On l’appelle l’informatite aiguë ou l’infobésité. Elle touche aujourd’hui les trois quarts de la population. Et ce n’est pas de gaieté de cœur que nous vous annonçons que vous faites très certainement, vous aussi, partie des personnes atteintes. Voici les 10 principaux symptômes de l’informatite. Parlez-en à votre médecin.
Symptôme 1 : classé sans suite
Votre papa vous envoie un article par mail. Vous ouvrez le lien, vous lisez le titre, vous regardez l’image et zou, votre avis est fait. Même démarche que quand vous lisiez “Oui-oui et le gendarme” il y a 22 ans de cela.
Symptôme 2 : le chiffre, quel chiffre ?
Il vous arrive de commencer une prise de parole par : “J’ai lu récemment qu’il y avait un truc genre… attends, je crois que c’était… non. Euh, précisément je ne sais plus mais en gros c’était un chiffre énorme genre 9 millions. Ouais, non ça fait beaucoup. Peut-être 900 000 plutôt ? En tout cas c’était beaucoup quoi”. Classique. Sur le moment, vous avez adoré lire ce chiffre, sur le moment,vous vous êtes dit “je vais le retenir, je vais le partager autour de moi, je vais sensibiliser, je vais impressionner, je peux y arriver” et puis la dure réalité vous a frappé le visage lors de ce face-à-face avec Ludo, climatosceptique que vous auriez aimé terrasser par la force de votre mémoire.
Symptôme 3 : montre jamais ça à personne
Wikipédia, c’est comme votre maman. Officiellement, vous n’en avez pas besoin, vous êtes adulte, indépendant·e. En réalité, il n’y a qu’elle que vous croyez. Est-ce grave ? Un peu.
Symptôme 4 : hors-série, hors-cerveau
Vous avez plus d’une fois décidé d’investir dans un hors-série dodu d’informations sur l’économie, l’Europe, Albert Camus ou encore la crise israélo-palestinienne. “C’est un sujet crucial sur lequel il faut s’informer” avez-vous expliqué gravement à votre cousine dans le hall de la gare. Et puis vous n’avez jamais lu l’ouvrage depuis ce moment. Ou si, l’édito. Vous avez lu l’édito. Et puis comme vous n’avez pas compris une référence à Kafka, cela vous a découragé.
Symptôme 5 : une pointure sur pas grand chose
Lorsqu’un débat éclate dans votre groupe de potes, vous éprouvez une sensation étonnante. D’un côté, il vous semble avoir un avis bien tranché, quel que soit le sujet “le nucléaire, il faut absolument arrêter”, “non mais c’est scandaleux Amazon”, “franchement tu sais comment il est fait ton smartphone ?” “Elon Musk, quelle enflure lui” “les retraites ? Une arnaque”. De l’autre, si l’on vous demandait d’exposer l’ensemble de vos connaissances sur lesdits sujets, vous seriez pétrifié·e en réalisant qu’elles se résument à peine à une demi-page A4. Et encore, écrit en Times New Roman taille 13.
Symptôme 6 : le mensonge des intellos
Parfois vous dites d’un ton docte “Tiens, oui je me suis intéressé un peu à la question… j’ai lu quelque part…. super intéressant…je sais plus où…”. Alors que 1) vous n’avez pas “lu” mais “vu”, 2) vous savez très bien que c’est sur instagram 3) c’était une vidéo qui durait 36 secondes.
Symptôme 7 : un génie, vous êtes un génie
Une fois, vous avez lu un article très compliqué sur les voitures électriques et vous êtes allé·e jusqu’au bout, vous avez même retenu une expression compliquée “énergie grise”. Vous vous êtes arrangé·e pour mentionner avec détachement cette glorieuse lecture maintes fois pendant l’année qui a suivi.
Symptôme 8 : c’est bien ou c’est pas bien ?
Vous voyez passer une vidéo sur Twitter. Un député traite d’un sujet un peu technique type “la rénovation thermique des bâtiments”. Après quelques secondes, vous réalisez que vous êtes incapables de savoir ce que vous pensez vraiment. De prime abord, ce type est intéressant, il donne plein de chiffres, ça a l’air cohérent. Mais. Après quelques secondes, vous repérez un commentaire d’un ami que vous admirez en secret : “non mais quel abruti”. Vous répondez immédiatement : “c’est clair, la honte”. Vous regardez alors le reste de la vidéo avec une angoisse intérieure grandissante : “faites que je comprenne pourquoi c’est un abruti”.
Symptôme 9 : l’arc-en-ciel qui n’avait qu’une seule couleur
Il vous est arrivé de dire à votre colocataire Mathilde : “la clé, c’est de croiser les sources d’information, moi j’aime bien diversifier et me faire un avis après”. Du coup vous diversifiez. Un jour c’est Le Monde, et France Inter. Un autre c’est la radio France Inter et puis un peu de lecture avec Le Monde. Si vous avez le temps, il vous arrive d’écouter les podcasts de France Inter. Et puis, les articles de fond, type ceux qu’on trouve dans Le Monde, c’est super.
Symptôme 10 : on s’était donné rendez-vous dans 10 ans
Parfois, vous rêvez de ressembler à ce chercheur qui maîtrise un sujet avec brio. Et vous vous demandez quel sujet pourrait vous passionner suffisamment pour vous y plonger à corps perdu pendant des années. Souvent votre conclusion est la même : “je vais trouver LA bonne idée sur Netflix”.
Diagnostic et traitement
Vous vous reconnaissez dans ces symptômes ? Vous êtes atteint d’une informatite carabinée. Une maladie de plus en plus répandue qui touche avant tout nos neurones et qui impacte notre capacité à garder un esprit critique. Nous vous proposons 4 remèdes particulièrement efficaces pour guérir ou atténuer les effets de fléau :
- Thérapie de groupe. Traînez avec des gens qui ne pensent pas DU TOUT comme vous et laissez-vous déranger par leur discours. Cela vous permettra d’ébranler vos certitudes toutes faites, ou au contraire de les renforcer. Lieux privilégiés : les blablacars, le foot, vos voisins, votre famille (parfois) et la piscine municipale.
- Étirements quotidiens. Faites des allers-retours entre une vidéo de climatosceptique et une conférence d’Aurélien Barrau, un apéro.
- Pilules magiques. Farfouillez, creusez, ne cherchez que ça, vous verrez, vous en trouverez partout. Ces pilules peuvent être des docus, romans, podcasts, etc. Leur objectif principal ? “Rentrer dans la tête d’un autre”, se mettre à sa place, essayer de comprendre pourquoi il ou elle pense ça sans tenter de le contrecarrer tout de suite. Un exemple parmi tant d’autres : le documentaire La Cravate, qui retrace le parcours d’un jeune militant FN, passionnant.
- Piqûres de réel : pour connaître un sujet et commencer à en dessiner les contours, il faut commencer par s’y confronter dans le réel, sur le terrain. Ne parlons d’agriculture sans avoir vécu un certain temps sur une exploitation, ne parlons pas des cathos ou des musulmans sans être allé à la messe ou à la mosquée, ne parlons pas de quartiers populaires en ayant des images BFM en tête. Allons nous frotter à la source, allons constater que l’information est toujours un récit, une interprétation subjective de vies et des problématiques infiniment complexes et jamais synthétisables en un article.
Bonne guérison à nous.