Vous reprendrez bien un peu de glyphosate ?

Vous reprendrez bien un peu de glyphosate ?

Le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé au monde mais aussi le plus controversé. En Europe, son utilisation a été prolongée jusqu'en 2033... On fait le point.
29 September 2023
par Hélène Binet
5 minutes de lecture

On le connaît davantage sous son petit nom commercial. Le glyphosate, alias Roundup est l’herbicide le plus utilisé au monde mais aussi le plus controversé. Cancérigène probable, perturbateur endocrinien, neurotoxique, il pourrait squatter nos champs et nos assiettes pendant un bout de temps. Le 16 novembre 2023, la Commission européenne a prolongé l'autorisation de son utilisation jusqu’en 2033. Un pas en avant, trois pas en arrière. On fait le point.


Trois atomes de carbone (C), huit atomes d'hydrogène (H), un atome d'azote (N), un atome d'oxygène (O) et un atome de phosphore (P), voilà la formule de l’herbicide chimique qui sévit dans le monde entier depuis les années 70. Terminator végétal, le glyphosate éradique toutes les herbes indésirables sur son passage et doit son existence à Monsanto (racheté par Bayer). S’il est aussi plébiscité aux quatre coins du globe (il représente un tiers des substances phytosanitaires utilisées en agriculture dans le monde), c’est parce qu’il est l’allié indispensable des OGM (Roundup ready) qui ont été conçus spécialement pour y résister. Le duo OGM/Roundup est redoutablement efficace. En pulvérisant du glyphosate sur un champ de maïs OGM, on fait crever toutes les plantes indésirables sauf le maïs. Avouez que c’est malin !

Depuis le 1er janvier 2016, les jardiniers montrent l’exemple : la vente en libre-service aux particuliers des désherbants contenant du glyphosate est interdite.

Déso, pas déso

Pendant de nombreuses années on a considéré que le glyphosate était aussi inoffensif qu’une poignée de sel. Jusqu’en 2015, en fait. Il y a 8 ans, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence de l’Organisation mondiale de la santé qui compile les travaux de milliers de chercheurs dans le monde entier, a lancé un pavé dans la mare des pesticides. Le CIRC a classé le glyphosate dans la catégorie des« cancérogènes probables », estimant que l'exposition au glyphosate et le développement de cancers sont liés. Rappelons que « cancérogène probable » revient à une note de 5/20 sur l’échelle de sûreté sanitaire. En effet, la classification du CIRC compte cinq niveaux : sans risques cancérigènes ; non classifiable ; cancérigène possible ; probable et le pire du pire, certain.

Dans le meilleur des mondes européens, le principe de précaution exigerait qu’en cas de doute sanitaire, on s’abstienne. Pourtant, en 2017, devant la pression des lobbies, l’Europe a réautorisé la mise sur le marché du glyphosate pour 5 ans (c’est le même principe que pour les médicaments, il faut demander régulièrement des autorisations de vente aux autorités européennes). Fin 2022, cette autorisation a été prolongée d’une année supplémentaire. Et en 2023, on en a repris une louche pour 10 ans. Olé !

Quand l’histoire se répète

Comment a-t-on pu arriver au renouvellement du glyphosate ? Par un dialogue de sourds. Les scientifiques du CIRC ont maintenu leur position selon laquelle le glyphosate ça craint et pas qu’un peu : « preuves fortes de génotoxicité », « cancérogène probable » tandis que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui a rendu son avis à l'été 2023, a estimé que «l'évaluation de l’impact du glyphosate sur la santé humaine, la santé animale et l’environnement n’a pas identifié de domaine de préoccupation critique ». 

Parmi les études, certaines étaient plus indépendantes que d’autres. « Qui, dans l’opinion, suit d’assez près la controverse pour savoir que les données considérées par les uns et les autres ne sont pas les mêmes ? s’insurge le journaliste Stéphane Foucard dans le journal Le Monde. Qui sait que l’Inserm et le CIRC se basent sur la littérature scientifique – c’est-à-dire l’ensemble des études publiées après examen par les pairs (ou peer review) dans des revues savantes –, et que les agences réglementaires (l’EFSA and co), considérant plus de 95 % de cette littérature comme non fiable ou non pertinente, fondent leur avis (conformément à la loi) sur les tests réglementaires fournis par les industriels ? » C’est un peu comme si sur le climat, on opposait les recommandations du GIEC avec celles de Pouyanné.

La preuve par mille

Cela fait pourtant quelques années que les preuves se multiplient sur le terrain, notamment du côté des agriculteurs. Une vaste étude publiée en 2019 menée auprès de 300 000 paysans pendant plus de dix ans a montré que ceux qui étaient en contact d’herbicides à base de glyphosate avaient 41 % de chances supplémentaires de développer un cancer du système immunitaire. Par ailleurs, trois maladies professionnelles en lien avec les pesticides ont été reconnues : Parkinson en 2012, Hémopathies malignes en 2015, cancer de la prostate en 2021. Par ailleurs, le fonds d’indemnisation des victimes des pesticides (FIVP) créé en janvier 2020 a vu le nombre de demandes tripler en 3 ans… Enfin, faut-il parler de l’impact de l’herbicide sur la destruction de la biodiversité ?

Précaution, nf. Disposition, mesure, pour éviter, prévenir un mal, un risque, un danger éventuel

En France, difficile de comprendre quelle est la position de notre Président. En 2017, Emmanuel Macron s'était engagé à sortir du glyphosate « au plus tard » début 2021, avant de revenir sur sa promesse (Nicolas Hulot lui avait largement soufflé l’idée). À la même époque, au niveau européen, il s’était opposé au renouvellement de l’autorisation de l’herbicide pour 10 ans avec d’autres États membres et avait réussi à réduire la durée de renouvellement à 5 ans. Cet automne, devant la Commission européenne, il s'est abstenu après avoir déclaré le 25 septembre vouloir “réduire notre dépendance au glyphosate de 30% mais ne jamais laisser d’agriculteurs sans solutions.” 

« La position de la France dans le dossier du glyphosate n’est absolument pas sérieuse, s’énerve l’association Générations Futures, puisqu’elle consiste uniquement à demander des restrictions d’utilisation à certains usages, comme c’est le cas en France actuellement.» « Il n’y a qu’une façon pour le gouvernement français d’agir aujourd’hui de manière cohérente dans ce dossier : voter contre toute demande de ré-autorisation du glyphosate en Europe pour protéger la santé publique et nos écosystèmes ! » déclare François Veillerette, porte-parole de l’association. 

En France, Paul François est l’agriculteur empoisonné au glyphosate le plus célèbre. Après 15 ans de procédure judiciaire, il a réussi en 2022 à condamner Bayer-Monsanto à lui verser 11 135 euros. Aux États-Unis, les montants ne sont pas les mêmes. En 2022, la cour suprême a condamné la firme à verser 25 millions de dollars à Edwin Hardeman, en procès depuis 2015 pour un cancer lié au désherbant Roundup. © (Photo NR, Patrick Lavaud)

Du beau, du bio, du zéro pesticide

Et nous, on fait quoi avec tout ça ? On regarde passer le train des pesticides sans rien dire ? 10 ans c’est long et on n’a pas vraiment le temps d’attendre pour préserver la santé et la biodiversité d'autant que le gouvernement vient de suspendre le plan Ecophyto qui prévoyait la réduction de l'usage ds pesticides. Alors, on a une solution à vous souffler pour faire passer le mot : inviter tous vos potes à un dîner bio, leur expliquer la situation et signer joyeusement notre pétition : Gabriel à table ! Et finis ton assiette de pesticides.