Quelles sont les valeurs qui définissent l’entrepreneuriat à impact ? Alizée Lozac’hmeur, co-fondatrice de makesense revient sur son parcours et ses idées qui, au fil des années, ont évolué.
Il y a 10 ans, Alizée Lozac’hmeur, formée en entrepreneuriat, sortait tout juste de HEC et rêvait d’innovation sociale. Quelques expériences professionnelles et un voyage de 7 heures plus tard (en voiture avec Léa Zaslavsky - autre co-fondatrice de makesense - pour aller à un sensecamp à Londres, un genre de festival de l’entrepreneuriat social), elle lance en 2014 chez makesense le premier programme d'incubation. "On voulait relier le monde de la tech et de l’impact et démontrer le formidable potentiel de cette nouvelle économie.” Aujourd’hui, plus de 8000 entrepreneurs ont été accompagnés par makesense parmi lesquels des gros calibres comme Too good to go, RogerVoice, K-Ryole…
Doit-on parler d’entrepreneuriat social, d’entrepreneuriat à impact ? Pour Alizée, il n’y a pas de véritables différences entre ces deux appellations. “C’est juste une question marketing. Pour le grand public la notion de social renvoie souvent au problème du sans-abrisme et non aux enjeux de société dans leur globalité. Or c’est bien là tout l’intérêt de l’entrepreneuriat social : créer une activité économique pour contribuer à améliorer la société et répondre à des problématiques sociales et environnementales de toutes sortes. En fait, les entrepreneurs sociaux sont des acteurs qui apportent une plus value à l’humanité et à l’environnement sans détruire de la valeur ou des capitaux.”
Si ces notions étaient relativement nouvelles il y a dix ans, elles semblent infuser l’ensemble de l’économie aujourd’hui. “Il y a de plus en plus de gens qui s’intéressent à ce sujet, on rencontre des profils de plus en plus expérimentés et diversifiés. Le marché a aussi changé, les consommateurs sont de plus en plus en demande de produits socialement et environnementalement responsables. Le risque aujourd’hui est que l’entrepreneuriat social devienne le new cool, soit récupéré et galvaudé. C’est pourquoi il est important que les acteurs pionniers défendent leur territoire et leurs valeurs et s’attaquent aux vraies racines du capitalisme. Si aujourd’hui on ne partage ni la valeur ni la gouvernance on ne touche pas au cœur du système, si on ne passe pas de la maximisation de la valeur pour les actionnaires à la maximisation de la valeur sociale et environnementale pour la société, alors on n’a rien changé. C’est cela que l’on doit affirmer aujourd’hui.”
Les dirigeants qui sont incapables de prendre des décisions sur le climat. Je n’arrive pas à comprendre ce qui se passe dans leur tête.
Lorsqu’elle regarde dans le rétroviseur, Alizée se réjouit que l’entrepreneuriat social ait pu être le lab de l’économie de demain et montrer qu’une autre voie était possible. Mais pour la militante, l’entrepreneuriat social n’est pas encore assez radical dans le sens où il peine à questionner les vraies racines du problème. “Le secteur reste réservé aux sphères blanches et CSP+, tout le monde n’ayant pas la possibilité ni l’espace mental de s'intéresser à ça. Par ailleurs, sur le terrain politique, tout ce qu’on essaie de pousser est toujours un peu récupéré et édulcoré. On ne constitue pas encore assez une force pour jouer sur le rôle des réglementations et peser face au Medef mais on y travaille.”
Aujourd’hui, si Alizée avait une baguette magique, elle appuierait sur la pédale de frein. “Le monde est en crise de croissance. Tant qu’on pourra gagner plus, voyager plus, consommer plus, savoir plus de choses, être plus intelligent, se comparer, on sera dans la destruction. C’est une réflexion que doivent aussi avoir les entrepreneurs sociaux. Avant de faire grandir leurs projets, il est important qu’ils re-questionnent régulièrement leur finalité. Quand un projet finit par uniquement servir le capitalisme, il faudrait pouvoir l’arrêter.”