L’IA sobre : comment dépasser l’oxymore ?

L’IA sobre : comment dépasser l’oxymore ?

Intelligence artificielle et sobriété numérique font-ils bon ménage ? On ne va pas aller jusque là mais on peut vous emmener sur le chemin de l’utilisation un peu moins pire de l’IA. Vous nous suivez ?
11 April 2025
par Louise Pierga
5 minutes de lecture

IA et sobriété numérique, c’est un peu comme faire un régime dans un rayon pâtisserie : compliqué. Mais si on ne peut pas faire parfait, on peut au moins faire mieux. Allez, avec Frédéric Bardeau de Simplon, on vous guide vers un usage un poil plus raisonnable.

Depuis quelques jours, vous avez sans doute croisé sur les réseaux des images “façon studio Ghibli” de tout et n’importe quoi. L’entreprise OpenAI a en effet mis à disposition une nouvelle fonction dans ChatGPT permettant de générer des images dans l’esprit Miyazaki, déféquant par la même occasion sur les droits d’auteur. L’accès à la fonctionnalité a même été restreint car trop de gens se sont jetés sur cette nouvelle trend (y compris Gabriel Attal… y compris Emmanuel Macron). Un élément d’actualité qui montre à quel point le concept de sobriété dans les usages de l’IA est loin de s’ancrer dans les esprits. Quand bien même la France voudrait montrer l’exemple et investir 109 milliards dans les prochaines années (perspective financière erratique au même titre que Trump et ses 500 milliards d’investissement promis), on ne peut pas dire que le président (ou son CM) ait compris ce que sobriété voulait dire… ChatGPT s’érige désormais au rang du sixième site le plus visité au monde. Une requête sur le site émet 10 fois plus de carbone que sur Google. On est alors en droit de se demander s’il est encore réaliste d'espérer une IA frugale. Pour y voir plus clair, nous avons rencontré Frédéric Bardeau, fondateur de l’entreprise Simplon.co qui forme et éduque aux métiers du numérique.

Une IA sobre est une IA qu’on n’utilise pas

Voilà. L’article s’arrête là. Pas besoin de chercher plus loin que cet aphorisme qui résume tout.

Non allez, je fais un petit effort pour vous, je développe. Le problème majeur de l’IA générative à l’heure actuelle c’est qu’on l’utilise pour tout et n’importe quoi “Trop de gens utilisent désormais ChatGPT pour remplacer leur moteur de recherche, c’est stupide, rappelle Frédéric Bardeau. ChatGPT n’a pas été fait pour cet usage et de fait, les résultats sont plein d’erreurs factuelles (66 % d’erreurs sur ChatGPT selon une étude de l'université de Columbia, ndrl). Il est assez simple d’en faire l’expérience. Posez des questions simples à ChatGPT et vous n’échapperez pas à des réponses souvent erronées qui donnent encore de l’espoir pour l’avenir du journalisme à visage humain. On serait tenté de vous dire ne pas utiliser ChatGPT comme moteur de recherche, mais Google ayant prévu d’intégrer l’IA générative directement dans son moteur de recherche (ce que fait déjà Qwant), on n’est pas sorti de l’auberge. “On fait encore porter aux citoyens et citoyennes des responsabilités qui incombent aux constructeurs”, en effet les conseils pour une IA sobre semblent aussi dérisoires que les écogestes qui pèsent finalement trop peu dans notre empreinte carbone. “Se dire qu’on va tous avoir une super IA de catégorie mondiale dans notre poche pour faire n’importe quoi, ça n’a aucun sens.”

La courbe du hype

Comme ça a été le cas pour le Métavers (douloureux souvenir dans l’empire du cringe) et la Blockchain, l’IA générative est actuellement au pic de sa courbe de hype. C’est une vraie courbe théorisée d’après le cycle Gartner (cf. ci-dessous) dont le processus peut se résumer ainsi : une technologie nouvelle voit le jour, tout le monde pense que ça va révolutionner le monde et répondre aux questions existentielles de l’univers (“ChatpGPT, est-ce que Dieu existe ? ChatGPT est-ce que je dois vraiment changer de slip tous les jours ?”), la technologie est utilisée à tort et à travers _ bienvenue dans le cauchemar des slops et lentement mais sûrement, on glisse vers le bien nommé “creux des désillusions". 

Selon toute logique, la courbe devrait suivre la même trajectoire avec l’IA générative et descendre de son pic de gloire quand on comprendra que sa véritable utilité concerne des usages restreints. “Pour le moment, c’est encore la ruée vers l’or, donc c’est n’importe quoi,” explique Frédéric.  Le problème c’est que l’IA générative étant particulièrement énergivore, ce fameux “tout et n’importe quoi” va représenter un coût énorme avant qu’on en modifie nos usages…

OK et en attendant que monde court à sa perte, on fait quoIA ?

1. Limiter l’utilisation de l’IA autant que faire se peut et le cas échéant, en discerner les usages. Par exemple, générer du texte via une IA sera toujours moins énergivore qu’une image ou une vidéo. De la même façon, maîtriser l’art du prompt. S’ta dire Elvire ? Il existe plein de conseils pour optimiser sa requête, on peut la structurer avec des points, on peut donner aussi des exemples. Ludo Salenne donne moults conseils pratiques qui limiteront les itérations et donc l’empreinte carbone de notre usage. Paradoxalement, on obtient un résultat plus fiable avec un bon prompt même sur une IA faible que l’inverse.

2. Utiliser des modèles plus sobres. Dans le paradigme actuel, on utilise des modèles ultra complexes avec énormément de paramètres comme ChatGPT pour des usages qui ne nécessitent absolument pas cette puissance. Les outils comme ChatGPT sont en effet des LLM (Large Language Model), mais il existe aussi des SLM (Small Language Model) comprenant moins de paramètres ce qui les rend moins énergivores et plus adaptés à des usages de type “Bonjour IA, que penses-tu de mon compte instagram ?” ou plus sérieusement adapté pour une simple traduction ou des requêtes administratives. Il vaut mieux utiliser des petits modèles spécialisés plutôt qu’un grand modèle généraliste qui va savoir tout faire (en principe) mais sera trop énergivore pour des tâches simples. Parmi les SLM on peut trouver Ministral (la version SLM de Mistral), GPT-40 mini (idem pour ChatGPT), Granite ou encore Gemma. Notez que les versions “mini” comme celle de ChatGPT sont le plus souvent des versions… payantes. Soyez frugaux oui, mais soyez riches avant tout. Si le modèle chinois

DeepSeek a défrayé la chronique pour la sobriété de son modèle, c’est justement parce qu’il utilise plusieurs SLM au lieu d’un LLM. Ceci étant dit, ça se passe en Chine donc interdit de mentionner Taïwan ou d’émettre un avis négatif sur le gouvernement. Soyez frugaux oui, mais soyez dociles avant tout.

3. Quid de l’hébergement ? Pour appréhender l’empreinte carbone de l’IA, il faut prendre en compte les sources d’énergie du pays dans lequel on l’utilise. En France avec l’énergie nucléaire, ce sera forcément moins polluant que dans l’Ohio qui utilise des centrales à charbon. Il existe aussi l’option du edge computing qui proposent un stockage de données au plus près de là où elles ont été produites.

Certes, la technologie est vouée à évoluer vers les formes moins énergivores, mais comme pour le reste, difficile d’échapper à un effet rebond : plus on réduit les limites d’utilisation d’une technologie (en l'occurrence, des limites énergétiques et environnementales), plus sa consommation augmente. Paradoxalement, tout nous porte à croire que plus l’IA sera structurellement sobre, plus on en multipliera les usages. La question qu’on mériterait tous et toutes de se poser, c’est de savoir quel(s) problème(s) cherchons nous à résoudre avec l’IA ?