Quand la forêt des possibles se raconte

Quand la forêt des possibles se raconte

Ce sont des forêts urbaines participatives de petites tailles mais à haut potentiel de biodiversité, de végétalisation et de lien social. Bienvenue dans le monde des MiniBigForest.
16 April 2024
par Vianney Louvet
7 minutes de lecture

C’est l’histoire de quelques humains entourés d’arbres, ou de quelques arbres entourés d’humains. Une grande histoire colorée de multiples petites autres. L’histoire de l’association MiniBigForest. Avertissement : vous n’êtes pas à l’abri de passer un très bon moment.

L’anecdote du déclic

Au départ, il y a un couple formé par Stéphanie et Jim. Tous deux sont engagés dans leur métier, l’une est directrice artistique free lance, l’autre directeur d’une agence de communication. Et puis, comme dans tous récits, il y a un moment où arrive l’élément perturbateur, où la ligne droite devient liane. Cette fois, la perturbation sera bonne, presque magique.

Nous sommes en juin 2018, Stéphanie embarque son compagnon au festival “Aux arbres” à Nantes. Y participe notamment Francis Hallé, botaniste, biologiste et superstar des forêts primaires. Les conférences s'enchaînent, celle de ce cher Francis notamment, puis arrive un certain Shubhendu Sharma, un ingénieur indien qui s'est donné comme objectif de faire pousser des arbres dans les villes d’Inde, de revégétaliser des espaces urbains, de faire entrer la forêt là où l’on ne l’attend plus. Au bout de 10 minutes, Jim et Stéphanie sont figés, l’un comme l’autre. Quelque chose vient de se passer. Appelez ça comme vous le voulez : le grand déclic, le coup de foudre sur cette méthode, la visite impromptue de l’évidence dans deux parcours de vie… En tout cas, le mal, ou plutôt le bien, est fait : la suite de leur vie prendra les couleurs de cette méthode.

L’anecdote qui raconte le lancement de MiniBigForest

Et lorsque se termine le festival, l’état de grâce va-t-il se prolonger ? Oh que oui, l’intuition s’est enracinée, profondément. 

Mais là encore, un élément perturbe parfaitement le parcours de nos deux complices. Marcheurs aguerris, Jim et Stéphanie avaient prévu de partir en trek quelques semaines plus tard. Néanmoins, la clavicule de Jim n’est pas de cet avis. « La petite clé » en version latine se casse et offre à Jim, et donc à Stéphanie, l’occasion de tenter quelque chose. Aller se former à cette fameuse méthode. Transformer la contrainte en opportunité. L’élan est là. Et il est confirmé par la rencontre d’un certain Nicolas de Brabandère, fondateur d’Urban Forests. C’est lui qui va, depuis ses Ardennes belges, former deux personnes qui s’apprêtent à prendre un virage à beaucoup de degrés.

L’anecdote du rêve vers la réalité

C’est souvent la marche la plus compliquée lorsqu’on lance un projet. De la théorie à la pratique. Ce moment où le pain au levain qu’on imaginait parfaitement levé, doré à souhait se révèle tout autre à la sortie du four. Comment donc Jim et Stéphanie mettent le pied à l’étrier ? Comment passer de cette formation, de l’idée au réel, à l’application concrète ?

La réponse se trouve quelque part dans une abbaye. L’Abbaye de Villeneuve. Un projet de doublement de la voirie inquiète les riverains notamment pour le bruit que cela risque d'entraîner. Notre couple habitant dans les environs est abordé – hasard, encore ? – par des résidents et voisins qui leur proposent de planter des arbres pour limiter la nuisance sonore. Aussitôt dit, aussitôt boisé. Stéphanie et Jim ont trouvé leur projet pilote. Le terrain leur est ainsi mis à disposition par un ami dénommé Sylvain, leur première micro forêt va pouvoir sortir de terre.

L’anecdote qui raconte le déploiement

Tout est allé ensuite très vite et en même temps. On appelle ça l'entreprenariat, paraît-il. Une candidature acceptée à Open Lande, une fabrique de projets, une modélisation de l’association porteuse du projet, un crowdfunding pour financer la première micro forêt. Et là encore, la grande histoire est prolongée par la petite. Reprenez un peu de café, le récit ne fait que continuer.

Voici le décor de la scène. Soirée aux allures institutionnelles, saveur petits fours et cravates bien repassées (mais pas que) chez Open Lande. En guest star, la maire de Nantes. Les 6 projets incubés, dont celui de MiniBigForest, ont l’occasion de présenter leur démarche devant le gratin nantais. À la fin des présentations, la maire de Nantes se lève et déclare, micro en main : « je veux faire des choses avec vous ». Comprenez, MiniBigForest.

Notre couple planteur d’arbres ne s’emballe pas, la politique, c’est comme un ciel d’automne, c’est joli mais ça peut vite changer de couleur. Pas cette fois-ci. À la fin de réunion, c’est entourée d’une cohorte d’élus que la maire de Nantes propose à Jim et Stéphanie d’enclencher des projets et sans traîner. Ce sera donc à Nantes, une ville au passé horticole fort riche, que MiniBigForest va passer dans une nouvelle dimension. Tout un symbole.

L’anecdote d’une micro forêt

Dirigeons-nous vers le square Pilleux à Nantes. C’est là que vous pouvez aujourd’hui contempler un exemple de ce que crée MiniBigForest. Exemple, cas d’école, vitrine, un peu tout ça à la fois. Non seulement pour sa croissance et son développement incroyables mais aussi pour son intégration et ce qu’en a fait la ville. Cette dernière a notamment décidé d’accoler à la micro forêt un jardin participatif rendant ce lieu particulièrement riche de rencontres, de créations, d’émulations végétales et humaines. Une sorte de chirurgie esthétique - vraiment éthique - qui transforme une pelouse vierge en un bout d’Eden.

Aujourd’hui, il arrive à Stéphanie et Jim d’y faire un petit tour… Imaginez la joie d’observer les essences se défouler, imaginez le bonheur de découvrir des humains gambadant entre deux arbres, imaginez la fierté d’avoir permis à ce lieu d’être préservé de l’artificialisation dans des zones urbaines où le foncier est rare. La recolonisation par la Vie.

Les micros forêts se « créent », se plantent très vite. Du lancement d’un projet à son aboutissement, on compte rarement plus d’une année. Modulo la collectivité et les acteurs engagés dans l’histoire.  

L’anecdote politique

Un article de ce type est supposé se cantonner à … un seul article. Cependant si l’on devait décrire rigoureusement l’impact politique des micros forêts, « politique » au sens large d’animation de la vie de la cité, il faudrait probablement autant d’articles que de forêts. Et c’est justement cela qui est puissant.

Lorsque la dimension participative entre jeu, chaque histoire est nécessairement intimement liée au contexte, aux citoyens et citoyennes. Chaque récit de forêt est empreint de la communauté qui s’en occupe. Chaque forêt prend aussi la forme de ses référents, de ses bénévoles, de leur dynamique. Certains créent des rituels en forme de soupe chaude en pleine forêt, d’autres optent pour les apéros chaque samedi après désherbage. Si elles naissent dans des quartiers dits « sensibles », les forêts poussent plus vite que les a priori et les enfants jardiniers se transforment en garant de la protection de la nouvelle création forestière.

Ce qui est sûr c’est que le lien est quelque part, entre deux bols, entre deux verres, entre deux plants. On construit des écosystèmes végétaux mais aussi (et surtout) humains. La résilience ne se prépare pas que dans un seul domaine.

C’est donc une sorte de métaphore démocratique que cette association. Ses cofondateurs laissent chaque forêt leur échapper, avec beaucoup d’enthousiasme. Le collectif prendra le relais, ici et là. Redonner au citoyen un petit soupçon d’espoir, d’acte concret, d’impact collectif… un beau programme pour inspirer nos élus ?

L’anecdote qui aime les herbes folles

Ce qui est beau dans cette méthode, c’est que chaque forêt est un nouveau test, une nouvelle expérimentation. Quel impact si l’on ne désherbe pas ici ? Un retard de croissance de 50% par rapport à la partie désherbée mais le biotope, les insectes, eux, ils en pensent quoi ? Et chaque forêt est aussi un moyen de comprendre ce qui se passe sous nos pieds, d’évaluer la qualité du sol et des écosystèmes. Exemple frappant pour illustrer cette homogénéité des croissances au sein de chaque forêt :

  • Au square Pilleux : les plants sont passés de 20 centimètres à 2,5 m en 1 an pour certaines essences. Les chiffres sont les mêmes pour la police et les syndicats. Fou, non ? En apport : compost et fumier, rien de plus.
  • Non loin de là, à deux kilomètres, c’est à « Transfert » un lieu de spectacle éphémère de Rezé qu’un jardin-test est lancé dans un futur écoquartier. Cette fois-ci la forêt se développe beaucoup moins rapidement, 1 mètre de moins que sa petite sœur située à 2 km…

Les anecdotes de ceux qui s’engagent

Presque 60 micros forêts, plus de 6 000 personnes accompagnées. Les visages de petits êtres humains qui s’aventurent dans MiniBigForest sont nombreux. Plusieurs moyens de rejoindre cet univers aux graines multiples :

  • Soit vous imitez deux jeunes du nom de Stéphanie (une autre !) et Noémie, deux jeunes en pleine quête de sens qui ont contacté MiniBigForest et se sont lancées chez elles, en Aquitaine et Normandie. Leurs assos se développent avec cette même éthique, cette même déontologie, mais restent très libres de leur déploiement.
  • Soit, vous apportez vos talents, en comptabilité, en pédologie, en communication, en cuisson des cookies nougatine, et vous participez au comité de pilotage avec les responsables, les bénévoles. Grosse ambiance et discussions passionnantes garanties.
  • Soit vous faites ce que font la majeure partie des bénévoles : vous vous engagez sur des chantiers participatifs, vous mettez les mains dans la terre, vous croisez d’autres apprentis-planteurs, vous expérimentez la réalité d’un sol nu, d’un terrain vague qui devient, en quelques mois, une mini forêt luxuriante. Ces bénévoles sont autour de 800 actifs sur le terrain, avec une grande fidélité, et des anecdotes plein la pelle. Il y a Sophie, hôtesse de l’air, qui entre ses missions donne un coup de main dès qu’elle le peut. Il y a Madame Cormier, ça ne s’invente pas, centenaire, qui était là pour planter au milieu d’autres, encore récemment. 

La méthode Miyawaki

Qu’est-ce que la Méthode Miyawaki qui sous-tend toute l’approche de Jim et Stéphanie ?

Miyawaki est docteur, botaniste japonais expert en écologie végétale “spécialiste des graines et de l’étude de la naturalité des forêts” lit-on en ligne. Décédé en 2021, il s’est d’abord formé en Allemagne à la phytosociologie. Son idée fixe, appliquée au Japon : remettre en cohérence les cortèges végétaux forestiers de la forêt japonaise fortement impactée par l’homme et le productivisme. Face au constat de l'anthropisation de son pays, la question de travailler dans la ville, dans le tissu urbain en imitant la forêt naturelle a fait son chemin. Il s'est donc servi de sa méthode de régénération d'écosystèmes forestiers à grande échelle comme base pour reconstituer des cortèges végétaux urbains cohérents.

Ce qui a, en plus de la partie scientifique, séduit Jim et Stéphanie, c’est la philosophie qui la sous-tend. Planter, oui, mais surtout planter pour aller de soi vers l’autre. Dans cette méthode, on plante à partir de nous-mêmes pour ensuite élargir le cercle à ses proches, puis sa communauté (tout aussi locale que les essences, donc), dans une dimension très humaniste.