Maslow - Prouver qu’on peut mieux faire sans sacrifier son chiffre d’affaires

Maslow - Prouver qu’on peut mieux faire sans sacrifier son chiffre d’affaires

Avec Julia Chican Vernin, cofondatrice de Maslow.
24 July 2025
par Paloma Baumgartner
6 minutes de lecture

Maslow est un groupe de restauration engagé, spécialisé dans une cuisine 100% végétarienne. Avec une démarche responsable fondée sur l’utilisation de produits locaux et biosourcés, Maslow réinvente les codes de la restauration traditionnelle. Son offre, à la fois gourmande et accessible, reflète un positionnement fort : allier exigence environnementale et expérience culinaire moderne.

Les bons comptes font les bonnes assiettes

Depuis 20 ans, Julia explore les coulisses de la restauration, avec un regard affûté sur ses pratiques et ses évolutions.

Elle débute sa carrière au sein d’une grande franchise française, à une époque où la majorité des établissements s’approvisionnent auprès de grossistes proposant une offre standardisée, souvent ultra-transformée. Les préoccupations environnementales ou sanitaires sont alors quasi absentes des débats : seul le goût du client prévaut.

En 2012, Julia amorce un tournant décisif dans sa carrière comme dans sa vision du métier.

Elle rejoint une jeune entreprise de livraison de repas à cuisiner, misant sur une carte 50 % végétarienne, 100 % fait maison, sans additifs. L’approche est engagée, ambitieuse, résolument tournée vers une alimentation plus responsable. Mais l’aventure prend une autre tournure : la startup est rachetée par un grand groupe industriel. Rapidement, les logiques économiques classiques reprennent le dessus. Le compte de résultat l’emporte sur les engagements initiaux.

C’est à ce moment-là qu’une conviction naît : la performance économique ne devrait jamais se faire au détriment de la qualité, de la sobriété ou de l’impact. Julia est persuadée qu’un autre modèle est possible. Avec ses deux associés, elle pose les bases d’une restauration à la fois exigeante, engagée et rentable. Faire mieux, avec moins.

En 2023, ils ouvrent leur premier restaurant sous le nom de Maslow. Le succès est immédiat : une carte biosourcée, sans étiquette végétarienne mais 100% végé, qui séduit un public large. 80% des clients ne sont pas végétariens. En 2025, Maslow est devenu un petit groupe en pleine expansion : 3 restaurants, un speakeasy (café caché), 130 collaborateurs, et des bénéfices réinvestis au service du projet.

Comment on fait ?

Avec Maslow, Julia et ses associés veulent casser les codes de la restauration. Pour décoder, il faut passer en revue, ligne par ligne, le fonctionnement d’un restaurant. Fichier excel ouvert, ils ont tout étudié, de l’approvisionnement jusqu’à la gestion des déchets en passant par la communication et le recrutement. Une ligne équivaut à 1 activité, 1 charge de travail, 1 coût et 1 impact carbone. Comment tout réduire ?

  1. Avoir un menu 100% végétarien. Cela réduit de 80% l’impact carbone de la carte. Le sourcing est local (pas d’avocat ni de mangue), issu d’agriculture biologique, préférablement régénérative, et aucun additif n’est toléré. 90% des boissons softs sont faites maison.
  2. La circularité se fait à tous les niveaux. C’est le même camion de livraison qui repart avec le compost de la journée, reversé directement aux agriculteurs. Les épluchures et le pain de la veille sont réutilisés en cuisine ou derrière le bar. Un biscuit non mangé peut être infusé en bissap, qui lui même peut devenir une eau, qui sera elle-même transformée en poudre aromatique.
  3. Les produits de ménage, de nettoyage, sont tous éco-conçus et proviennent de fournisseurs fiables.
  4. Tout est 100% électrique. Le matériel est plus couteux à l’achat, mais il s’use moins et consomme moins.
  5. Tout ce qui n’est pas utile est coupé. La dosette individuelle avec le café est proscrite, c’est le sucrier qui passera de table en table.

Chez Maslow, chaque ligne du modèle économique a été repensée à l’aune de la responsabilité.

Le résultat est sans appel : un bilan carbone divisé par 4 à 5 pour chaque repas, et une structure de coûts optimisée. En réduisant les achats de viande et de poisson — jusqu’à 10 % d’économie sur le coût matière — l’entreprise peut réallouer ses ressources vers des produits bio, locaux, et de saison.

Le gaspillage est revalorisé : ce qui était autrefois jeté devient une ressource pour le lendemain. Cette rigueur permet aussi de mieux rémunérer les équipes, et d’investir intelligemment dans la marque et la communication. Moins d’euros = plus de réflexion.

Maslow atteint la rentabilité avec une proposition de valeur ambitieuse : une cuisine 100% végétarienne, créative et soignée, au niveau des restaurants les plus tendance à des prix équivalents. Sans jamais adopter un ton militant ou pédagogique, le groupe démontre par l’exemple qu’une restauration responsable peut être à la fois désirable, rentable, et scalable.

Améliorer les assiettes et le port du tablier

Ligne par ligne, ça veut aussi dire salaire par salaire. Quitte à casser les codes, autant aller au bout. La restauration est réputée pour la pénibilité de ses métiers, les rémunérations souvent basses et les contrats précaires. Maslow a repensé chaque aspect du métier pour voir ce qui pouvait être changé sur trois axes : le temps, l’argent et la qualité de vie au travail. Pas facile dans un secteur où les horaires sont très étendus et où les attentes des salariés varies en fonction des contraintes de chacun.

Chez Maslow, l’engagement envers les équipes est aussi structuré que le modèle économique.

Chaque décision en matière de conditions de travail repose sur un principe simple : respecter les réalités du terrain tout en offrant un cadre durable et motivant.

Temps de travail : les salarié·es sont rémunéré·es au temps effectivement passé en cuisine ou en salle — pas à la journée. La semaine de 4 jours a été testée ; elle reste une option là où elle est adaptée, en toute transparence. L’organisation s’ajuste en fonction des métiers et des préférences, dans une logique d’équité.

Rémunération : les pourboires sont répartis équitablement entre tous les membres de l’équipe, y compris les postes les moins visibles comme la plonge. L’esprit d’équipe se traduit aussi dans le partage des résultats : on gagne ensemble, on avance ensemble.

Qualité de vie au travail : le groupe prend à bras-le-corps les enjeux physiques et mentaux du métier.

  • Séances d’ostéopathie gratuites
  • Primes de naissance
  • Activités sportives financées
  • Entretien mensuel dédié au bien-être personnel
  • Accès à des formations pratiques : gestion, financement, fond de commerce, management, etc.

Autant d’initiatives qui permettent à chacun·e de grandir dans son poste, au-delà des tâches du quotidien.

La vision portée par Maslow, centrée sur la qualité de vie, l’impact et la valorisation des métiers, attire des profils engagés et fidélise les équipes sur le moyen terme.

Seul défi encore en cours : le turnover, inévitable dans la restauration. Après quelques années, beaucoup de serveurs ou cuisiniers ressentent le besoin de changer d’air, un phénomène bien connu du secteur. Mais l’extension progressive du groupe ouvre de nouvelles perspectives : demain, partir ne signifiera peut-être plus quitter Maslow, mais simplement changer de lieu, de rôle ou d’environnement… Maslow en discute d’ailleurs régulièrement avec d’autres acteurs de la restauration pour proposer ensemble des conditions de travail harmonisées (grille de salaire, etc.) et tirer le secteur vers le haut.

Les conseils de Julia à l’entrepreneur·se en devenir :

  • Il faut acquérir l’expérience avant de se lancer. La restauration nécessite beaucoup de réflexes et une certaine intelligence de situation dans la gestion terrain. Il faut aller voir les choses au-delà des études de cas. Démarrer en tant que serveur puis monter, comprendre toute la chaîne.
  • Dans l’entrepreneuriat, et dans ce cas précis en restauration, la charge de travail est énorme et inévitable. Les clients ont des injonctions tout le temps, il faut réagir instantanément. C’est difficile à prévoir, il faut donc être armé·e. Sinon on n’ouvre jamais de second restaurant, on se crame.
  • Lever des fonds pour acheter du confort au début. Il faut pouvoir se payer, déléguer un peu. Tout seul et sans argent, c’est presque impossible de lancer un 2ème resto. Je conseille même de lever un peu plus que nécessaire. Il vaut mieux viser large, les aléas, il y en aura plein.

Pour aller plus loin

  • L’association Pour une agriculture du vivant, un think thank en permanence infusé par les problématiques actuelles.
  • Ecotable, le label de la restauration responsable, qui est un très bon garde-fou pour s’auto imposer des règles strictes.
  • Mickael Polan sur l’agriculture vertueuse et la restauration
  • Le podcast “Business of bouffe” de Philippe B. avec des interviews de grands chefs en rentrant dans le modèle financier, leurs galères etc. Ça permet d’aller prendre de l’expérience via leurs histoires.