Les maisons de retraite Frontignan, ce sont bien plus que des EHPADs, ce sont des tiers-lieu à part entière. On y trouve notamment Génération MDR un café solidaire, co-construit par ses résidents et ancré dans la vie de quartier.
Génération MDR
Un EHPAD, dans l’imaginaire collectif, évoque souvent l’isolement, la médicalisation, un lieu figé. À Frontignan, la maison de retraite portée par Lionel Wilziu tente de bousculer cette image. Ici, les besoins et les envies des résident·es sont au cœur du projet : l’objectif est de construire un lieu de vie à leur image, vivant, dynamique, sans rien céder à la qualité des soins apportés, similaires à ceux d’un EHPAD classique.
Tout est parti d’une demande formulée par les résident·es eux-mêmes : créer davantage de moments intergénérationnels. Leur première idée ? Installer un baby-foot. Ce désir de lien a fait émerger chez Lionel Wilziu une réflexion plus large sur le potentiel d’un EHPAD à devenir un véritable tiers-lieu. Et si ces structures, souvent à l’écart, devenaient des espaces pleinement ouverts sur leur quartier, intégrés à la vie locale ?
C’est ainsi qu’est né le café solidaire Génération MDR, fruit d’un processus de co-conception avec les résident·es et les partenaires locaux. Pour Lionel Wilziu, vivre en EHPAD ne devrait pas signifier sortir du monde, mais continuer à en faire partie, activement.
Première étape vers ce changement de modèle : embarquer d’autres acteurs dans l’aventure. Un appel à projets est lancé avec le soutien de la CCAS de la commune, et des associations comme les Petits Frères des Pauvres rejoignent l’initiative. Un, deux… tiers-lieu !
Comment on fait ?
Pour transformer une maison de retraite en un lieu de vie ouvert sur le quartier, il faut embarquer les résident·es, les partenaires, les financeurs et les soignants. Sinon, un tiers-lieu sans tiers, c’est juste un endroit.
Pour embarquer les résident·es, des réunions mensuelles ont été organisées par les animatrices afin de collecter les envies et les retours des principaux concernés. Une fois par mois, un·e référent·e est invité·e à parler dans le comité de pilotage, cette prise de parole tournante permet à une grande partie des résidents de s’exprimer. Ils et elles sont impliqué·es dans les décisions importantes ou minimes, que ce soit pour trouver un nom au café ou choisir la couleur du mobilier.
Mais comment mobiliser des partenaires autour d’un tiers-lieu aussi atypique ? À Frontignan, l’équipe du café solidaire Génération MDR a commencé par aller chercher des professionnels du monde culturel ou sportif, invités à animer des ateliers et formations. L’idée : attirer un public varié et favoriser les rencontres intergénérationnelles. Parmi les intervenants phares, un ancien champion du monde d’arts martiaux dispense des cours ouverts à tous, résidents comme habitants du quartier.
Le café s’est également tourné vers des associations locales. Un centre de loisirs vient chaque mercredi avec ses enfants, pendant qu’une autre association – regroupant des familles d’enfants autistes – organise des karaokés endiablés avec les résident·es. Quels que soient l’âge, le handicap, les vocalises, tout le monde participe et un vrai lien se tisse.
Dans la continuité de son ouverture sur le territoire, le café solidaire s’est rapproché du service culturel de la ville pour intégrer sa programmation officielle. Une manière de faire reconnaître Génération MDR non seulement comme un lieu de rencontre, mais aussi comme une véritable vitrine du « bien vieillir ». Régulièrement, des collégiens y viennent pour rencontrer les artistes partenaires et les interviewer, créant ainsi de nouveaux ponts entre les générations.
Avec une programmation aussi variée se pose la question du rôle des soignants. Sont-ils embarqués dans cette vie d’EHPAD peu ordinaire ? Lionel est catégorique. Le travail des soignants est d’accompagner les résident·es. À partir du moment où celui-ci choisit cette maison pour l’inclusion, l’ouverture et l’animation, le soignant doit adhérer aux mêmes valeurs (libre à lui ou elle de partir sinon). Cette pluridisciplinarité se retrouve aussi dans le parcours du soignant, qui est lui-même formé à de nouvelles compétences. Communication Non-Violente, santé mentale et soin de soi, le sens au travail vient aussi de ces temps d’apprentissage. Une bonne base sur laquelle on peut construire de vraies solutions et modes de vie transformateurs, pérennes, robustes.
Et quel porte-monnaie finance tout ça ?
Le financement d’un tel modèle doit nécessairement être pensé différemment. Il y a toute une animation et programmation culturelle à assurer, en plus du lieu et du service. L’EHPAD est donc allé diversifier ses revenus au-delà des frais d’hébergements traditionnels. La CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie) subventionne une partie des investissements liés à l’ouverture du café. Des services civiques sont recrutés pour faire les courses avec les résidents. Il y a aussi une part non négligeable d’auto-financement, avec des ventes organisées 1 fois par trimestre au marché de Noël, aux évènements de la ville. La maison de retraite a également investi du temps dans la communication, pour être visible tout en ciblant une population ciblée, attirée par l’ouverture et le lien social. L’EHPAD est passé sur Brut, France 3 ou encore la chaîne local TV Occitanie.
Adopter une démarche de tiers-lieu, c’est penser global : activités, parties prenantes, aménagement des espaces... tout doit être envisagé de manière holistique. Les objectifs, eux, doivent être définis avec précision pour rester atteignables. Au café solidaire Génération MDR, cette exigence s’accompagne d’un engagement fort : le lieu est mis à disposition gratuitement pour les partenaires, à condition que les résident·es puissent participer aux activités proposées.
En guise de mot de la fin, un appel lancé par l’équipe : “Continuons d'hybrider nos structures avec une vraie vie à l'intérieur. Et n'ayez pas peur, ça se fait tout facilement et surtout ça redonne de la dynamique et un vrai accompagnement."
Les conseils de Lionel à l’entrepreneur·se en devenir :
- Dans un groupe, chaque compétence peut s’exprimer. Quand on a la chance de remarquer ces expertises, il faut les utiliser et les faire progresser, que ce soit dans le domaine de la décoration, de l’animation, de la santé mentale, etc.
- Laisser place au lâcher-prise. 2 à 3 fois par an, le lieu est privatisé pour les équipes afin de les réunir lors d’une soirée musicale avec DJ et apéro dinatoire. Chez Frontignan, il y a près de 250 collaborateur·rices et plus de la moitié sont présents.
- Garder le rythme, sans aller trop vite, au risque de devoir aborder une stratégie purement commerciale. Quand on est dans une ambition locale de solidarité, il faut aussi accepter d’aller moins vite.