« Sois jeune et tais-toi »? Pas question pour la journaliste Salomé Saqué qui a sorti un livre éponyme il y a quelques mois, gros succès de librairie. Rencontre à la table d’un café entre deux émissions pour comprendre ce qui fait vibrer et flipper la jeunesse.
Il est des phrases qui ont l’art de faire déborder le vase de la tolérance. Quand un automobiliste insulte un cycliste alors qu’il vient de percuter son vélo, quand un industriel vante éhontément la non dangerosité de son produit épinglé par les scientifiques ou lorsqu’un actionnaire Total assène un « connasse, crève et fais pas chier » à une jeune militante pour le climat. Pour Salomé Saqué, cette altercation le 25 mai 2022 devant l’assemblée générale du groupe pétrolier qu’elle décrit dès la première page de son livre a été sa goutte d’eau, celle qui l’a poussée à terminer cet essai qui lui tenait à cœur depuis quelque temps déjà. L’objectif de son opus “Sois-jeune et tais-toi” publié aux éditions Payot le 15 mars dernier ? Faire changer les regards sur la jeunesse qui souffre, qui appelle à l’aide et qu’on n’entend pas.
Droit de réponse
« J’ai le sentiment de ne pas être écoutée depuis l’adolescence, » confie la journaliste qui officie désormais pour Blast, France 5 et Franceinfo mais qui se voit régulièrement renvoyée dans la cour de celles et ceux qui n’ont pas l’âge de comprendre. « Sur les plateaux TV ou dans la vie, on disqualifie sans arrêt mon discours en disant que je « ne dirai plus la même choses dans quelques années » manière de nimber mes convictions de cette « naïveté fougueuse » que l’on prête à la jeunesse. Cette jeunesse à laquelle on m’assigne comme si c’était une tare ! »
Être jeune et avoir des idées à défendre, voilà ce qui caractérise l’Ardéchoise qui a grandi dans le seul département sans train, autoroute ni gare de voyageurs de France avant de prendre le chemin des études à Lyon, Madrid ou Paris. Une vie rurale qui ne l’a pas empêchée d’être très tôt concernée par les enjeux de société. « Je fréquentais Amnesty international en Ardèche, j’étais la plus jeune, j’allais souvent à des rencontres. » Pour Noël, la passionnée de journalisme commande les DVD des prix Albert Londres. « J’étais déjà piquée ». En classe, elle est quasi systématiquement déléguée. Dans les repas de famille, elle a toujours un truc à dire ou à redire. Sur la porte de sa chambre, elle affiche des slogans féministes à la peinture rouge. « J’étais très excitée et comme je faisais du théâtre, j’avais tendance à prendre beaucoup la parole, ce n’était pas toujours bien vu. » À l’époque, on lui dit que cette fougue inhérente à la jeunesse passera. Elle ne passera pas.
On n’est pas sérieux quand on a 27 ans ?
Aujourd’hui, Salomé a 27 ans, enregistre 147 000 followers sur Instagram et 182 000 sur Twitter et compte bien alerter sur l’état de la jeunesse qui depuis quelques années essuie trop de tempêtes pour pouvoir rêver l’avenir. Pour son ouvrage, elle a récolté une centaine de témoignages de jeunes de 18 à 29 ans qui viennent donner du corps et de la chair à ses analyses qu’elle source plutôt deux fois qu’une. Au cours des 320 pages, la journaliste reprend les principaux poncifs sur la jeunesse et les démonte un à un. Non, les jeunes ne sont pas paresseux, le marché de l’emploi stable semble « juste » ne pas avoir été pensé pour eux. « Le taux d’emploi précaire des 15-24 ans, est passé de 17,3% à 52,6% entre 1982 et 2020, » peut-on lire en page 49. Et à celles et ceux qui s’amuseraient à arguer que les jeunes se complaisent dans la possibilité de changer régulièrement d’emploi et de projet de vie, Salomé répond sans ambage : « cette inconstance, ils la subissent et c’est loin d’être une partie de plaisir puisqu’elle est souvent l’antichambre de la précarité. »
« Le véritable drame c’est que les jeunes ne lisent plus », voilà une autre sentence que les vingtenaires ont forcément entendue mille fois et qui sous-entend que jeunes = incultes. Là encore, Salomé remet les pendules à l’heure. « 81% des jeunes affirment ne pas pouvoir être heureux sans livre selon l’enquête Génération What ? » Et de rappeler qu’il n’y a pas que les livres papiers, que les ventes de livres audio augmentent de 27% par an, que les réseaux sociaux sont de grands pourvoyeurs de contenus… « Ceux qui se lamentent bruyamment face à ces jeunes qui ne lisent plus semblent plutôt avoir du mal à digérer que les jeunes ne lisent pas la même chose qu’eux, et qu’ils aient l’audace d’utiliser la multitude de supports dont ils disposent, » rétorque-t-elle page 187. Et toc.
Malgré tout, Salomé ne s’imagine pas vivre à une autre époque. « J’ai trop les codes. En termes de droits des femmes, je suis heureuse d’être en 2023. En termes d’écologie, j’aurais aimé grandir il y a 100 ans pour connaître l’agriculture non industrielle et toute cette biodiversité. Ça devait être fou. » ©Clémentine Schneidermann
Génération sacrifiée ?
Dans son essai, la journaliste à la natte portée sur le côté à la Greta Thunberg s’attarde longuement sur la période covid qui a fragilisé durablement sa génération. « Ce n’est pas pareil d’être confiné à 20 ans qu’à 70 ans, rappelle celle qui en avait 24 au printemps 2020. Je sortais des études, j’étais pigiste, il n’y avait rien pour nous. On était les grands oubliés. Les jeunes sont les parfaits boucs émissaires en tant de crises. Il n’y a qu’à voir comment ont été surmédiatisées les fêtes clandestines. » Résultat ? Aujourd’hui un jeune sur 5 présente des troubles psychologiques selon une dernière étude de Santé Publique France. « Sur le plan moral, on aurait dû prendre la mesure de ce que cette période a coûté aux jeunes. On ne les a pas remerciés d’avoir sacrifié une partie de leur vie pour préserver les plus âgés. Les anniversaires non fêtés, ça ne se rattrape pas, ce sont des moments volés. Il y a aujourd’hui chez les jeunes une forme d’amertume et de frustration. »
« Hier, les jeunes pensaient qu’ils allaient mieux vivre que leurs parents. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. »
Au cours des 15 chapitres du livre, Salomé Saqué aborde également les questions du recul démocratique, de la mutation anxiogène de l’information, du vote, des formes d’engagement citoyen, du travail et du sujet qui lui remue le plus les tripes : la crise climatique. Éco-consciente donc éco-anxieuse, la jeune femme exige plus de soutien, de compréhension et de compassion des anciens pour sa génération (et les suivantes) qui va devoir vivre avec les catastrophes annoncées. Page 164, elle reprend les propos de la psychologue Caroline Hickman : « l’inaction politique face au changement climatique est une blessure morale infligée aux jeunes».
Sourire pour des idées
Cette véritable bombe à retardement l’empêche aujourd’hui d’envisager avoir des enfants et de se projeter dans l’avenir « j’ai du mal à m’imaginer vieillir sur cette planète, je n’y pense pas trop ça m’angoisse ». L’immobilisme climatique lui vole aussi une partie de son insouciance et lui donne souvent cet air sombre et intransigeant. Trop sérieuse Salomé ? Les climato-sceptiques le pensent certainement. En 2021, alors qu’elle alertait sur le changement climatique en cours dans l'émission « 28 Minutes » d’Arte, les invités gloussaient et lui reprochaient de casser l’ambiance. Mais comment peut-on rire quand le monde s’effondre ? À quoi bon esquisser un sourire quand le cœur n’y est pas ?
« À la télé, on m’a dit, dès mes débuts, que j’avais l’air trop sérieuse ou contrariée sur les plans de coupe face à certaines personnalités, que je devais sourire plus et me détendre, écrit Salomé sur l’un de ces derniers posts Instagram. (…) Récemment j’ai décidé de cesser de faire semblant que tout ceci ne nous affectait pas collectivement. J’ai accepté d’évoquer un peu de tout ça dans mon livre parce que je ne vois pas comment on pourrait parler de ces sujets sans être touchée d’une manière ou d’une autre. Je suis simplement journaliste, je ne suis pas une machine. »
Journaliste, jeune, profondément, humaine, Salomé souhaite en réalité faire passer un message simple aujourd’hui. Entre les lignes de son ouvrage qui figure déjà en tête des essais du moment, elle demande aux anciens d’avoir plus d’empathie envers la jeune génération, qu’ils apprennent à la regarder, la comprendre. Qu’ils se mettent à l’aider et à l’aimer. « C’est en réalité un manuel de dialogue intergénérationnel pour que les plus jeunes aient des arguments à présenter à leurs parents et que les plus vieux prennent conscience des difficultés que nous traversons. Cet ouvrage n’est ni une critique acide des « boomers » ni une typologie morale douteuse des générations. C’est un appel à l’aide, une main tendue à destination de nos aînés. » Et de conclure : « dans le pire des cas, mon livre donnera des arguments aux jeunes pour parler aux anciens, dans le meilleur, il les fera changer d’attitude. »