormez bien la nuit, à rendre les gens ainsi mal à l’aise?
Oui, très bien. On adore bousculer et troller. On a envie de faire quelque chose aux gens, qu’ils aient une vraie réaction. On a compris qu’il était plus efficace de ne pas culpabiliser, mais plutôt de faire comprendre que nous sommes les victimes et surtout qu’on peut changer notre condition. Après, nous sommes beaucoup a préféré ne pas voir ou ne pas savoir.
Quelles ont été les retombées de La Boucherie Éthique ?
Elles ont été très positives. Certains nous ont même envoyé des messages pour nous dire qu’ils se sont convertis au végétarisme. C’est déjà une petite victoire, même s’ils sont peut-être que trois. C’est comme dans le Talmud, “Qui sauve une seule vie, sauve le monde entier”.
Si on avait fait un documentaire au premier degré, type vidéo « Go Vegan », certains n’auraient pas regardé, alors que là, en les prenant par surprise, on nous a écrit “Vous m’avez fait réfléchir à des choses auxquelles je n’aurais jamais pensé”. On se dit qu’on a au moins planté des graines, et ouvert des portes que certains ne seraient jamais allées ouvrir.
Du coup, partagez-vous les convictions que vous défendez dans vos films. Par exemple : est-ce que vous êtes végétariens ?
Oui, on est végétariens et certains véganes. Au début du projet on a commencé à se dire que ce serait bien si tout le staff et les comédiens étaient végés, mais en fait on a pas réussi. Par exemple notre acteur principal ne l’était pas du tout. Mais il est libre, c’est légal, et c’est ça qui est beau. En tout cas pour ce qui est de l’équipe, ça nous a encore plus renforcé dans nos convictions
Dans un autre registre, pour Jeu de Société, on était tous d’accord pour remettre en question tout le système dans lequel on vit.
Des futurs projets ?
On ne peut pas vous en parler, mais on peut partager une envie. On revient du Frames Festival à Avignon, où beaucoup de YouTubeurs engagés étaient présents et se posaient des questions sur la monétisation des vidéos. On galère tous un peu parce que Youtube, c’est un peu l’ubérisation des producteurs et des vidéastes, tous avec des statuts différents, souvent sous-payés.
Une idée est alors apparue, celle d’une plateforme vidéo décentralisée où tout le monde hébergerait les vidéos en peer-to-peer, qui n’appartiendrait à personne et tout le monde à la fois. Il y a un truc génial à créer, et on sait qu’il y a déjà des gens sur le coup !