Pour mieux orienter ses actions, makesense a défini il y a quelques mois sa boussole. Cinq axes à prendre en compte pour permettre à chacun et chacune de tenir le cap d’une société désirable, durable et inclusive. Parmi ces 5 points cardinaux : s’inscrire en harmonie avec le vivant. Il était une fois le martinet noir…
On le confond souvent avec l’hirondelle mais il est beaucoup plus grand. 40 centimètres d’envergure contre 30 pour celle qui adore se reposer sur des fils. Bolide parmi les bolides, les ailes affûtées en faucilles, le martinet est l’un des oiseaux les plus rapides du monde. Un genre de Usain Bolt à plumes qui peut atteindre une vitesse de 200 km/h sur de courtes distances, capable de voler 10 mois sans toucher terre pour rejoindre sa villégiature hivernale et de battre des ailes à 3000 mètres d’altitude sans jamais perdre haleine. Véritable ingénieur de l’efficience, il se nourrit dans les airs, profite des courants ascendants pour dormir, capture en vol ce dont il a besoin pour fabriquer son nid. C’est aussi un doux romantique. Fidèle à sa partenaire, il la retrouve année après année, au même endroit. Ils s'étaient dit rendez-vous dans un an…
Le martinet est un être vivant parmi les vivants, une espèce parmi les 8 à 20 millions d’espèces qui existent sur Terre dont, à ce jour, 2 millions « seulement » ont été inventoriées. Une plume dans un océan de biodiversité ? Un maillon fragile de notre équilibre planétaire ? Menacé aujourd’hui par la dégradation de son habitat naturel et par l’utilisation d’insecticides agricoles qui le prive de nourriture, sa population a chuté de 40% au cours des dix dernières années et il n’est pas seul à braver la tourmente. Depuis quarante ans, les populations d’oiseaux se sont effondrées en France. L’Europe perd en moyenne 20 millions d'oiseaux par an, soit 800 millions d’oiseaux depuis 1980…
Pourra-t-on vivre un jour dans un monde sans martinet ? Sur une planète sans oiseaux mais aussi sans fleurs, sans abeilles, sans insectes, sans forêts ? Impossible ! « 70% de nos cultures dépendent d’une pollinisation animale, explique le Ministère en charge de l’écologie. La biodiversité fournit en biens et services deux fois plus que la valeur que produisent les humains chaque année, nos médicaments viennent pour la plupart des molécules issues des plantes ou des animaux. »
Sapiens sapiens, une espèce parmi les autres
Notre survie dépend donc du monde animal, végétal, de l’eau que nous buvons, de l’air que nous respirons, des roches fossiles, des rayons du soleil mais aussi de tout ce qui fait que ce petit miracle de la vie a pu se produire. Sans tous ces êtres non humains, nous ne serions pas là, nous leur devons notre existence. Comprendre cela c’est rebattre Descartes et sa pensée selon laquelle l’Homme est supérieur et séparé de la nature.
« Quand allons-nous arrêter de croire à cette idée que nous allons mieux nous en sortir que les autres ? rappelle la réalisatrice engagée Flore Vasseur. C’est évidemment impossible car nous sommes tous liés : si la nature va mal, nous allons mal. On a beau se protéger avec diverses illusions, dont la consommation et le statut social, mais ce sont simplement des constructions intellectuelles. Pas la réalité. »
Humilité, j’écris ton nom
Revoir notre rapport au vivant dans un monde qui flirte dangereusement avec les +1,5°C est aujourd’hui aussi vital que salutaire. Il s’agit dans toutes les sphères, toutes les situations, de considérer que l’on fait partie du grand tout, que l’on n’est pas au-dessus de la mêlée mais plutôt au cœur du réacteur. D’arrêter de se considérer comme une espèce supérieure. Oublier tout schéma de domination et adopter une saine posture d’humilité.
« Il s’agit d’élaborer un nouveau rapport au vivant, qui ne doit plus être regardé comme une ressource extérieure à nous, précise Tarik Chechak expert en biomimétisme. C’est un allié avec lequel nous sommes en interdépendance. Nous ne pouvons plus continuer à croire que la « nature » est composée d’un ensemble d’éléments mécaniquement juxtaposés, isolés les uns des autres, que nous, humains, nous surplombons. C’est au contraire un système qui interagit en permanence, et dont nous faisons pleinement partie. »
Copier-coller-rêver
S’inscrire en harmonie avec le vivant, c’est donc redescendre de son piédestal, préserver ce qui nous entoure, épouser les limites planétaires au lieu de les repousser mais aussi l’observer pour mieux s’inspirer de ses prouesses. « Le martinet c’est un moteur hybride sucres et graisses, explique Kalina Raskin, directrice du Ceebios devant un parterre de dirigeants. Il intéresse les chercheurs car il arrive à prendre des virages à très grande vitesse, à attraper des moucherons à 200 km/h, c’est un modèle d’adaptabilité. »
Dans l’univers du biomimétisme, des exemples comme celui du martinet noir, après 4 milliards d’années de R&D de la nature, il y en a plein. On connaît l’histoire de la bardane à l’origine du velcro, de la peau de requin qui a conduit à moult applications en aéronautique ou encore des pattes du gecko imitées pour leur adhérence réversible.
Mais dans le vivant, il y a encore plus inspirant que toutes ces solutions techniques, il y a des règles d’or, des cahiers des charges spécifiques que l’on pourrait décliner dans toutes nos organisations : être économe en énergie (renouvelable et abondante) et en ressources, s’organiser de façon décentralisée, fonctionner en circuits courts, ne pas produire de déchets, favoriser la collaboration plutôt que la compétition. Et puis, il y a aussi cette incroyable capacité des individus à se connecter, à créer des liens, à s’entraider, à faire système et ce, particulièrement en situation de stress ou de crise intense. Il n’y a qu’à écouter les histoires du biologiste Gilles Bœuf pour s’en convaincre.
« La coopération crée, la compétition trie »
Dans la forêt africaine, les chimpanzés donnent un accès privilégié aux animaux blessés ou amputés ; en montagne, les marmottes sifflent pour prévenir leurs cousines du danger ; ailleurs des arbres tolèrent une certaine dose de broutage avant de devenir immangeables pendant quelques heures et de prévenir leurs congénères sur 2 km pour qu’ils suivent le même comportement. Dans la forêt, les oiseaux se répartissent les plages de chant dans la journée pour ne pas roucouler à la même heure. « Dans le monde vivant, il y a infiniment plus d’entraide que d’agressions permanentes, il faut s’inspirer de l’harmonie des systèmes,» conseille Gilles Bœuf.
Pince-moi, je suis vivant·e
Le vivant nous donne une leçon d’humilité, d’ingéniosité, de solidarité, il nous apporte également toute la poésie et la magie dont nous avons besoin pour nous ressourcer. La vie est un concours de circonstances incroyables, nous l’oublions trop souvent. Prendre le temps de s’émerveiller devant un morceau de nature, contempler un brin d’herbe, écouter le vent… Tout cela apaise, requinque et, à l’heure des mauvaises nouvelles qui font grimper l’éco-anxiété devient une activité d’utilité publique.
« Nous avons désappris à faire l’expérience du prodige d’être un vivant, de faire partie de cette extraordinaire aventure du vivant, conclut l’auteur naturaliste Baptiste Morizot. Nous l’avons abaissé, humilié et dévalué. En conséquence, il faut reconstituer presque ex nihilo cette affiliation.(...) Travailler à cette idée, c’est mener une bataille culturelle. (...) L’enjeu est de restituer leur prodige aux autres formes de vie, mais ensuite de politiser l’émerveillement : d’en faire le vecteur de luttes concrètes pour défendre le tissu du vivant, contre tout ce qui le dévitalise. (...) Pour s’engager, nous avons besoin de l’indignation pour armer l’amour, mais nous avons besoin de l’amour du vivant pour maintenir à flot l’énergie, et savoir quel monde défendre.»
« Sriiiiiiirr », un vol de martinets noirs vient tout juste de passer…
S’inscrire en harmonie avec le vivant, résumé en un coup d’aile de martinet
- Prendre conscience que nous sommes le vivant, il n’y a pas la nature d’un côté et nous de l’autre. Nous appartenons au même règne, nous sommes dans le même bateau.
- Puisque nous sommes le vivant, intégrons ses règles et ses principes : sobriété, approche circulaire, coopération…
- Profitons-en pour nous inspirer de ses trouvailles et pour les décliner dans nos innovations. Vive le biomimétisme !
- Enfin, prenons le temps de contempler le vivant, pour y trouver la grâce, la beauté et la magie qui ressourcent et donnent une irrésistible envie de se battre pour le préserver.