Et si “juste” ne pas taper sa femme ou “juste” ne pas agresser sa collègue c’était non seulement la moindre des choses, mais que pour autant, c’était loin d’être suffisant ?
Il y a quelques semaines, je faisais partie des quelques gars qui étaient présents à la manif organisée en soutien à Gisèle Pelicot, et j’ai été touché par ce que disait Jessica à ce sujet. Chère gente masculine, il est temps de changer de braquet. Je m’adresse donc à nous Julien, Kevin, Ahmed, Erwan, Julien et Jean-Mich’ parce qu'on peut vraiment faire mieux ou a minima devenir moins pires sur les violences sexistes et sexuelles qui sont de notre faute et à notre déshonneur.
Messieurs, il est temps d’être à la hauteur
Laissez-moi pour commencer rappeler que contrairement à certaines rumeurs, les féministes n’aspirent pas à une guerre vengeresse des sexes qui viserait à nous priver de nos couilles ou de nos droits. Elles ne veulent légitimement “que” aspirer à l’intégrité physique et morale . Beaucoup d’entre elles nous enjoignent avec beaucoup de patience à agir à leurs côtés, ne serait-ce que pour sensibiliser nos pairs. Il y a des débats sur les types de contributions que nous pourrions apporter, ce genre de tribune a pu par exemple servir de couverture à certains hommes qui la signaient comme l’explique Caroline de Haas. Vous ne trouverez donc ici aucun nom de signataires car l’idée n’est pas de dire que untel ou que telle organisation serait irréprochable… mais bien au contraire que nous avons tous à progresser.
Tous les conseils qui vont suivre ont déjà été écrits par des femmes et de nombreuses amies, collègues, partenaires ont contribué, mais factuellement, les hommes préfèrent écouter d’autres hommes, donc on va utiliser ce privilège pour faire passer leurs messages et nous nous adressons ici aux hommes en tant qu’hommes.
Si ce n'est nous, à qui la faute ?
Je vois souvent des commentaires selon lesquelles “il y a déjà l’égalité”, “elles exagèrent”, “tous les hommes ne sont pas comme ça” et pourtant…
- le principal facteur prédictif de la violence, ce n’est ni la religion, ni la couleur ou le niveau social… mais d’être un homme
- la question n’est donc pas vraiment de savoir si #NOTALLMEN mais plutôt d’essayer de comprendre pourquoi #ALLRAPISTSAREMEN : 96% des auteurs d’agression sont des hommes (sur les femmes, mais aussi sur les autres hommes ou sur les enfants)
- 90 % des victimes d’agression sexuelle sont des femmes. Beaucoup vivent dans la peur d’être agressées, malheureusement à juste titre, car plus d’une sur 7 l’a déjà été. Nous les hommes avons découvert, incrédules, avec la campagne virale internet #ICHOOSETHEBBEAR que 7 femmes sur 8 déclarent préférer tomber en rando sur un ours plutôt que sur un homme !
Invoquer le naturel : une fausse bonne idée ?
J’entends souvent des préjugés sur la “nature” qui affirment que notre agressivité, et nos pulsions seraient “naturelles” voire désirables pour se reconnecter à une “essence masculine” et tracer son rang dans la société. Pourtant, la validité biologique de cette idée est controversée : ce que disent les scientifiques comme l'éthologue Jane Goodall ou le biologiste Marc André Selosse... c’est que la théorie d’un mâle “alpha” omnipotent et agressif est un mythe. La position de dominant dans les groupes animaux, n’est pas exclusivement masculine, elle n’est pas nécessairement acquise par la force et n’implique pas nécessairement des comportements de harcèlement sur les femelles ou les plus faibles. En fait, dans le processus de sélection naturelle, les comportements violents ou parasitaires des mâles envers leurs congénères sont même un désavantage compétitif qui diminuent les chances de survie du groupe dans son ensemble.
Et, quand bien même, il existe une infinité de comportements étranges dans la nature, je n’ai jamais vu JeanMich’ épouiller son N+2 à l’afterwork, ni renifler le cul de son pote à la boulangerie : c’est malhonnête de ne sélectionner dans la “nature” que des exemples qui nous arrangent. Observer des comportements au sein du règne animal implique d’en constater la diversité, et n’est aucunement une invitation à les renforcer culturellement. Le ratio de violence infligé aux femmes par leurs congénères humains est d’ailleurs inédit dans le vivant, c’est avant tout un trait culturel spécifique dont on peut tout à fait se défaire, en balayant notamment devant sa porte avant d’accuser les autres.
“L'homme se distingue des autres animaux surtout en ceci : il est le seul qui maltraite sa femelle, méfait dont ni les loups ni les lâches coyotes ne se rendent coupables, ni même le chien dégénéré par la domestication.” Jack London
Et si c’était trop facile de rejeter la faute sur les autres ?
Un mécanisme courant du déni qui nous empêche de progresser consiste à rejeter la faute sur “les autres”. Pourtant, les 51 violeurs du procès de Mazan sont de tous âges, statuts, phénotypes, et cette absence de portrait-type se retrouve statistiquement au niveau national : l’écrasante majorité des viols sont commis par des hommes de l’entourage de la victime, des collègues, des amis, ou des membres de la famille. Les médias et la littérature continuent pourtant de diffuser l’idée que les viols seraient uniquement commis par des inconnus dans des parkings mal éclairés ou par des malades mentaux.
C’est une belle excuse pour ne rien changer, que d’affirmer que les violeurs, ce sont les autres, comme l’explique Victoire Tuaillon dans son podcast “Les couilles sur la table”. Beaucoup d’hommes instrumentalisent des faits divers pour faire croire à rebours de toutes les enquêtes sur le sujet, que les violences faites aux femmes seraient exclusivement dues aux étrangers, aux mecs de banlieue, aux pauvres. Ce sont paradoxalement parfois ces mêmes personnes qui exonèrent leurs potes “juste un peu forceurs”, qui ne commettent qu“un simple troussage” ou qui sont carrément des ambassadeurs de “l’art de séduire à la française”. Ce double discours n’est pas nouveau : les autrices Angela Davis ou Elsa Dorlin écrivent comment la même société esclavagiste qui institutionnalisait et légitimait le viol des esclaves par leurs maitres, se drapait d’une soudaine auréole de vertu pour justifier le lynchages des hommes noirs décrit comme “bestiaux” et accusés souvent sans preuves de violer “leurs” femmes.
Pour certains élus, le problème ce n’est pas le viol, mais uniquement qu’il serait commis par des étrangers, une forme de “préférence nationale” pour les violeurs.
Ca va bien se passer ?
Moi aussi, je vis mal cette situation Jean-Mich’, je ne peux pas m’empêcher de le prendre un peu personnellement quand on me dit que les hommes sont dangereux. Et je me fais parfois reprendre par mes collègues féminines et mes amies. Je pense par contre qu’on ne peut pas éthiquement focaliser le débat sur le fait de savoir si la situation est confortable ou pas pour nous, ou si les femmes prennent suffisamment de pincettes pour tirer la sonnette d’alarme. Je trouve ça même carrément indécent de s’inquiéter avant tout de savoir si dans la lutte contre les viols, il ne risquerait pas d’y avoir quelques erreurs judiciaires touchant les hommes ! Aujourd’hui, si effectivement seulement 0.6% des plaintes pour viol aboutissent : TOUT LE SYSTÈME ACTUEL EST UNE ERREUR JUDICIAIRE. C’est que chantent les féministes qui reprennent la flashmob de las Tesis.
Je dois avouer que j’ai même un peu peur, parce que je sais que je n’ai pas été irréprochable et que j’ai indubitablement encore beaucoup de progrès à faire. J’ai eu des gestes déplacés, des comportements inadéquats, j’ai fermé les yeux, ou ma bouche, me rendant a minima complice ou lâche sans nécessairement être directement coupable. Des milliers d’hommes n’ont pas violé Gisèle Pelicot mais se sont quand même retrouvés OKLM sur un site intitulé “à son insu” et ont continué leur navigation parce que c'était normal. Normal comme d’ailleurs presque la moitié des contenus qu’on consomme sur les plateformes pornographiques dont les titres érotisent le viol, la violence, le racisme ou la pédophilie. Selon Gail Dines, autrice de PornLand, laisser faire, c’est participer à légitimer des pratiques indignes que personne ne souhaiterait pour ses proches ou pour soi. De ce point de vue, je pense qu’on peut dire que si, #ALLMEN et que franchement, c’est la honte.
Est-ce au travers des concepts de refus de parvenir ou refus de nuire explorés par l’essayiste Corinne Morel Darleux, il n’y aurait pas une forme de dignité à retrouver, en tournant le dos à des normes sociales qui nous sont favorables… mais qui puent la mort ?
On a aussi à y gagner
Oui, Jean-Mich’ certains hommes souffrent aussi. Il y a tout à faire pour lutter contre les violences psychologiques, personne ne dit le contraire, et d’ailleurs, on peut aussi s’investir dans les structures pour apprendre à mieux se parler, à gérer la santé mentale des personnes que la vie amoureuse a abimées, quels que soient leurs genres. Mais est-ce qu’on ne peut pas concéder que, dans un premier temps, on pourrait s’atteler à réduire les meurtres et les viols, qui sont quasi exclusivement de notre fait ? D’ailleurs, si on arrivait ensemble à arrêter certains comportements valorisés par certaines injonctions à la masculinité, il y a de fortes chances qu’on en devienne aussi bénéficiaires. On pourrait par exemple lever le pied sur pas mal de comportements à risque qui tournent autour des excès de violence, de compétition, d’alcool, et autres rituels masculinistes qui, en plus de faire chier les femmes, nous précipitent souvent en prison ou dans la tombe.
Je pense qu’avoir mal agi ne fait pas de nous des personnes intrinsèquement mauvaises à ranger dans la figure repoussoir et illusoire du violeur de parking. On n’est pas coupable d’avoir grandi dans une société où James Bond, Depardieu, le vicomte de Valmont ou Polanski nous enseignent par le menu qu'être un agresseur est non seulement permis, mais carrément désirable. On peut cependant être responsable de nos actes, et avoir l’humilité de changer de comportement maintenant que l’on sait. Un peu comme quand les gens ont arrêté de fumer dans les maternités quand on a su que c'était mauvais pour les enfants.
Et si on écoutait un peu
Le progrès ne se fera pas en un jour, et il commence par l’écoute. Nous devons être capables de recevoir des critiques sans chercher à les minimiser ou à nous justifier. Admettre nos erreurs, reconnaître quand on a déconné, c’est la première étape vers le changement. Essayez, c’est évidemment super gênant, mais au final, on a quand même l’air moins cons que quand on se cherche des excuses, qu’on rejette la faute sur les autres ou qu’on nie tout en bloc.
Ensuite, on a pas mal de trucs à lire ou à écouter par nous-même pour ne pas avoir à attendre des femmes qu’elles soient nos éducatrices ou nos psys. Il y a plein d'œuvres pour un peu tous les goûts. Voici la liste suggérée par Morgan Noam sur Instagram (en légende).
À titre personnel, on conseille : Les couilles sur la table ou Mansplaining qui sont super accessibles, les comptes de la nuit remue et nous toutes, ou encore le compte nos alliés les hommes qui nous plaisent beaucoup ainsi que le docu fiction "a beautiful day in the neighborhood" qui est chouette.
Contribuer à créer un cadre sain
Mais au-delà de progresser individuellement, je pense que c’est surtout en tant que membres de nos diverses organisations que l’on peut participer à changer la donne. C’est important de se poser la question de ce que l’on met en place au sein de nos collectifs, à diverses échelles (cercle de discussion, questionner la systémique au sein de l’organisation, création d’un organe pour parler de ces questions, …)
1. Identifier les biais
En tant que “fondateurs”, intervenants, responsables, experts*... Il est important de prendre conscience et de ne pas abuser du caractère dissymétrique que peut nous conférer notre statut et des biais de pouvoir et d’opportunités qu’il engendre. Les biais, définis ici comme des éléments influençant la prise de décision, sont nombreux lorsque l’on est en position de représentation devant un groupe. Le biais d’aura bien sûr, mais également les biais d’autorité ou encore celui de légitimité : en étant avec une personne considéré comme plus expérimentée, l’autre peut être amené à “laisser les rênes” car iel considère que cette personne sait mieux qu’iel ce qu’il “faut” faire et comment ; la capacité de l’autre en face à se demander si iel a vraiment envie de faire l’exercice est biaisé. L’unicité de l’expérience proposée et la nouveauté pour certain.es peut mettre dans une sensation d’enchantement et genre d’état second où tout est plus ou moins acceptable. Sans parler du biais de groupe…
Il faut conscientiser qu’il est plus difficile pour une femme de dire “non” à l’abbé Pierre qui vous tripote, même si elle n’en a pas du tout envie. Encore plus difficile de le dénoncer de peur de ne pas être crue, ou de se voir reprocher de ternir l’image de l’association ou freiner son action militante.
2. Laisser les femmes parler
Un autre élément à prendre en considération est le temps de parole. En tant que facilitateur, il est de notre responsabilité d’assurer que les hommes ne monopolisent pas le débat. On peut chercher à assurer la parité aux tables rondes, et parfois refuser de participer pour suggérer une consœur. On peut contribuer à mieux légitimer la parole des femmes en posant un cadre sur le partage du temps lors des ateliers et en rendant visibles statistiquement les disparités sur la longueur et les types de prises de parole par genres (https://amaurycarrade.github.io/temps-de-parole/). On observe par exemple que les garçons se sentent souvent plus légitimes à venir présenter un travail à l’oral alors que, pour que l’exercice pédagogique de prise de parole profite à tout le monde, on pourrait demander à ce que la synthèse soit présentée par un binôme mixte.
3. Mettre en place des chartes de bonne conduite
En tant qu'organisateurs d'événements, nous pouvons utiliser notre temps et nos ressources pour soutenir la divulgation et l’application de chartes de bonne conduite. Par exemple, la Croix Rouge Française a intégré ce sujet à son dispositif de mobilisation bénévole lors des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Conscientes qu’une certaine promiscuité allait exister entre des bénévoles de tous genres (événement, hébergement, terrain..), les équipes ont préalablement proposé à l’ensemble des volontaires des formations de prévention aux violences sexistes et sexuelles. Des ateliers d’éducation populaire, ludiques et accessibles à tous et toutes sont proposés par diverses associations sur les thèmes comme le sexisme, la parité, les VSS… Les faire intervenir c’est créer un espace à la discussion et à la remise en question mais également soutenir le fait que ces sujets sont vitaux et qu’il faut les aborder
4. Créer des cadres de sécurité
En tant que responsables de groupe, nous pouvons soutenir la création d’outils de sensibilisation, de signalement, de médiation ou d’exclusion. On ne peut pas partir du principe que notre collectif n’est pas concerné par les violences systémiques parce qu’on ne les observe et entend pas “chez soi”. Comment faire ? On peut proposer des cadres de conduite et en mesurer régulièrement le respect, en ouvrant des espaces de parole en sécurité (en non mixité, par écrit, de manière anonyme..) ou se faire aider par des collectifs ou des associations qui ont déjà travaillé ces questions et/ou dont c’est le métier
5. Soutenir celles qui luttent
Après avoir regardé le documentaire Mascu, j’aurais envie de partir en guerre contre ces influenceurs qui commercent sur la misère intellectuelle et sexuelles de leurs followers mais il n’est pas impossible que j’adopte une posture de sauveur qui serait sans doute malvenue.
Le plus simple, c’est peut être d’abord demander aux intéressées comment elles voudraient être aidées. En l'occurrence, Nous Toutes à ouvert une cagnotte.
De nombreuses professionnelles proposent des prestations de formation sur le consentement, de médiation en cas de conflit, de création d’organe ad-hoc.
Chloé Lafleur kloe.ciel@gmail.com qui fait une intervention poussée sur les biais dans les prises de décisions.
L’association FélixCité sur Toulouse kloe@felixcite.com qui travaille sur les questions de genre et la lutte contre les discriminations.
Les gars, l’heure est désormais d’être à la hauteur. Vous êtes prêts ?
* Les termes sont volontairement masculinisés pour s’adresser aux professionnels masculins qui exercent ces fonctions.