Parce que le respect des libertés n’est pas un concept soluble dans l’âge, deux sœurs Sylvana Discour et Sabrina Albayrak ont imaginé Arbitryum, une solution digitale et sociale pour accompagner les Ehpad sur la mesure du respect des libertés et l’amélioration de la qualité de vie des résident·es.
Quand Sylvana nous dépeint la scène, non seulement on l’imagine très bien mais elle en plus elle nous serre le cœur. « Quand on était petites, on habitait au-dessus de la maison de retraite de Saint-Maur où travaillait notre mère. On y passait très souvent. Un jour, alors que nous nous baladions dans les couloirs, nous avons vu une résidente postée dans un coin qui réclamait un morceau de pain. Elle était là, seule, personne ne lui prêtait attention. Ce jour-là ma sœur Sabrina s’est dit qu’elle ferait tout pour changer la qualité de vie des personnes âgées et des professionnel·les du grand âge. »
Si la scène du morceau de pain est tristement réelle, celles des digicodes installés aux portes sans donner les codes aux résidents, des horaires de soin imposés, de l’absence de lits doubles pour les couples, de non respect de l’intimité… le sont aussi, venant grossir les rangs d’entraves au libre choix des personnes âgées. Et c’est bien de cela dont elles souffrent le plus dans les établissements de fin de vie. C’est ce qu’a mis en lumière la thèse en santé publique de Sabrina “Respect du droit aux choix et aux risques des personnes âgées en institution : impacts sur la perception de la qualité de vie des résidents”. « Les personnes âgées ont placé comme critère numéro un de leur qualité de vie, le libre choix, » explique Sylvana. En d’autres termes, aller et venir quand bon leur semble, boire du vin à table, faire du vélo, ne pas se voir imposer de protections urinaires quand elles peuvent aller aux toilettes…
Libres jusqu’au bout de la vie
Prendre conscience du problème et le rendre public, c’est bien, accompagner les Ehpad à améliorer la qualité de vie de leurs résident·es c’est encore mieux. Aussi, après avoir rendu sa thèse à Paris-Saclay, Sabrina a d’abord créé un outil en version papier pour permettre aux établissements d’analyser et d’améliorer la qualité de vie de leurs résident·es. Fait suffisamment rare pour être souligné, l’outil a été intégralement co-construit avec les différentes parties prenantes : les personnes âgées résidant en institution d’hébergement, leurs aidants-proches et des professionnel·les du secteur sanitaire et médico-social pour qu’il corresponde au mieux aux besoins et contraintes rencontrés sur les différents terrains d’enquête. Mais avec 10 000 Ehpad en France, la version papier a vite connu ses limites et c’est là que sont arrivés Stéphane Garagnani, ingénieur de l’école des Mines, développeur passionné et Sylvana qui, après 8 ans dans l’import-export avait bien envie de se lancer dans un aventure entrepreneuriale à impact. « En créant Arbitryum en 2018, l’idée était de faire rayonner les enseignements et les outils de la thèse de Sabrina et de créer les outils numériques pour qu’elle puisse servir le plus grand nombre d’établissements, » explique Sylvana. Des centaines de lignes de code plus tard, une incubation en 2020 chez 21 La Croix rouge pour tester l’outil, 12 mois d’accompagnement en cours dans l’incubateur de makesense et voilà l’outil prêt à être déployé dans les 43 Ehpad de la Croix rouge, 3 dans le Val d’Oise et dans 73 établissements du département de la Manche.
L'équipe Arbitryum au complet : de gauche à droite : Sylvana Discour, Sabrina Albayrak et Stéphane Garagnani
La plateforme qui change la vie
Bien loin de Trip advisor ou de la Fourchette qui consistent à donner des notes, Arbitryum propose une approche en trois temps avec trois types de forfaits de 420 à 900 euros par an. D’abord mesurer la qualité de vie grâce à un diagnostic. Des questionnaires numériques sont remis à chacun des acteurs (professionnel·les, résident·es et aidant·es) et analysés grâce à un algorithme maison qui permet de pointer les points de vigilance et d’amélioration. Une fois la situation posée, Arbitryum suggère des actions concrètes et pertinentes à mettre en place en fonction des résultats obtenus et des contraintes de l’établissement. Parmi les idées : créer une charte des libertés, mettre en place des groupes de parole sur l’intimité, inclure les résident·es dans la définition des menus, mieux communiquer sur celles et ceux qui partent… Enfin, dans une logique d’amélioration, la jeune entreprise mesure quelques mois plus tard l’impact des actions mises en place. « On n’est pas du tout dans une logique de sanction, témoigne Silvana mais au contraire de progression, notre but est d’améliorer la qualité des fins de vie. » La jeune femme rappelle d’ailleurs qu’il se passe plein de choses magnifiques dans les Ehpad. En Bretagne, la directrice d’un établissement a remis un trombinoscope de ses résidentes aux habitantes du quartier et aboli le digicode « comme ça si une personne se perd, il y a toujours un·e voisin·e pour la ramener ». Elle organise des soirées dansantes jusqu’à 3 heures du matin et des ateliers culinaires où l’on déguste collectivement ce qui a été produit. Dans cet Ehpad, vous ne trouverez jamais personne qui réclame un morceau de pain dans son coin…