Un monde à +2°C ou +4°C : les scénarios qui font froid (puis très chaud) dans le dos

Un monde à +2°C ou +4°C : les scénarios qui font froid (puis très chaud) dans le dos

Une planète à +2°C, ça donne quoi ? Et à +4°C ? Plongeon dans un monde où il va faire chaud, beaucoup trop chaud.
23 June 2023
par Vianney Louvet
7 minutes de lecture

Le 23 mai 2023, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, dévoilait la trajectoire d’adaptation de notre pays au réchauffement climatique. Objectif ? Se préparer à un quotidien à +4°C quand les Accords de Paris prévoyaient de ne pas dépasser les +2°C. Mais en fait, deux ou quatre degrés, ça change quoi ? À quoi ressemblerait notre monde et notre pays dans un cas ou dans l’autre ? 

Pourquoi les quatre degrés sont les stars de ces derniers jours ? Avant de nous lancer dans les calculs, rappelons quelques éléments de contexte pour comprendre ce soudain +4°C. En février dernier, le gouvernement a mis en place un comité pour préparer le troisième Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC3). Sa mission ? Réfléchir à notre capacité à nous adapter - et donc à survivre - à des augmentations de températures plus ou moins hautes selon les chemins que notre futur emprunte. Ce fameux plan renferme notamment le scénario “si-on-n’est-pas-capables-de-se-bouger-le-fion” qui correspond à 3 degrés de réchauffement mondial par rapport à l’ère préindustrielle (période comprise entre 1850 et 1900), soit… 4 degrés pour la France métropolitaine, qu’est-ce qu’on fait ?

Douce France mais pas trop

Attends, 3 degrés au niveau mondial = 4 degrés chez nous ? Et oui. C’est une info qui passe souvent à la trappe, et qui n’est pas une super nouvelle. Quand on parle de réchauffement de la planète, on fait une moyenne des eaux et des terres. Et comme les océans se réchauffent moins vite que les continents… T’as compris. Nous, la France, on va se réchauffer plus vite que la moyenne du monde. En 2022, la température moyenne sur toute notre petite planète était supérieure d’environ 1,15 °C (1,02 à 1,27 °C) à sa valeur préindustrielle ... et nous, en France, on était déjà à +1.7°C.  

Regarde l’illustration du GIEC qui montre les disparités géographiques de ces variations, ce sera tout de suite très clair, et très rouge. 

Deux petits degrés pour l'Homme, un grand glas pour l'humanité

“Arrête de pleurnicher pour un petit degré en plus”, te dira ton copain Pascal en te tapant sur le dos. On te propose de lui donner un seul exemple pour qu’il réalise à quel point la moindre virgule, le moindre dixième de degrés perdu ou gagné changera du tout au tout sa vie dans quelques années. Il y a trois millions d’années, on était à +3°C par rapport à notre ère préindustrielle. On a bien dit 3 degrés, par 30 hein. Et bien avec ces 3 petits degrés, le niveau de la mer était supérieur de vingt mètres à ce qu’il est aujourd’hui. Aujourd’hui tu augmentes ce niveau de 2 mètres et tu déplaces direct 200 millions de personnes. 

Et là, on te parle de périodes longues. Si on revient à nos deux scénarios, sache qu’un monde à +2°C, c’est 10 cm en plus d’élévation du niveau moyen de la mer d’ici à 2100, mais avec une trajectoire à + 4 °C de réchauffement en France, le Giec estime la montée du niveau marin à environ 80 cm d’ici la fin du siècle, grignotant une grande partie des littoraux français. Quasi 1 mètre en une dizaine d’années…

Pour le reste, c’est pas la fête non plus. Prévoir comment va fonctionner la machine Terre avec ce qu’on est en train de lui infliger est infiniment complexe. Il y a un paquet de paramètres, boucles de rétroactions, inconnues qu’on ignore encore. Malgré cela, les travaux scientifiques parviennent aujourd’hui à esquisser ce qui changerait.

L'eau, beaucoup trop ou pas assez 

Il y a ceux qui en manqueront : dans un monde à +2°C, le risque de sécheresse est multiplié par deux par rapport à 1990, par cinq à +3 degrés. Le Danube, le Mississippi, l'Amazone et le bassin Murray Darling verront leur débit baisser de 40 à 80%. Plus proche de chez nous, le sud de l’Europe ressemblera au Sahara. 

Et puis il y a celles et ceux qui la fuiront : les bassins soumis à un régime de mousson, tels que celui du Gange et du Nil, verront leurs débits augmenter jusqu'à 40%. Des forêts comme celle du bassin amazonien seront frappées par la désertification et par la disparition de milliers d’espèces qui ne résisteront pas au nouveau climat.

Comme avec les températures, les variations en fonction des différents coins du globe seront de plus en plus grandes…

L'eau version neige, bientôt un conte de fées 

On constate 9 % de perte en d’enneigement en France dans un scénario proche, c’est-à-dire de +2°C dans notre pays. Si on suit le scénario des 4°C, ce chiffre montera à 25 % et la totalité des glaciers français disparaîtront. 

“Oui bah on fera autre chose que du ski l’hiver”. Pascal, cher Pascal, il n’y a pas que les pistes rouge des Arcs qui seront impactées… Les conséquences sur l’agriculture en France seront énormes et ailleurs encore plus : la neige disparaîtra de la chaîne de l’Himalaya, ce qui modifiera le lit et le débit des cours d’eau dont dépendent plus de deux milliards de personnes. En Amérique, la fonte des neiges dans les Andes et les montagnes Rocheuses provoquera, entre autres, des pénuries chroniques d’eau dont souffriront là encore de nombreuses populations.

Une histoire à dormir debout 

En 2022, la France atteignait un record de 33 jours de canicule. À +4°C cela sera la norme, jusqu’à deux mois de canicule, et “40 à 50 nuits tropicales par an, 90 nuits dans les zones les plus exposées” nous dit Christophe Béchu. Plus la température et l’humidité augmenteront plus l’être humain aura du mal à survivre sur cette Terre. Survivre. Le wet bulb est un indice qui mesure la faculté de notre corps à se refroidir grâce à la sudation lors d'un temps chaud et humide. S’il est trop élevé… on meurt. C’est complètement fou de se dire qu’actuellement déjà, des régions passent dans la case “on ne peut plus y vivre”. Par exemple l'émirat de Ras el Khaïmah dans le Golfe Persique est mentionné par le rapport du Giec comme un endroit devenu invivable du fait d’un wet bulb trop élevé. Il y fait si chaud avec des taux d'humidité si élevés que les conditions de vie ne sont plus supportables pour le corps humain. A +4°C dans le monde, cette liste, déjà connue en partie, s’allongera considérablement, entraînant des millions de réfugiés climatiques. 

Le vivant restera-t-il en vie ?

En dehors des conséquences sur l’agriculture, c’est toute la biodiversité qui sera en jeu si on laisse s’échapper ces deux petits degrés. Même en respectant l’Accord de Paris, le réchauffement causera un déclin de 70 à 90% des récifs coralliens. Dans le second scénario, ils pourraient être amenés à disparaître. Rappelons que le corail n’est pas juste de magnifiques couleurs sur une carte postale. C’est à  la fois une source de revenus et de nourriture, mais aussi un rempart fondamental contre les phénomènes naturels violents tels que les cyclones, les typhons ou les ouragans.

Tenir les Accords de Paris

Plus on creuse la question, plus on voit que les 4°C en France, (3°C dans le monde) sont un enfer qu’on veut absolument éviter. La Banque Mondiale dit d’ailleurs : “nous n'avons aucune certitude qu'une adaptation à une planète +4°C est possible". Nous, on veut aller plus loin et se battre pour qu’on reste SOUS les 2°C. Parce que oui, un réchauffement global à +1,5°C ou +2°C ça change aussi du tout au tout, 3 exemples en vrac : 

  • À 2°C, c’est 59% de probabilité d’avoir chaque année une “canicule-2003” en Europe contre 42% à +1,5°C. 
  • À 2°C, ce sont 41 millions de personnes en plus exposées à des risques de pénurie d’eau contre 17 millions en plus  à +1,5°C
  • L’augmentation des feux de forêts par chez nous serait de 62% à + 2°C contre 41%  à +1,5°C

On te conseille vivement d’aller manipuler l’outil Interactive Carbon Brief pour constater tout ça par toi-même. 

"Il faut bien comprendre que se préparer à une France à +4 °C, ça n'a rien à voir avec la situation actuelle du pays”, a rappelé notre ministre tout vert gravement. Là-dessus on est complètement d’accord. Mais du coup il serait temps de s’activer parce que l’issue du match deux degrés - quatre degrés dépend largement de la mise en place ou non de politiques publiques radicales par les gouvernements actuels... 

Assez parlé de demain, faut s’y mettre maintenant, et sauver la beauté de ce qui nous reste. 

Pour se chauffer encore un peu plus