Quel est le comble du vide dans un monde qui fait tout pour le combler ? Dans son premier seul en scène, Vianney Louvet que l’on connaît bien par ici, nous emmène dans son univers loufoque et poétique pour questionner le creux de nos existences. Et s’il ne fallait plus avoir peur du vide ?
C’est l’histoire d’un mec… Roger Dutui, un gars un peu trop grand pour tenir dans une case. Un type qui n’en peut plus de sa boîte, des carrés qui régissent sa destinée, des barreaux qui l’empêchent d’être ce qu’il est. Un être lâche et idéaliste comme tout le monde. Roger aurait pu passer sa vie à se soumettre, à regarder le monde défiler sur Instagram mais voilà, Christiane Bodin écrivaine mondialement connue lui a confié un secret pour sauver la société de la grande agélastie, ce virus qui fait perdre le goût de la poilade. Pour éviter que le monde arrête de rire, Roger doit agir.
La pièce commence avec un journaliste à l’assurance de Raphaël Mezrahi qui ne sait pas comment prendre la lumière. Puis on change rapidement de plan pour se retrouver en pleine nuit dans la chambre de Meriem, la nièce de Roger qui ne veut pas fermer l’œil et attend que son oncle babysitter lui raconte une histoire à dormir debout. Nous voilà plus tard avec Ludo, vieux compagnon de bureau quand le téléphone se met trop souvent à sonner. En quelques appels, Roger passe d’employé de bureau modèle à sauveur de l’humanité désemparé. Un tour chez Noël Devilder, gourou-guide du musée du rire, nous plonge dans une spirale spatio-temporelle où les mots font écho à son âme charlatane. Claquement de doigt, musique et nous voilà dans un train qui ne marquera pas l’arrêt au Creusot parce que personne n’a l’intention de s’y arrêter. Et puis il y a cette scène hilarante au cœur d’une boîte crânienne. Martino nous présente son armée de neurones prêts à activer les zygomatiques.
Pas besoin de changement de décor pour passer d’un univers à l’autre, Vianney et son corps élastique à la Pixar nous balade dans son monde imaginaire sans jamais nous perdre. Roger cherche la fulgurance du rire et s’interroge dans le même temps sur le sens du vide. On le suit dans ses errances mi-drôles, mi-poétiques, mi-existentielles. Régulièrement il vient nous chercher sans jamais nous brusquer. Au fil de la pièce, on recolle les morceaux jusqu’à la scène finale où les mots de Simone Weil avec un W nous livrent un éclairage onirique. Dans le noir, tout s’éclaire.
Cette quête sur le rôle du rire dans notre société est née d’une vraie préoccupation de l’auteur, trentenaire engagé sur le climat et la justice sociale, troubadour assumé, ingénieur agronome patenté. Pendant le confinement, il plonge dans le Très-Bas de Christian Bobin que sa mère lui avait donné quelques années auparavant et qu’il n’avait pas l’intention de parcourir. “C’était la première fois que je lisais vraiment de la poésie. C’est une écriture tellement simple et appliquée à la vraie vie.” C’est aussi pour Vianney une pause dans la frénésie du monde qui est pourtant à l’arrêt.
À cette époque, il passe son temps derrière les écrans ayant créé les 10 minutes du peuple, un groupe Facebook de plus de 500 000 personnes qui se retrouvent tous les soirs sur une playlist de 10 minutes pour faire ensemble la teuf de la quarantaine. “Je passais mon temps sur les réseaux sociaux, Bobin était pour moi un apaisement.” Parce que Vianney n’a pas l’audace dans sa poche, il écrit à l’auteur avant sa mort pour le remercier et pour lui faire part d’une de ses interrogations. “J’avais envie de faire rire mais je ne savais pas quoi faire de tout ça alors je lui ai posé la question.” L’auteur se fend d’une longue lettre et d’une phrase qui est à l’origine de cette pièce : “Il vous reste à faire fleurir le rire hors du monde.” Vous avez dit fulgurance ?
Bien résolu à faire vivre l’énigmatique conseil, à l’instar de son personnage Roger Dutui, Vianney se met à la tâche. Il écrit pendant 18 mois, s’isole loin du monde près de Royan pendant un mois alors qu’il avait prévu de ne voir personne pendant un trimestre complet pour éprouver le fameux vide de son histoire. “Je ne parlais qu’aux moutons et aux poules qui, en plus me détestaient, j’avais l’impression de devenir un peu plus fou chaque jour, j’ai préféré écourter.”
De retour chez lui, ailleurs, chaque jour, il écrit, rature, convoque les différents registres du rire : l’absurde, le calembour (pas lourd, tout un art !), le burlesque (certaines mimiques sont irrésistibles), le geste (ses bras trop longs font des merveilles). Il va même jusqu’à rassembler dans une même scène les ténors du secteur : Coluche, Muriel Robin, Elie Semoun, Raymond Devos… en guise d’hommage. Régulièrement, il teste ses blagues auprès de sa compagne qui ne l’épargne pas et de son pote Simon Drouard, ceinture noire en absurdité. Il travaille la mise en scène avec Sophie Galitzine, ajuste sa voix, répète encore et encore jusqu’au moment où il faut y aller.
Ce moment, c'est le lundi 2 septembre 2024, seul et unique 2 septembre 2024. Et c’est 80 minutes d’enchantement. À la sortie du spectacle, Vianney fait tourner un chapeau non pas pour récolter quelques pièces mais pour distribuer les tracts de sa pièce. Il y en a un pour chacune et chacun. Sur le mien, cette citation de Bobin “Assez seul pour ne l’être jamais.” Le sujet de son prochain spectacle ?
Le comble du vide
Les lundis et mardis à 21h, Jusqu’au 5 novembre inclus. Théâtre Essaion, Paris 4e. 16,50 €