Il faut qu’on vous dise. Le patriarcat ne serait pas lié à des questions physiologiques et il n’aurait peut-être même pas démarré avec la Préhistoire. Et paf, la préhistorienne, Marylène Patou-Mathis jette un pavé dans la mare des clichés. Vous êtes prêt·es ?
La Préhistoire fait partie de ces périodes à qui on colle volontiers son lot de fantasmes et clichés. Évidemment, le rôle de la femme préhistorique ne déroge pas à la règle : on lui attribue tout un tas d’idées reçues. Parmi elles : une vision particulièrement patriarcale de la vie préhistorique, faisant de l’homme le héros chasseur, et de la femme... La femme au foyer, mais version jupe en peau de mammouth.
Heureusement, l’étude de la préhistoire connaît un nouveau souffle, notamment avec l’arrivée de plus en plus de femmes dans le domaine, et dans celui de l’archéologie.
Pendant que Tonton José s’éreinte à affirmer que « Le patriarcat, c’est dans nos gênes ! Ça existe depuis la nuit des temps », des préhistoriennes, comme Marylène Patou-Mathis, requestionnent ces clichés sexistes solidement ancrés. C’est sur son travail, ses recherches et son propos que repose cet article.
Idée reçue n°1 : « Les femmes préhistoriques restaient à la maison pendant que les hommes chassaient »
Dans son livre « L’Homme préhistorique est aussi une femme », la directrice de recherche au CNRS part d’un constat simple pour démystifier la vision patriarcale de la préhistoire : peu d’éléments prouvent que la société n’était pas patriarcale, mais aucune donnée archéologique ne prouve non plus que certaines activités étaient interdites aux femmes, ou qu’elles étaient subordonnées aux hommes.
C’est sur cette absence de preuve qu’elle s’appuie pour déclarer que « Non, les femmes préhistoriques ne consacraient pas tout leur temps à garder les enfants en attendant que les hommes reviennent de la chasse ! ». Elle propose alors une lecture alternative de la préhistoire, invitant à envisager des sociétés où hommes et femmes participaient équitablement aux tâches de subsistance.
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Idée reçue n°2 : « Les femmes étaient de trop faibles corpulences pour chasser »
Pour évincer les femmes de certaines activités dites « viriles » comme la chasse, les historiens ont tout naturellement présupposé que les femmes étaient moins robustes que les hommes. Bah oui, c’est bien connu. Dans cette logique, et pendant longtemps, les archéologues ont raisonné selon une équation très simple : « Squelette robuste = squelette d’homme ».
Difficile à affirmer avec certitude quand on sait que les parties permettant de sexuer les ossements, comme le bassin, sont souvent trop détériorées (ou carrément manquantes) pour permettre d’établir le profil précis d’un squelette. Selon M. Patou-Mathis, « 60% des squelettes sont asexués ».
Dans les années 1980-1990, une nouvelle méthode apparaît : on peut analyser l’ADN nucléaire des ossements anciens. Cet ADN vient tout changer car lui, il ne ment jamais ! On découvre que nombres de squelettes à très grosses ossatures sont ceux... De femmes ! Plusieurs carcasses identifiées comme masculines deviennent féminines, et vice-versa.
Ce n’est qu’à partir du Néolithique (entre -5000 et -3000 ans avant JC) qu’effectivement, les ossatures de femmes deviennent moins épaisses que celles des hommes. En revanche, pour tout le Paléolithique (soit, d’il y a 2,6 millions d’années à -10 000 ans avant J.C : une période relativement longue, finalement), cette affirmation n’a aucun sens. Niveau ossature, les femmes étaient tout aussi bien fournies que les hommes pour aller à la chasse. Ce qui nous amène à détruire cette idée selon laquelle…
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Zdenek Burian
Idée reçue n°3 : « La place de la femme, c’est à la cueillette »
Les livres d’histoire nous racontaient volontiers que ces dames allaient cueillir les baies pendant que messieurs chassaient du mammouth à mains nues. Ce n’est pas étonnant, puisque la préhistoire, discipline née au XIXe siècle, a été façonnée principalement par des hommes. Naturellement, ils projetaient la structure sociale de leur époque sur les sociétés préhistoriques, conduisant alors à l’image de la femme comme cueilleuse-reproductrice VS l’homme chasseur-créateur.
Pour contrer cet imaginaire, Marylène Patou-Mathis ne se contente pas de prouver que l’argument de l’ossature ne tient pas la route. Elle émet également l’hypothèse que la division du travail était basée sur la compétence, et non sur le sexe. Et ce, pas uniquement pour la chasse ou la cueillette, mais pour toutes les activités préhistoriques.
Par exemple, elle explique « On peut très bien imaginer, et on trouve de plus en plus de preuves, que les peintres de Lascaux étaient aussi bien des hommes que des femmes, puisqu’on a retrouvé des traces de mains de femmes dans des grottes ornées. »
De la même manière, elle questionne : les outils préhistoriques existent, et nous sommes capables de les détailler et de les comprendre entièrement. En revanche, qui a taillé ces sagaies ? Des hommes ? Des femmes ? Les deux ? Personne ne le sait.
C’est sur cette ignorance que s’appuie l’historienne, non pas pour prouver quelconque matriarcat, mais simplement pour aider à considérer que chacune de ces réponses pourraient être plausibles, et donc : que les femmes n’ont pas à être écartées de ces activités dans les études de la période.
Idée reçue n°4 : « Un squelette enterré avec une arme ? C’était forcément un homme ! »
Puisqu'on a naturellement associé l’homme préhistorique à la chasse et à la bataille, on a longtemps considéré que les ossements préhistoriques accompagnés d’armes étaient forcément les ossements d’un homme. C’est vrai pour le paléolithique, mais c’est aussi vrai pour les sociétés préhistoriques plus récentes, comme les Scythes, société préhistorique de l'Âge du fer, qui ont vécu du IXe au IIe siècle avant notre ère.
Or, le duo gagnant « plus de femmes scientifiques » + « utilisation de l’ADN en archéologie » font une nouvelle fois mentir les idées préconçues ! Des squelettes de femmes sont retrouvés accompagnés de matériel de chasse, ou même d’armes, notamment chez les Scythes, laissant croire à des femmes guerrières, et même à des cheffes de guerre. Oui, au féminin.
Les opposants à cette lecture de l’histoire avancent que « les objets qui accompagnent les squelettes ne traduisent pas forcément la fonction du défunt ». À cela, Marylène répond « Pourquoi, alors, quand il s’agit de dépouille d’homme accompagnée d’armes, on en conclut systématiquement qu’il était un guerrier ? Rien ne prouve que ce n’était pas possible.». Et toc. C’est celui qui dit qui est.
Même si aujourd’hui, la question fait encore débat chez les historiens, les recherches récentes et l’étude sous le prisme d’un regard féminin permettent une nouvelle compréhension et réflexion autour de la période.
Ce qui importe dans cette relecture du passé, c’est simplement de mettre en lumière la participation des deux sexes, de manière égale, dans les activités qui ont toujours été allégées uniquement à l’homme, ou uniquement à la femme. Reconnaitre la place de la femme dans l’hominisation vers nos sociétés.
À tous ceux qui avancent que le patriarcat a toujours existé, la préhistorienne répondra sûrement « Prouvez-le ». Bon courage.