Il y a dix ans, Anaïs, 24 ans, jeune agricultrice en devenir s’en est allée en guerre contre l'administration, les professeurs misogynes, le tracteur en panne, les caprices du temps pour cultiver son jardin. Sa détermination a ému le monde, elle n’a rien lâché, a cultivé et inventé ses tisanes. 10 ans plus tard, Anaïs comme ses plantes sauvages a poussé. Elle est désormais mariée avec un jeune Sénégalais, Seydou et s’est frottée à la dure loi des frontières. Pendant 10 ans, la réalisatrice Marion Gervais l’a suivie dans ses pérégrinations. Avec Anaïs 2 chapitres, elle nous livre un documentaire sensible sur la rage sauvage de vivre sa vie. Rencontre.
Il y a 10 ans, vous avez réalisé le documentaire Anaïs s’en va-t-en guerre qui était aussi votre premier film, pourquoi cette idée de suivre cette jeune néo-paysanne ?
Un jour, on m’a parlé d’une jeune femme au caractère bien trempé qui cultivait des plantes sauvages dans mon village de Bretagne. La description qu’on m’en a faite m’a donné envie de la rencontrer. Au début, je n'avais pas l’intention de faire un film, je voulais juste échanger avec elle. Quand j’ai découvert Anaïs dans son champ sans caravane ni électricité, quand elle m’a raconté son combat en une heure en désherbant sa menthe, ça m’a donné envie de la filmer. Elle irradiait, elle avait une parole vraie, ressentie qui vous touche forcément. Elle insufflait quelque chose de politique, ça m'a tout de suite plu.
Dans chacune des scènes qui ouvrent les deux parties du documentaire, Anaïs peste contre toutes celles et ceux qui vous mettent des bâtons dans les roues et vous poussent à tout arrêter. Pourtant Anaïs ne lâche jamais, c’est cela que vous aviez envie de montrer ?
Anaïs est une fille intense qui ne se soumet pas. Elle ne courbe pas l’échine, ne laisse pas la peur prendre le dessus sur le rêve. C’est une personne qui vit ce qu’elle a à vivre malgré l’adversité. J’avais envie de montrer son combat qui me parle, sa passion. Le tournage a duré deux ans, il ressemblait à la météo, fait de tempête, de grâce, de confrontation. Anaïs était à fond et n’avait pas toujours le temps de se laisser filmer. Alors je me suis mise à travailler pour elle. On s’est retrouvées face à face les mains dans la terre. Dans les champs il y avait elle, moi et la rugosité de la nature. Nous étions deux femmes l’une en face de l’autre, l’une avec une caméra, l’autre avec la rage.
Anaïs s’en va-t-en guerre a été un très gros succès avec plus d’un million de vues, il a aussi fait naître des vocations. Que s’est-il passé à la sortie du film ?
Ça a été un joli succès. Au début quand le film est sorti sur TV Rennes personne ne connaissait la chaîne. Mais au bout d’une à deux semaines les vues ont augmenté. Rue 89 a fait un premier article, les autres médias ont suivi et on a dépassé le million de vues. C’était fou, tout le monde écrivait à Anaïs, on lui envoyait de l’argent. Il y avait des fans qui venaient dans son champ, on la reconnaissait dans la rue. Je me souviens aussi du gouvernement Hollande qui voulait qu’elle soit la porte-parole de la jeunesse mais aussi, dans le même temps, des fachos qui la voyaient comme la bonne petite Gauloise. Il y avait tellement de demandes que la production a fini par monter un crowdfunding pour l’aider à monter sa petite ferme, elle a recueilli près de 20 000 euros. Ce qui est beau c’est que des Anaïs, en France, il y en a beaucoup. Grâce à ce film, plein de jeunes femmes se sont mises à faire des tisanes. C’est une très jolie histoire.
Vous auriez pu vous arrêter là mais vous aviez envie de suivre Anaïs, de la voir grandir, de partager les étapes de sa vie, pourquoi ?
Pendant 10 ans je n’ai pas eu l’idée consciente de faire un film pour raconter la suite. Avec Anaïs, on est restées proches, notre amitié a grandi. On prenait soin l’une de l’autre. J’aimais la femme qu’elle devenait avec une maturité de plus en plus resserrée, une colère plus constructive... Lorsqu’elle m’a raconté son histoire d’amour avec Seydou, j’ai eu envie de la filmer à nouveau, de suivre le parcours d’une personne d’Afrique de l’Ouest. Je ne savais pas que c’était aussi absurde et humiliant. On était en pleine élection présidentielle, Zemmour était à chaque coin de rue et eux faisaient tout pour se retrouver malgré leurs différences. Et puis à travers Anaïs, j’avais envie de raconter quelque chose d’universel. On passe tous des rites de passage, il y a des moments charnières où on se rapproche de nous-mêmes. Désormais, si elle passe une étape fondatrice, je serai là. On est lancées. Il y a comme un mouvement que je dois suivre.
En attendant le troisième chapitre, quel serait le plus beau compliment sur votre film ?
Ça serait de me dire après la projection : “je vais faire attention à ma vie, je vais vivre ce que j’ai à vivre et non pas ce que la société me demande de vivre.” Ce film porte sur l’élan vital, il invite à ne pas se soumettre et ne pas laisser la peur rentrer. Et puis on y parle d’amour avec ses joies et difficultés. C’est toujours merveilleux de voir se construire un amour, n’est-ce pas ?
Anaïs 2 chapitres
- Réalisation : Marion Gervais
- Production : Squawk productions
- Diffusion : La 25e heure
- Sortie : 11 septembre 2024
- 144 minutes